Jean-Michel Dumay, 08/09/2000
C’EST une déposition de fin d’audience, tard le soir, quand la fatigue guette l’entendement des jurés. Le policier « ne veut pas en faire un secret ». Contrairement à ses collègues de la brigade criminelle, avant lui, qui, par une pudeur toute professionnelle, ont avancé la protection des sources anonymes, Henri Seghair, capitaine de police, explique à la cour d’assises de Paris, jeudi 7 septembre, la genèse du « tuyau » qui relança, en 1997, l’affaire de l’assassinat de la femme policier sur le périphérique, en février 1991, à Paris. Un crime mystérieux ( Le Monde du 8 septembre), dont Emile Hubbel, policier blessé, a conservé le seul souvenir d’un « petit véhicule » approchant au ralenti, puis, quelques secondes plus tard, du poids du corps de sa collègue, Catherine Choukroun, s’affaissant sur lui, mortellement touchée par une décharge de chevrotines.
Le soir de la Saint-Sylvestre 1996, dans un restaurant, raconte posément M. Seghair, « Simone » (Simone Darridon, alias « Madame Simone ») presque septuagénaire, dont il ignorait, dit-il, le passé de prostituée et la lucrative activité de location de studios rue Saint-Denis, lui confie à titre amical « des éléments pour identifier les auteurs de l’assassinat ». « Ce n’est pas une histoire de protection policière, comme on a pu le dire », affirme le policier, qui officiait aux « stups » en Seine-Saint-Denis. « Elle m’a dit :» Tiens, je vais te faire un cadeau«. »
Parmi ces éléments : l’information selon laquelle deux « videurs » d’un immeuble de la rue Saint-Denis, déjà mêlés à l’assassinat d’un proxénète, en 1987, auraient été impliqués : un certain José, Portugais, et un Patrice, le tireur, accompagné d’une « Johanna », prostituée, que « Simone » aurait revue rue Saint-Denis, près de la voiture volée, dont elle a relevé, par la même occasion, l’immatriculation.
« Simone m’a indiqué qu’elle avait d’ailleurs déjà fourni ces renseignements, en 1991, peu de temps après les faits, à un fonctionnaire de la brigade de répression du proxénétisme. Il l’avait alors envoyée promener… » Et effectivement, constata la brigade criminelle, jamais le tuyau n’était « remonté ».
Six ans après les faits, le même renseignement allait permettre aux enquêteurs de tisser la trame de délicates et fragiles investigations, pour l’essentiel reposant sur des témoignages d’anciennes prostituées, de videurs, de malfrats, d’anciens codétenus : « les bruits », dit un directeur d’enquête, dont regorge « en permanence » la rue Saint-Denis. Alors la défense, sans attendre : « Quelle crédibilité leur accorder ? »
« ELLE A PLEURÉ»
Identifiée comme étant « Johanna », Nathalie Delhomme, ancienne prostituée trentenaire, a été arrêtée en juin 1997, chez sa sœur, dans le Vercors. « Elle était devenue une mère de famille, constate l’enquêteur qui a procédé à son interpellation. Elle avait manifestement rompu avec son passé», tout entière à son enfant d’un an et demi. « Quand je lui ai parlé de [la policière décédée] et de son bébé, elle a pleuré. »
En cinq auditions de garde à vue, la jeune femme a progressivement reconnu avoir été dans la voiture le soir des faits, à l’arrière, « défoncée par la came » : souvenirs flous d’un événement inattendu, d’une bouffée d’air soudaine, d’une fenêtre remontée par le passager avant, de lampadaires défilant à grande vitesse. Alors, elle a livré le nom d’Aziz Oulamara, un ancien « videur », à la place du passager. Il portait un foulard palestinien, comme en vit l’un des rares témoins, ce soir-là, dans une voiture suspecte. Jamais cependant, elle ne donna celui du conducteur. Ni celui de Marc Petaux, troisième accusé, auquel on oppose son ascendant, à l’époque, sur Aziz Oulamara.
Puis Nathalie Delhomme s’est rétractée, après avoir brièvement rencontré ce dernier, à l’issue de sa garde à vue et hors procédure. « Nathalie était redevenue Johanna », constate un policier. De simple témoin, elle s’est retrouvée complice présumée, détenue aujourd’hui depuis trois ans. Delhomme, Oulamara, Petaux : c’est notre « conviction policière », avancent les enquêteurs à la barre. Mais « qu’est-ce qu’une conviction policière ? » questionne la présidente, chargée, avec ses assesseurs et le jury, d’établir une vérité judiciaire.