Alors que la fronde des juges d’instruction contre la nouvelle procédure pénale a gagné la plupart des grandes villes de France, Michel Vauzelle, le garde des Sceaux, a joué la sérénité en assurant que « le mouvement ne prendra pas d’ampleur »…
Avec la fronde des sept juges d’instruction du tribunal de Strasbourg, on pouvait encore parler d’acte isolé. Depuis hier, la grogne prend une ampleur sans précédent dans l’histoire de cette profession puisque l’appel de l’Association professionnelle des juges d’instruction (AFMI) reçoit un écho favorable dans de nombreux tribunaux.
A Caen, Toulouse, Béthune et partout en France, les magistrats instructeurs suivent l’exemple de leurs collègues strasbourgeois en demandant à être déchargés de leurs fonctions. Tandis qu’au tribunal de grande instance de Paris, la grande majorité des soixante-deux juges d’instruction se disent prêts « à demander à être déchargés de leurs fonctions ».
Pendant ce temps, le garde des Sceaux Michel Vauzelle consent enfin à s’exprimer sur le sujet. Résolument serein face à cette levée de boucliers, le ministre de la Justice assurait hier que « ce mouvement ne prendrait aucune ampleur» et que ce texte était « politiquement inattaquable». Michel Vauzelle est même allé jusqu’à faire un pari sur l’avenir, assurant qu’on ne toucherait pas à ce texte et souhaitant que «le peuple défende cette loi, car c’est une loi de libertés qui prend en compte les droits des victimes, les droits des innocents et les droits de la défense ».
Au vu de ces déclarations, on ne peut que constater une aggravation des divergences entre les magistrats et leur administration de tutelle. Les juges parisiens restent certes prudents puisqu’ils ne demandent pas officiellement à être déchargés mais constatent tout de même « le caractère parfaitement inapplicable de ce texte compte tenu de la multiplication des procédures qu’il instaure sans la mise en place de moyens budgétaires correspondants. (…)
Certaines dispositions de cette nouvelle loi entraîneront une inefficacité totale de la justice pénale, notamment dans les affaires de criminalité organisée, aboutissant ainsi à la mise en place d’une justice à deux vitesses et à l’impunité des grands délinquants ».
Reste à savoir si les juges d’instruction vont demeurer isolés dans la contestation. Alain Terrail, président de l’APM (Association professionnelle des magistrats), fait remarquer que « les greffiers suivent le sort des instructeurs puisqu’ils remplissent en quelque sorte la fonction de secrétariat logistique et de témoin privilégié de ces derniers. Ils seront donc mobilisables à tout moment et la multiplication des procédures va sans aucun doute leur demander de plus en plus de travail ».
Le sort des substituts au procureurs ne semble pas plus enviable puisque ces derniers devront immédiatement aviser une personne soupçonnée de l’ouverture d’un dossier sur elle. René Grouman, substitut au tribunal de grande instance de Paris, estime que cette nouvelle procédure «est tout simplement aberrante. Si on veut privilégier la défense, on utilise la meilleure méthode en permettant aux inculpés de détruire toutes les preuves à charges… »
Pour les substituts aussi les journées risquent de ne pas être assez longues pour remplir tous les nouveaux formulaires. « On perdra de plus en plus de temps à des futilités, confie René Grouman. Ainsi lorsque nous déciderons de déférer quelqu’un, il faudra se déplacer pour l’en aviser. Cela ne changera absolument rien pour la défense puisqu’il s’agira juste de rencontrer la personne physiquement. Ça n’a l’air de rien mais a Paris, 20 à 30 personnes sont chaque jour concernées par ce changement. »
Doit-on alors s’attendre à une fronde des substituts ? Peut-être dans les petits tribunaux où l’accumulation de travaux inutiles sans moyens supplémentaires risque de finir par en hériter plus d’un… Reste les avocats. Puisque la nouvelle réforme a pour but de renforcer les droits de la défense, ils ne se contentent plus de l’applaudir, préférant désormais donner des leçons de morale aux magistrats qui veulent l’enterrer. L’ADAP (Association des avocats pénalistes) par exemple, s’indigne de toutes ces manifestations de mécontentement, et se demande comment l’AFMI peut conseiller à ses adhérents de violer la loi alors que son rôle est de l’appliquer. «Cela manifeste curieusement le prix qu’elle attache au respect des libertés individuelles et publiques ».
Ces libertés qui sont prises en otage, estime Stéphane Maugendre, vice-président du Syndicat des Avocats de France : « Un certain nombre de magistrats affirment qu’ils lutteront contre la réforme par la mise en détention systématique. C’est tout simplement scandaleux. » Pour le responsable de ce syndicat, le nouveau texte est au contraire plein d’avancées, bien loin d’introduire une justice à deux vitesses : « Il ne faut pas raconter n’importe quoi. La grande délinquance sait depuis longtemps comment se comporter lors d’une garde à vue. La présence des avocats ne peut donc être favorable qu’aux plus faibles, les justiciables au quotidien qui n’ont bien souvent rien à se reprocher. »
Alors que l’on aurait pu croire le débat clos, il ne fait que commencer. D’autant que certains responsables politiques comme le député RPR Nicole Catala, estiment « qu’il appartiendra à l’opposition d’écarter cette mauvaise législation ».