Marie-Laure Colson, 27/02/1992
La Justice examinait hier les plaintes de six étrangers contre le ministère de l’Intérieur. Après le rejet par les Sages de l’amendement Marchand.
L’avocat Christian Bourguet considère ses pieds d’un air perplexe. Il fait un pas en direction de la présidente du tribunal de grande instance de Paris, qui assurait hier l’audience de deux affaires concernant des étrangers retenus par la police de l’air et des frontières à l’hôtel Arcade de Paris: «Je ne comprends pas. Dans ce sens, je suis sur le territoire français… » Ses pieds virevoltent sous la robe…et dans celui-là, je suis en zone internationale. Comment un même territoire peut-il avoir deux statuts différents, selon que l’on en sorte ou que l’on y entre?»
C’est la question de fond de ce procès qui oppose six étrangers, cinq Haïtiens et une Zaïroise, au ministère de l’Intérieur, et Christian Bourguet vient de mimer les deux thèses qui font toute l’ambiguïté du problème. Puisqu’aucun texte ne légalise cette zone et que le Conseil constitutionnel vient tout juste de rejeter l’amendement Marchand, faut-il aujourd’hui s’appuyer sur l’arrêt Eksir rendu en 1984 par le Conseil d’État (la zone de transit n’appartient pas au territoire national) ou sur l’arrêt Youssef rendu en 1987 par la cour de cassation (la zone de transit appartient au territoire national) ?
Bien évidemment, la décision rendue la veille par le Conseil constitutionnel a largement été utilisée par l’avocat de la défense comme par ceux de l’accusation. Me Farthouat, qui représentait le ministère de l’Intérieur, s’est dit « singulièrement conforté » par le texte des Sages, qui rappelle que l’État est souverain pour apprécier le droit d’entrée des étrangers sur son territoire. Il a fait valoir que l’hôtel Arcade n’était certes pas «le paradis», mais que c’était toujours mieux qu’un centre de rétention, ce que souligne d’ailleurs le Conseil constitutionnel.
Mais mardi, les Sages ont également renvoyé le ministère de l’Intérieur l’article 66 de la Constitution, qui garantit les libertés individuelles. Or, il existe des textes (articles 5 et 35bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 conformes à ce principe, dont les avocats de l’accusation se demandent pourquoi on rechigne tant à les utiliser. L’un d’entre eux, Sylvia Lausinotte a rappelé que ces mesures contenues dans l’article 35bis avaient été prises à la suite de l’émotion soulevé par la découverte du centre de détention clandestin d’Arenc, près de Marseille, et a fait le parallèle avec l’hôtel Arcade. L’accusation a d’ailleurs conseillé à la présidente Cochard d’aller vérifier sur les lieux mêmes que le conditions faites aux étrangers a l’hôtel Arcade relevaient tout simplement de la détention.
Pour eux, il y à l’évidence « séquestration arbitraire », donc voie de fait. Mais il y a également violation du droit d’asile. Me Simon Foreman a rappelé à cet égard que la Convention de Genève comme la Convention européenne des droits de l’homme, ratifiées par la France, imposaient aux États signataires de ne pas refouler les demandeurs d’asile vers un pays ils courraient des risques. Ce principe a été bafoué, a-t-il affirme hier, puisque chacun des six plaignants aurait été, sans l’intervention des avocats et celle du Gisti, une association de défense du droit des étrangers, mis dans un avion à destination de Port-au-Prince ou de Kinshasa. L’affaire est d’autant plus grave, souligne-t-il, que depuis lors, deux d’entre eux ont déjà obtenu le statut de réfugié.
Plus largement, c’est donc la pratique du droit d’asile en France qui est mise en cause par l’accusation dans ces deux affaires, et notamment l’importance que prend progressivement le premier « tri » effectué par la police dés qu’un demandeur d’asile met le pied hors de l’avion. Mais quel que soit le jugement que rendront les magistrats le 25 mars prochain, le Conseil constitutionnel a bel et bien confirmé le droit qu’a le ministère de l’Intérieur depuis 1982 de vérifier que les demandes d’asile ne sont « manifestement pat infondées». Un droit qui n’est pat négligeable puisqu’il lui permet de refouler, avant même qu’ils ne déposent leurs dossiers à l’OFPRA, 45 % des demandeurs d’asile.