Ouverture du «tribunal d’exception» pour sans-papiers

logo-liberation-311x113 , Sylvain Mouillard

Ce n’est pas un tribunal comme les autres. Coincé entre une caserne de CRS et un champ de maïs, bercé par le ballet incessant des avions de l’aéroport voisin de Roissy-Charles-de-Gaulle, l’annexe «délocalisée» du TGI de Meaux au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) a ouvert ses portes ce lundi matin. Un «tribunal d’exception», selon ses détracteurs, qui jugera quelque 3 000 étrangers en situation irrégulière enfermés dans le centre de rétention administrative (CRA) mitoyen. C’est là toute l’ambiguïté du lieu. «Tout, ici, est géré par les services de police, déplore Mylène Stambouli, avocate de la Ligue des droits de l’Homme et de la Cimade, venue argumenter à la barre. L’apparence d’impartialité du tribunal n’est pas respectée.»

Les associations d’aide aux sans-papiers et les avocats, après avoir organisé une visite des lieux fin septembre, sont venus en force pour les premières audiences, profitant de cette tribune pour dénoncer une réforme qu’ils jugent indigne. La petite salle qui accueille les débats est bondée de journalistes et de militants de RESF. Les «bip-bip bip» du portique de sécurité sonnent à intervalles réguliers, tandis que quatre agents de la police aux frontières (PAF) attendent, impassibles, adossés contre le mur. Le premier étranger à comparaître est un Sénégalais de 30 ans, en France depuis 14 années. Sweat à capuche, lunettes noires, l’homme est retenu au Mesnil-Amelot depuis vingt-cinq jours. Le juge des libertés et de la détention (JLD) doit statuer sur une éventuelle prolongation de sa rétention de vingt jours.

«Une famille de sans-papiers n’osera jamais venir assister à l’audience»

Les avocats multiplient les réserves. Outre le manque «apparent» d’impartialité du tribunal, ils dénoncent l’absence de publicité des débats. «L’accès à cette salle est très difficile, déplore Mylène Stambouli. Il faut près d’une heure et demie en transports en commun depuis Paris, ce qui représente aussi un budget important pour les familles, plus de 20 euros. Les chauffeurs de bus ne connaissent même pas l’existence de cette annexe, et la signalétique pour y accéder est insuffisante.» Rien à voir, selon les avocats, avec les palais de justice classiques, situés dans au cœur des villes.

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«Comment voulez-vous que la justice soit rendue sereinement et de manière impartiale dans ces conditions ?», se demande Catherine Herrero, du Syndicat des avocats de France (SAF). «Tout se déroule sous les yeux des agents de la PAF, qui contrôlent les entrées. Une famille de sans-papiers n’osera jamais venir assister à l’audience.» Sa consœur Mylène Stambouli redoute également une possible démobilisation des avocats. «Nous ne pourrons pas être là tous les matins, quand il faudra se lever à 6 heures et prendre le RER à 7 heures», le tout pour une rémunération modeste, la plupart des défenseurs exerçant au titre de l’aide juridictionnelle.

«Cette salle d’audience, le précédent ministre de l’Intérieur en avait rêvé. La garde des Sceaux l’a réalisée», résume Stéphane Maugendre, avocat du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Fustigeant une «régression totale du fonctionnement de la justice», il appelle le juge à mettre fin à cette nouvelle expérience. Les associations comptent faire appel d’un maximum de décisions, espérant qu’une plus haute juridiction obligera à fermer la salle d’audience. Du côté des représentants de l’Etat, on n’en démord pas. L’antenne délocalisée est une «avancée», qui évitera de longs et coûteux transferts au tribunal de Meaux. Évoquant la jurisprudence existante, les avocats des préfectures martèlent que la salle est tout à fait «licite».

«On verra pour le chauffage»

Une position reprise par le JLD chargé de l’examen du premier dossier de la matinée. La salle est bel et bien «conforme aux exigences de la Constitution» et «sauvegarde les libertés fondamentales». De plus, si elle est à «proximité immédiate» du centre de rétention, elle en est «séparée» et tout à fait «autonome». Enfin, les transports en commun sont «certainement perfectibles, mais d’ores et déjà suffisants» pour garantir la publicité des débats, relève l’ordonnance. Quant aux protestations de la Cimade, qui déplore ne pas avoir pu rencontrer les sans-papiers dans la salle d’attente qui leur est dévolue, elles sont balayées par le deuxième juge présent ce lundi matin. «C’est le problème de la Cimade, qui, je le rappelle, touche 800 000 euros d’argent public par an pour exercer cette mission.» Protestations feutrées dans la salle : «C’est un con, ce juge ! Il est vraiment partial.»

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Au final, le jeune homme sénégalais voit sa rétention prolongée. «Est-ce que je peux regagner ma cellule ? Il fait trop froid dans la salle d’attente», demande-t-il. Le juge accepte. «On verra pour le chauffage. Il y a peut-être effectivement un problème de réglage.»

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