Plusieurs ONG ont demandé mercredi à la justice française d’établir les responsabilités dans la mort de 63 migrants qui fuyaient la Libye par la mer en 2011, accusant la marine française d’avoir ignoré leurs appels de détresse, ce que conteste le ministère de la Défense.
Quatre survivants de ce périple cauchemardesque devraient déposer vendredi une plainte contre X à Paris pour non assistance à personne en danger, a précisé Me Stéphane Maugendre, président du Groupe français d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti), l’une des organisations associées à cette initiative.
« La connaissance par les militaires français du bateau en péril est avérée », indique ce projet de plainte, que l’AFP a pu consulter. « L’armée française ne pouvait pas ignorer le péril pesant sur cette embarcation et le besoin d’assistance de ses passagers. »
Une accusation que rejette catégoriquement le ministère de la Défense, la qualifiant de « totalement infondée » sur la foi notamment d’un rapport du Conseil de l’Europe publié fin mars.
« Celui-ci ne met à aucun moment en cause la France. Et, comme l’a écrit le ministre Gérard Longuet à son auteur (la sénatrice néerlandaise Tineke Strik, ndlr), aucun bâtiment français n’opérait à ce moment-là dans la zone concernée », a déclaré à l’AFP le porte-parole Gérard Gachet.
Le 26 mars 2011, quelques jours après le début du conflit libyen, 70 Africains âgés de 20 à 25 ans et deux bébés avaient embarqué à bord d’un fragile canot pneumatique, dans l’espoir d’atteindre dans les 24 heures les côtes européennes.
A court de carburant le 28 au matin, le bateau avait dérivé jusqu’à être rejeté sur les côtes libyennes par une tempête le 10 avril. Seuls neuf personnes ont survécu.
Pendant les deux semaines de cette épreuve, affirme la plainte, l’embarcation fut photographiée par un avion de patrouille français, survolée à deux reprises par un hélicoptère et croisa au moins deux bateaux de pêche et plusieurs autres navires, dans une zone que surveillaient des dizaines de bâtiments de guerre.
Le 3 ou le 4 avril, selon la plainte, un grand navire de couleur gris-clair portant deux hélicoptères s’approcha à quelques dizaines de mètres des migrants qui, en vain, appelèrent à l’aide en montrant les dépouilles des bébés.
Les naufragés parvinrent également à l’aide d’un téléphone satellitaire à avertir le responsable d’une association italienne qui alerta les garde-côtes italiens, lesquels relayèrent l’appel de détresse à l’ensemble des navires circulant dans la zone, mais également au quartier-général de l’Otan à Naples.
« Il semble bien plus probable que lesdits militaires aient préféré considérer que le sauvetage de migrants en détresse ne relevait pas de leur mission », peut-on lire dans la plainte.
« Quel que soit le lieu où se trouvaient les bateaux, ou les avions ou les sous-marins français qui avaient connaissance de cet appel de détresse, le fait de ne pas avoir dévié sa route pour aller porter secours à ces personnes-là, c’est une non assistance à personne en danger », a déclaré à la presse Me Maugendre.
Cette plainte vise la France mais d’autres pays sont susceptibles d’être concernés, a indiqué le président d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), Patrick Baudouin: « On se réserve d’agir (…) dans d’autres pays européens ».
La coalition d’ONG appuyant la plainte a notamment tenté d’identifier les pavillons des bateaux et hélicoptères ayant croisé la route des naufragés, sachant que, selon elle, les armées française, américaine, espagnole, canadienne, britannique et italienne étaient sur zone.
La FIDH affirme avoir envoyé des courriers à ces Etats et à l’Otan, sans obtenir jusque-là de « réponses suffisantes ».