Laurent Mouloud, 8/12/2008
Bavure . Accusée d’avoir acheté du maïs à des vendeurs à la sauvette, une quinquagénaire sans histoire a été violemment interpellée par trois policiers. Ils la poursuivent aujourd’hui pour « outrage » !
Expérience oblige, l’avocat Stéphane Maugendre n’est pas du genre à s’enflammer à la moindre annonce de bavure. Mais là, dit-il, « les policiers ont dépassé les bornes ! ». En effet. Car, voyez-vous, sa cliente, Augusta Marchand, quinquagénaire sans histoire, a eu le tort de posséder dans son sac à main… un épi de maïs. Un fait qui lui a valu une interpellation musclée, une nuit à l’hôpital et une convocation, aujourd’hui, devant la 28e chambre du tribunal correctionnel de Paris, où elle devra répondre d’« outrage » envers deux brillants pandores.
L’affaire remonte au dimanche 28 septembre. Nous sommes à Paris, en fin de matinée. Française originaire du Nigeria, Augusta n’a pu assister à la messe de 11 heures. Aussi décide-t-elle d’aller faire quelques courses. Elle passe dans un KFC, achète deux morceaux de poulet épicés et une « cobette » de maïs emballée dans un sachet. En attendant midi (diabétique, Augusta doit manger à heure fixe), elle range le tout dans son sac et reprend le métro. À la sortie de la station Château-Rouge, deux jeunes filles vendent du maïs à la sauvette. Augusta regarde dans son sac pour « comparer » avec celui qu’elle vient d’acheter, relève la tête. Les deux vendeuses s’enfuient, tandis que trois policiers approchent.
« Je n’ai pas couru, explique-t-elle. J’étais sûr de mon bon droit. » Les trois agents – deux hommes et une femme – lui demandent de montrer ses papiers et le contenu de son sac. Augusta s’exécute. « Vous savez qu’il est interdit d’acheter du maïs, c’est un délit », enchaîne un des policiers. « Mais je ne l’ai pas acheté là », répond Augusta. La policière : « Vous êtes en état d’arrestation. » Effarée, la femme proteste. Le ton monte. Des gens s’attroupent et les noms d’oiseaux volent. Un des policiers tente de menotter Augusta. Elle résiste. « Il m’a pris le bras et, sans prévenir, j’ai reçu deux coups de bottes dans les jambes », assure-t-elle. La voilà ventre à terre, un genou appuyé dans le dos, son pagne remonté, la laissant à demi-nue. C’est la confusion. Des gaz lacrymogènes sont lancés pour disperser la foule.
Évidemment, la version policière est bien différente. Eux parlent d’une femme « franchement hostile », qui aurait tenté de « liguer la foule » contre eux et se serait écriée : « J’en ai rien à foutre de votre contrôle ! Je vous emmerde ! » Un récit, selon Me Maugendre, en complet décalage avec le profil de cette catholique pratiquante, mariée à un ingénieur et mère de deux enfants en études supérieures. « Les policiers voudraient aussi nous faire croire que cette femme de cinquante-trois ans, qui se déplace difficilement, les auraient bousculés pour tenter de s’enfuir en courant ! C’est ubuesque. »
Augusta Marchand se retrouve finalement au commissariat du 18e arrondissement. Elle décrit des auditions tendues et une attitude provocante des policiers. Ces derniers auraient refusé, notamment, de lui rendre son sac à main alors qu’elle avait besoin de prendre du sucre. Augusta devra aussi patienter plusieurs heures en cellule avant d’être emmenée – menottée ! – à l’hôpital. Sur place, le médecin décide de la garder pour la nuit. Sitôt dehors, elle file à l’Hôtel-Dieu. Verdict : « douleurs multiples » au poignet droit, à l’épaule gauche, au genou droit et au tibia, ainsi qu’une « ecchymose » d’une dizaine de centimètres à la cheville gauche. Augusta Marchand a porté plainte pour « violences » auprès du procureur de la République, déclenchant une enquête de l’inspection générale des services (IGS). Alertée, la sénatrice communiste Nicole Borvo Cohen-Seat a aussi saisi la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) sur cette affaire.
De leur côté, seulement deux des trois policiers impliqués ont porté plainte pour « outrage ». Une prudence suspecte. Tout comme est énigmatique la signature d’Augusta Marchand figurant au bas du PV de notification de garde à vue. Un document que la femme assure n’avoir jamais signé. « On m’y attribuait des phrases insultantes prononcées par des jeunes pendant l’attroupement, s’indigne-t-elle. Des mots que je n’ai jamais utilisés en vingt ans de présence en France ! » Me Maugendre a agrandi la fameuse signature. « Il s’agit d’un faux, cela ne fait guère de doute. » Quant à la « cobette » de maïs ? Augusta ne l’a pas mangée. Elle l’a conservée soigneusement dans son congélateur. Comme pièce à conviction.