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Les OQTF, la nouvelle obsession du ministère de l’Intérieur

Le ministre de l’intérieur ne cache pas son intention depuis des mois : il veut rendre « la vie impossible aux étrangers en situation irrégulière ».

Publié le 13 mars 2023, par Céline MarteletAlexandre Rito, photos Alexandre Rito

Il est 12h10, ce mardi 10 janvier, lorsque plusieurs femmes et hommes en uniforme se placent au bout d’un quai de la Gare du Nord à Paris. Ils sont sept au total. Des policiers, des membres de la sûreté ferroviaire et trois fonctionnaires de la police aux frontières, la PAF. Tous en rang, ils dévisagent les passagers qui s’engagent sur ce quai. Sur l’écran, la destination s’affiche : Calais, départ 12H25. Seuls quelques passagers pressés passent devant eux en poussant des valises à roulettes. Personne n’est arrêté pour un contrôle d’identité.

Quelques minutes plus tard, les forces de l’ordre se déplacent de quelques mètres pour surveiller les passagers d’un train en provenance d’Amsterdam. Il est 12h35.

C’est exactement en descendant de ce train que Azizullah (le prénom a été modifié) a été arrêté en décembre dernier. Ce jour-là, le jeune Afghan posait pour la première fois le pied en France avec l’intention d’y déposer une demande d’asile. Pour arriver à la Gare du Nord, pendant plus d’un an, le jeune homme a traversé l’Iran, la Turquie et l’Europe jusqu’en France. A peine débarqué à Paris, il n’a pas même pas eu le temps d’appeler l’Ofii, l’Office Français de l’Immigration de l’Intégration : la police lui a immédiatement délivré à sa descente du train une OQTF, une obligation de quitter le territoire français.

Lorsque nous le rencontrons devant les bureaux de l’Ofii à  Paris, Azizullah est complètement perdu. Il plie et replie avec angoisse cette feuille blanche avec l’insigne “Préfecture de Police”. Les traits creusés par deux nuits dans la rue, le jeune afghan cherche désespérément à saisir le sens de ce document que la police française lui a remis il y a 48 heures. Dans la file d’attente, un autre Afghan se dirige vers lui et vient lui faire comprendre qu’il doit quitter la France. Le regard d’Azizullah se fige « J’ai fui l’Afghanistan, lorsque les talibans ont repris le pays. Je ne vais pas y retourner. » Quelques minutes plus tard, le jeune homme est reparti.

Des exilés en détresse, la Cimade en reçoit plus d’une centaine par jour dans sa permanence du 17eme arrondissement. Dès 8H30, ils sont déjà des dizaines à attendre sur le trottoir. Des femmes, des enfants, des hommes.  Dans le froid Michèle, l’une des bénévoles, tente d’organiser les choses. À l’intérieur, dix bénévoles reçoivent, écoutent et orientent avec patience ces exilés. Beaucoup sont sous le coup d’une OQTF, une mesure administrative d’éloignement des étrangers prévue en droit français depuis 2006. Assise derrière une petite table, Anne-Marie tend deux grandes enveloppes à Ali ( le prénom a été modifié), un malien. « Il faut aller déposer une requête au tribunal administratif le plus rapidement possible, il vous reste moins de 24 heures. » Anne Marie est bénévole à la Cimade depuis 20 ans. Elle poursuit, « Ali, par les temps qui courent, n’allez pas dans les gares, ne prenez pas trop le métro ou le bus. » La veille, Ali a été arrêté  sur un chantier de construction où il travaillait. Il vit en France en situation irrégulière depuis cinq ans. « C’est compliqué. Je ne sais pas si cela va marcher devant les juges s’ils vont me laisser rester en France et annuler cette OQTF », confie le malien. « J’ai peur de me faire arrêter encore en sortant d’ici maintenant je suis sur mes gardes. »


À la table juste derrière une autre bénévole reçoit une femme avec un bébé dans les bras. Et, elle donne aussi ce même conseil : ne pas aller dans les gares. « La semaine dernière, j’ai eu trois cas de personnes interpellés à Gare du Nord qui se sont vus notifier des OQTF. Ils font des contrôles au faciès », assure Anne-Marie.

Pour toutes les associations qui viennent en aide aux  personnes sans-papiers, une circulaire a déclenché un emballement ,  “ une chasse aux étrangers en situation irrégulière” pour certains interlocuteurs : celle dite du 17 novembre . Dans ce texte adressé aux préfets, les instructions de Gérald Darmanin sont très claires: « Je vous demande d’appliquer à l’ensemble des étrangers sous OQTF la méthode employée pour le suivi des étrangers délinquants ». Pour cela, le ministre de l’Intérieur demande aux préfets de délivrer des « Obligation à quitter le territoire français à l’issue d’une interpellation ou d’un refus de titre de séjour » et « d’exercer une véritable police du séjour ».

Cette circulaire préfigure la future loi sur l’immigration voulue par le gouvernement, et portée par Gérald Darmanin. Le texte doit être étudié fin mars au Sénat. La moitié des vingt-sept articles de ce projet de loi se concentrent sur les étrangers en situation irrégulière que le gouvernement veut pouvoir expulser plus facilement,  avec en premier lieu ceux déjà condamnés pour des crimes et des délits punis de dix ans ou plus d’emprisonnement. Le texte prévoit aussi de « réduire le champ des protections contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français lorsque l’étranger a commis des faits constituant une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat ».

“La menace à l’ordre public” pour des OQTF à la chaîne.

Le 5 octobre 2022, le préfecture de Police de Paris ordonne le démantèlement d’un camp d’exilés dans le 19eme arrondissement de Paris. Ce jour-là, vingt-sept personnes sont envoyées au Centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, près de l’aéroport Paris Charles-de-Gaulle. Parmi elle, Majid ( le prénom a été modifié), un jeune syrien de 22 ans. Le motif de son OQTF ? : « Outrage à une personne chargée d’une mission de service public. » Rencontré au CRA, Majid l’assure, il n’a menacé aucun policier. Aucune procédure judiciaire n’a d’ailleurs été engagée contre lui.

« Ce motif de menace à l’ordre public est de plus en plus utilisé, constate Justine Langlois, avocate au barreau de Seine Saint Denis. Auparavant, elle était utilisée surtout pour motiver les OQTF des personnes condamnées mais aujourd’hui, elle est utilisée pour la moindre interpellation avec un outrage. Les forces de l’ordre ont des directives : utiliser la menace à l’ordre public pour donner plus de force à l’OQTF en cas de recours. » Contacté sur ce point, le ministère de l’intérieur n’a pas donné suite à nos demandes.

En décembre 2022,  Alpha est arrêté après un contrôle d’identité musclé dans une rue à Paris. Le père de famille malien est en situation irrégulière, pendant sa garde à vue, on lui délivre une OQTF mais personne ne lui donne le document qui lui permet de faire un recours devant le tribunal administratif dans les 48H . Alpha insiste. « L’un des policiers m’a dit “retourne en Afrique” », se souvient-il. Le malien, âgé de 30 ans, retourne donc au commissariat accompagné d’un bénévole de la Cimade.

« Les policiers l’ont tutoyé. Moi, ils me vouvoyaient, » s’insurge Eric. « Le droit des étrangers aujourd’hui n’est plus le même. Si tu es étranger tu n’es pas traité de la même manière, c’est évident ! » A force d’insister, Alpha parvient à récupérer son OQTF, et parvient à déposer un recours à la dernière minute. « Je me suis dit de toute façon avec eux, je ne vais jamais gagner alors je n’ai rien dit face aux propos racistes. »

Vivre dans l’angoisse.  

Dans son projet de loi initial voulu par Gérald Darmanin prévoyait de délivrer une OQTF aux demandeurs d’asile dès le rejet de leur dossier par l’OFPRA. Mais l’exécutif a finalement écarté cette mesure. Pourtant dans les faits, elle est déjà appliquée. Dans le Morbihan, Giorgi et Galina, un couple de Géorgiens doivent y faire face depuis plusieurs mois. Avec leurs enfants âgés de 7 et 11 ans,  en juin 2022, ils fuient la Géorgie où le père est menacé par un groupe mafieux. Après un périple entre la Russie et la Turquie, la famille arrive quelques semaines plus tard à Questembert après avoir déposé une demande d’asile. Les enfants vont très vite à l’école. Les parents prennent des cours de français. Le 30 novembre 2022, le couple reçoit un courrier de l’OFPRA leur annonçant que leur demande d’asile est rejetée. Motif : les risques d’atteintes graves auxquels ils se disent exposés en cas de retour dans leur pays ne sont pas avérés. Un premier choc. Le deuxième arrive fin janvier. Giorgi et Galina se voient notifier une OQTF. Aussitôt, l’école où sont scolarisés les enfants se mobilise pour empêcher cette expulsion. Le maire de Questembert et des élus suivent le mouvement. Le 1er mars, le recours de la famille a été examiné par le tribunal administratif de Rennes. La décision est attendue dans 15 jours. « Ils se sont enfuis en laissant une vie derrière eux, en essayant de ménager leurs enfants tant bien que mal et puis finalement en arrivant ici , l’insécurité est toujours présente, tient à préciser Kristel, membre du comité de soutien de la famille. On leur dit qu’on ne veut pas d’eux pour des raisons plus hautes qui leur échappent. Tout cela est très angoissant. Mais, ils restent souriants malgré le stress de devoir peut-être repartir dans un pays où ils sont clairement menacés. »

Selon les derniers chiffres du ministère de l’intérieur disponible, au premier semestre 2021, 62 207 OQTF ont été prononcées en France. 3 500 ont été exécutées seulement. En cause, la difficile identification des individus mais aussi le manque de coopération des pays d’origine qui refusent de délivrer des laissez-passer consulaires nécessaires au retour de leurs ressortissants.

Pour les femmes et hommes qui se sont vus notifier une OQTF , le quotidien change. « C’est une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, à tout moment ils peuvent être conduits dans un centre de rétention administrative », confie Stéphane Maugendre , avocat et président du Gisti. « S’ils prennent le métro ou leur voiture, ils ont peur. Finalement, c’est chez eux qu’ils sont un peu tranquilles. On est en train de créer une catégorie de sans-papiers ultra-précaire. »

Cette angoisse, Rama, la trentaine la vit à chaque minute. Sous le coup d’une OQTF, après avoir été arrêtée et placée en garde à vue dans le cadre d’une enquête toujours en cours, la jeune mère a été envoyée au centre de rétention administrative de Mesnil-Amelot .« J’entends passer les avions au-dessus de ma tête, je me dis que bientôt je vais être à bord de l’un d’eux. » Lorsqu’elle s’assoit dans la petite salle réservée aux visites, Rama est rongée par l’inquiétude. « Ils veulent m’envoyer au Sénégal. Je ne connais pas ce pays. Je suis arrivée en France à l’âge de 4 ans », s’agace Rama. Son fils de trois ans est français. Il vit aujourd’hui chez sa grand-mère. « De toute façon, ils peuvent m’expulser. Je vais revenir, toute ma famille est ici », lance déterminée Rama avant de retourner au bâtiment 3, celui réservé aux femmes dans ce CRA de Mesnil-Amelot.

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La France assume de délivrer des OQTF à des personnes non expulsables

Nejma Brahim, Mardi 17 janvier 2023

L’attaque qui a fait six blessés, dont un grièvement, mercredi 11 janvier, à la gare du Nord à Paris, aurait été perpétrée par une personne étrangère en situation irrégulière, qui pourrait être de nationalité libyenne ou algérienne, selon les derniers éléments communiqués par le parquet de Paris. Des sources policières n’ont pas tardé à préciser que l’auteur des faits faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), signée l’été dernier par une préfecture en vue d’un renvoi vers la Libye, comme le confirme le ministère de l’intérieur auprès de Mediapart.

L’affaire vient une nouvelle fois démontrer les obsessions du ministère de l’intérieur en matière de chiffres concernant les expulsions. Si l’on ignore encore le profil et les motivations de l’individu interpellé –deux proches de son entourage ont été entendus jeudi –, il s’avère que l’OQTF dont il faisait l’objet n’avait pas été exécutée, puisque l’instabilité que connaît la Libye et le manque de relations diplomatiques avec ce pays ne permettent pas de renvoyer qui que ce soit là-bas.

Sans surprise, l’extrême droite n’a pas tardé à s’exprimer : « Le nombre de clandestins sous le coup d’une OQTF impliqués dans des actes criminels se multiplie. La future loi sur l’immigration devra apporter une réponse ferme et déterminée à cette menace exponentielle. Nous y veillerons », a tweeté Marine Le Pen en réaction à un article de BFMTV, indiquant que l’individu était connu des services de police pour des faits de droit commun, « principalement des atteintes aux biens ».

« L’assaillant de la gare du Nord qui a blessé six personnes faisait l’objet d’une OQTF et aurait crié “Allah Akbar” au moment des faits. Quand ces OQTF seront-elles enfin exécutées ? », a réagi de son côté Éric Ciotti, sans prendre la moindre précaution quant aux propos prononcés, qui pour l’heure ne sont pas avérés.

Le parquet de Paris, qui a ouvert une enquête pour « tentative d’assassinat » et confié les investigations à la police judiciaire, confirme ses antécédents mais se montre prudent. « L’identification précise du mis en cause est en cours, ce dernier étant enregistré sous plusieurs identités dans le fichier automatisé des empreintes digitales alimenté par ses déclarations au cours de précédentes procédures dont il a fait l’objet », indique un communiqué de la procureure de Paris. « Il pourrait s’agir d’un homme né en Libye ou en Algérie et d’une vingtaine d’années, dont l’âge exact n’est pas confirmé. »

Un profil ni régularisable ni expulsable.

Le ministère de l’intérieur

Une question subsiste : pourquoi délivrer une OQTF à un ressortissant supposé être libyen, lorsque l’on sait qu’on ne peut expulser vers la Libye ?

Interrogé à ce sujet, le ministère de l’intérieur s’explique, tout en soulignant que l’enquête est toujours en cours : « L’individu est a priori libyen. La Libye étant un pays instable et en guerre, il n’y a pas d’éloignement vers ce pays. L’OQTF est la conséquence d’une situation administrative irrégulière. En l’absence de droit au séjour, elle est appliquée par les services. En l’espèce, il s’agit d’un profil ni régularisable ni expulsable. »

L’objectif est de prendre une OQTF malgré tout, poursuit le ministère, afin que l’individu « puisse être expulsé dès que la Libye sera stabilisée ».

Depuis plusieurs années, outre la Libye, la France n’expulse plus vers un certain nombre de pays comme la Syrie, l’Afghanistan ou plus récemment l’Iran, considérant que la situation de ces pays, ravagés par les guerres, les conflits, l’instabilité ou la répression, ne permettent pas de garantir la sécurité des personnes éloignées. Parce qu’il est trop compliqué, aussi, d’obtenir les laissez-passer consulaires nécessaires au renvoi d’un ressortissant de ces pays lorsque les relations diplomatiques sont rompues.

Il n’existerait pas de liste « officielle » des pays vers lesquels on ne renvoie pas, bien que des associations d’aide aux étrangers plaident pour que ce soit le cas et pour qu’une position claire soit adoptée par les autorités. « On ne peut pas prononcer des OQTF à des ressortissants tout en sachant qu’on ne peut pas les expulser, en arguant qu’on ne peut pas négocier avec les talibans ou Bachar al-Assad, c’est absurde », commente un représentant associatif.

Selon des sources associatives, au moins 44personnes se déclarant de nationalité libyenne ont ainsi été enfermées en rétention en2022, contre 119 en 2021 et 110 en 2020. Aucun ressortissant libyen n’a été expulsé vers la Libye au cours des dernières années, assure le ministère de l’intérieur.

De plus en plus d’Afghans font aussi l’objet d’une OQTF et sont placés en centre de rétention administrative (CRA), ces lieux de privation de liberté où sont enfermés les sans-papiers en attente de leur éloignement (90 jours au maximum avant d’être libérés). Début 2022, l’association La Cimade craignait des expulsions « par ricochet » (voir ici ou ), c’est-à-dire des renvois de ressortissants afghans vers des pays n’ayant pas suspendu les expulsions vers l’Afghanistan (c’était le cas, par exemple, de la Bulgarie).

Des ressortissants syriens, comme a pu le documenter Mediapart, se voient eux aussi délivrer des OQTF et sont placés en CRA pendant des jours alors même qu’ils ne sont pas expulsables. Marlène Schiappa le réaffirmait d’ailleurs sur France Inter fin novembre dernier : la France « ne renvoie pas quelqu’un vers la Syrie ».

Cela n’a pas empêché non plus la préfecture de l’Aude de prononcer une OQTF contre une ressortissante iranienne, qui avait pourtant fui la répression qui sévit dans son pays face au mouvement de révolte des femmes, lui enjoignant de quitter le territoire français et de « rejoindre le pays dont elle possède la nationalité ».

Une stratégie contradictoire avec les objectifs du gouvernement

Ces OQTF précarisent les étrangers et étrangères qu’elles visent, les contraignant à vivre dans l’ombre et dans la crainte du moindre contrôle, y compris lorsqu’ils et elles se rendent sur leur lieu de travail.

Ces personnes sont aussi conscientes que l’OQTF est bien souvent associée à la notion de délinquance, alors même que beaucoup n’ont rien à se reprocher.

Un système « contre-productif » aux yeux de l’avocat Stéphane Maugendre, spécialiste en droit des étrangers et en droit pénal, qui « surprécarise les personnes parfaitement insérées en France », mises en difficulté dans chaque petit acte du quotidien et aujourd’hui stigmatisées par les discours répétés de Gérald Darmanin visant à faire un trait d’union entre OQTF et délinquants dits étrangers.

En guise d’exemple, l’avocat cite le cas récent de deux de ses clients, victimes du caractère aujourd’hui systématique de la délivrance des OQTF : l’un était déjà en cours de recours au tribunal administratif, l’autre avait déposé une demande d’admission exceptionnelle au séjour en préfecture et travaille dans un métier en tension – il pourrait donc être concerné par la future mesure voulue par Gérald Darmanin dans le projet de loi immigration à venir, censé permettre de régulariser plusieurs milliers de sans-papiers qui répondent à certains critères (lire notre analyse).

Dans une course aux chiffres, les autorités continuent de délivrer toujours plus d’OQTF, et tant pis si, dans le lot, un certain nombre de personnes ne peuvent être éloignées du territoire. Une stratégie contradictoire avec les objectifs que se sont fixés le chef de l’État et son gouvernement concernant le taux d’exécution de ces OQTF, qu’ils aimeraient voir augmenter. En 2019, Emmanuel Macron promettait même, dans une interview à Valeurs actuelles,d’exécuter 100 % des OQTF – un objectif intenable.

Plus récemment, son ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, donnait aux préfets pour instruction de « prendre des OQTF à l’égard de tout étranger en situation irrégulière, à l’issue d’une interpellation ou d’un refus de titre de séjour », et se réjouissait « d’améliorer le résultat » concernant le nombre d’OQTF exécutées en 2022, en hausse de 22 % à la date de novembre dernier.

« En 2021, la France est le pays d’Europe qui a le plus expulsé », s’est aussi vantée, surFrance Inter, l’ex-secrétaire d’État chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa. Mais cette surenchère sur la délivrance d’OQTF pourrait avoir enfermé le gouvernement dans une spirale infernale. Soumises à des injonctions contradictoires, les préfectures sont poussées à délivrer des obligations de quitter le territoire sans même étudier les cas particuliers – ces mêmes cas qui ne peuvent, de fait, pas contribuer à améliorer le taux d’exécution des OQTF puisqu’il s’agit de personnes non expulsables.

Pour MStéphane Maugendre, le ministère de l’intérieur et les préfectures sont « tombés dans une sorte de piège » « Ils ont multiplié les OQTF, de manière systématique, pour pouvoir dire que des mesures d’éloignement sont prises. Sauf que plus il y a d’OQTF délivrées, moins leur taux d’exécution a de chance d’augmenter, parce que derrière, il y a des contingences matérielles et il faut des moyens colossaux pour y arriver. »

Une analyse qui se retrouve dans les chiffres, notamment entre 2016 et 2019, période durant laquelle le nombre d’OQTF prononcées bondit de 50,4 % pour atteindre 122 839 OQTF par an, tandis que leur taux d’exécution chute de près de 10 points, passant de 14,3 % à 4,8 %. Si les chiffres enregistrent une forte baisse en 2020 et en 2021, c’est lié à la crise sanitaire du Covid-19, qui n’a pas permis d’éloigner les personnes en situation irrégulière.

Certains États, notamment du Maghreb, rechignent aussi à délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires, entraînant alors un véritable bras de fer entre les autorités de ces pays et Paris. La France a choisi d’instaurer un « chantage » aux visas pour les obtenir, et, un an plus tard, la stratégie semble avoir payé pour l’Algérie, qui reprend plus facilement ses ressortissants aujourd’hui – la sœur de la meurtrière présumée de la petite Lola a d’ailleurs été expulsée vers l’Algérie mi-décembre, a-t-on appris via l’AFP. Le 19 décembre, un retour à la normale a depuis été annoncé par Gerald Darmanin pour l’octroi des visas aux Algérien·nes.

Également président honoraire du Groupe d’information et de soutien aux immigré·s (Gisti), Stéphane Maugendre estime que les OQTF sont devenues la « nouvelle tendance », notamment depuis le meurtre de Lola, dont la meurtrière présumée était une ressortissante algérienne sous OQTF. « On qualifie désormais les personnes au regard de leur situation administrative, on parle automatiquement de l’OQTF dont ils font l’objet, qui, faut-il le rappeler, n’est pas une mesure d’expulsion mais une décision prise par la préfecture demandant à la personne de quitter le territoire français. »

Une politique qui ne fait qu’alimenter le discours de l’extrême droite, qui scrute désormais les moindres faits divers impliquant une personne étrangère sous OQTF et en fait la recension sur les réseaux sociaux, surtout pour réclamer l’arrêt pur et simple de l’immigration en France. « Derrière la politique du gouvernement, l’extrême droite, dont le Rassemblement national, vient dire que le taux d’exécution des OQTF est trop bas, complète MMaugendreGérald Darmanin est obligé de surenchérir et d’annoncer une loi qui permettra de réduire les délais et le nombre de recours. L’État crée une crise de toutes pièces et justifie ensuite sa loi pour la résoudre. »

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Un avocat du GISTI

index 3 23/08/2014

Affaire Leonarda : comment la famille veut faire annuler son expulsion

 , Thomas Prouteau

Crédit : RTL.fr

DOCUMENT RTL – Dans un document de 17 pages, l’avocate des Dibrani détaille les motifs du recours contre l’expulsion de Leonarda et de sa famille.

L’avocate de la famille Dibrani a déposé un recours le 28 octobre au soir afin de contester l’obligation de quitter le territoire français dont Leonarda et sa famille font l’objet. Dans ce document de 17 pages, que RTL a pu consulter, Me Brigitte Bertin détaille les motifs de cette contestation.

Selon le premier élément avancé par Brigitte Bertin, la décision d’expulser la famille Dibrani repose sur des arguments qui se sont avérés erronés depuis. En cause notamment, le lieu de naissance des enfants. Il s’agit de l’Italie et non du Kosovo, comme le supposait l’administration. Pour l’avocate, peu importe que le père ait menti à ce propos : le recours considère que le préfet devait faire sa propre enquête.

Une demande de titres de séjour pour les deux parents

Le document affirme également que l’expulsion aurait gravement compromis la stabilité des enfants, alors qu’il est démontré par Brigitte Bertin qu’ils n’avaient connu qu’une vie de misère en Italie. Ce dernier point constitue selon elle une violation claire de la convention internationale des droits de l’enfant.

Enfin, le recours soulève la question du pays de destination, le Kosovo, où tout démontre que la minorité rom, à laquelle appartiennent Leonarda et sa famille, est discriminée. Là encore, la préfecture du Doubs a commis, selon l’avocate, un abus de pouvoir. Celle-ci demande donc un titre de séjour pour chacun des deux parents. S’ils l’obtiennent, ils pourront alors revenir en France avec leurs six enfants. Le tribunal administratif de Besançon dispose d’un délai de trois mois pour rendre sa décision.

Plusieurs scénarios sont possibles

Selon Maitre Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers contacté par RTL, un éventail de décisions s’offre aux magistrats. Ils peuvent d’une part rejeter en bloc le recours. Dans ce cas, la famille Dibrani aura encore une possibilité de faire appel.

Les magistrats peuvent d’autre part annuler toute ou partie de la procédure. En effet, le recours vise à la fois les obligations de quitter le territoire français délivrées (OQTF) au père et à la mère de Leonarda les 19 et 21 juin dernier par la préfecture du Doubs et le refus de titre de séjour délivré le même jour.

Le tribunal administratif peut donc annuler soit l’une ou l’autre des OQTF, soit les deux, soit le refus de séjour. Dans ce dernier cas, « des titres de séjour seront délivrés à toute la famille », selon maitre Stéphane Maugendre. Dans les autres cas de figure, « cela est également probable mais cela peut se révéler plus compliqué », indique-t-il également.

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La gauche fait-elle mieux (ou pire) que la droite ?

L’affaire Leonarda suscite l’émotion dans l’opinion publique, divise la gauche et révèle l’absence d’une politique migratoire socialiste.

« Rien ne me détournera de mon cap. » Dans un entretien accordé au Journal du dimanche, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, persiste et signe. Pour lui, l’expulsion de ­Leonarda Dibrani, cette jeune fille rom de 15 ans interpellée lors d’une sortie scolaire, le 8 octobre, dans le Doubs, et renvoyée au Kosovo avec toute sa famille, est parfaitement justifiée. C’est aussi l’avis d’une majorité de Français (entre 65 et 70 % selon les sondages). Pourtant, cette décision, qui a suscité une vive émotion dans l’entourage de l’adolescente et au sein des associations, est loin de faire l’unanimité. Elle a mis au jour les divisions profondes qui traversent la gauche sur les questions d’immigration. Elle a aussi contribué à affirmer un peu plus la posture du ministre de l’Intérieur qui, depuis le début de son mandat, entend montrer un visage de fermeté.

Le président de la République lui-même s’est senti obligé de monter au créneau le 19 octobre, lors d’une intervention télévisée. Mais au lieu de calmer le jeu, sa proposition de faire revenir la collégienne en France, sans sa famille, pour qu’elle puisse poursuivre ses études, n’a fait que relancer la polémique.

Descendus dans les rues de la capitale, juste avant la dispersion des vacances, les milliers de lycéens qui ont réclamé le retour de Leonarda et d’un lycéen arménien de 19 ans, Khatchik Khachatryan, expulsé quelques jours plus tôt, ont déjà annoncé leur intention de manifester le 5 novembre, le lendemain de la rentrée scolaire… L’affaire est donc loin d’être close.

Un traitement plus digne des immigrés Certains voient en Manuel Valls ie digne héritier de Nicolas Sarkozy : déploiements de force contre les Roms, politique de démantèlement des camps, discours stigmatisants, maintien du plafond des 30 000 régularisations par an, poursuite des expulsions massives… « Le président de la République et son gouvernement espèrent séduire l’opinion par leur fermeté à l’encontre des étrangers, faute de lui apporter satisfaction par des mesures favorables en matière sociale, économique ou fiscale, juge l’avocat Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). C’est un discours implicite qui murmure aux Français que le pouvoir les protège malgré tout de l’adversité puisqu’il frappe les étrangers. Devenir xénophobe pour essayer d’être populaire, tel est désormais le programme, exactement comme celui de Sarkozy en campagne. »

Le réquisitoire est sévère et demande à être nuancé. Il est sans doute le fruit d’une désillusion. En effet, tors de sa campagne présidentielle, François Hollande avait annoncé le changement. Rien de révolutionnaire pourtant, juste un traitement plus digne des immigrés. 18 mois plus tard, la promesse a été partiellement tenue. Avec l’abrogation de la circulaire Guéant, les étudiants étrangers sont désormais mieux traités.

Le « délit de solidarité » existe toujours, mais il est davantage circonscrit. L’accès aux soins via l’aide médicale d’État (Ame) a été facilité. Les critères de régularisation ont été mieux définis. Une circulaire de juillet 2012 a limité l’enfermement des familles, alors qu’un an plus tôt des centaines d’enfants avaient été placés en centre de rétention. En août 2012, une autre circulaire stipule que plus aucune évacuation de campement de Roms ne pourra se faire sans la recherche préalable d’une solution d’hébergement. Enfin, les procédures de demande d’asile ont été allégées, épargnant aux intéressés des allers-retours incessants dans les préfectures.

La déception des associations

Pour autant, le rythme de reconduite aux frontières n’a pas faibli, les conditions de régularisation sont toujours aussi strictes et le gouvernement n’a nullement l’intention de fermer les centres de rétention. Ce qui déçoit les associations impliquées dans l’accueil des migrants, qui estiment que, tout compte fait, cette politique « s’inscrit dans la continuité de la précédente ».

Sur le terrain, la machine à refouler poursuit son œuvre. Comme en témoigne l’histoire de Rose, cette jeune Ivoirienne de 16 ans qui, durant l’été, a essayé de rejoindre sa mère qui vit en France en situation régulière. Séparée d’elle depuis plusieurs années et ne supportant plus l’attente interminable (six ans) de l’instruction de la procédure de regroupement familial, elle décide de la rejoindre le 7 juillet en voyageant sous une autre identité. À l’aéroport d’Orly, la police aux frontières (Paf) lui refuse l’accès au territoire et la place en zone d’attente en vue de son renvoi vers le Maroc, son pays de transit. En dépit de documents d’état civil attestant de sa minorité, la Paf choisit de s’en remettre aux résultats – notoirement imprécis – d’un test osseux pour la déclarer majeure. Faute d’assistance juridique, Rose a été refoulée, ligotée et sanglée, vers le Maroc, où elle n’a aucune attache, avant même la décision définitive du juge.

Des zones de non-droit

Pire encore, dans les centres de rétention administrative, l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) a eu connaissance le mois dernier du placement en rétention de nombreux immigrés gravement malades qui, sans l’intervention associative, auraient été expulsés alors qu’ils ne peuvent se soigner dans leur pays d’origine. L’un d’eux a été refoulé le 13 septembre. « Des histoires comme celles-là, il en arrive presque tous les jours, même si elles ne sont pas aussi médiatisées que celle de Leonarda », commente Jean-François Martini, du Gisti, qui dénonce la poursuite d’une pratique d’enfermement des mineurs dans les zones d’attente. Des espaces clos situés près des aéroports qui, selon les associations, deviennent des zones de non-droit.

Réunies au sein de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE), des associations ont publiquement désapprouvé l’installation d’un tribunal juste à côté du centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (77), le plus grand de France, où sont emprisonnés des étrangers en attente d’éloignement forcé. Situé à proximité immédiate des pistes de l’aéroport de Roissy, dans les locaux d’une caserne de CRS, ce tribunal accueille depuis le 14 octobre les audiences du juge des libertés et de la détention, et potentiellement celles du juge administratif, chargés de se prononcer sur le maintien en rétention des étrangers que l’administration veut éloigner de notre territoire. Jusqu’ici, ces audiences se tenaient au sein du tribunal de Meaux situé à une trentaine de kilomètres, dans un lieu de justice commun à tous les justiciables. Très peu desservies par les transports en commun, ces annexes judiciaires seront difficilement accessibles aux familles et aux avocats. Ce sont plus de 3 000 personnes placées au CRA du Mesnil-Amelot et près de 7 000 maintenues en zone d’attente de Roissy qui seront susceptibles d’être présentées chaque année devant ces tribunaux d’exception.

« Ces projets, initiés par la majorité précédente, sont indignes d’une justice respectueuse des standards internationaux les plus fondamentaux, s’indigne Laurent Giovannoni, du Secours catholique. La délocalisation de ces audiences dans des lieux de police heurte les principes d’indépendance et d’impartialité de la justice et compromet la publicité des débats, garantie pourtant essentielle du droit à un procès équitable. » Alors, dans le domaine de l’immigration, la gauche fait-elle pire que la droite ? « Le problème de la gauche, c’est qu’elle n’assume pas les mesures de progrès qu’elle a mises en œuvre et que du coup, elle laisse le champ libre au discours martial de Manuel Valls, regrette Guy Aurenche, président du CCFD-Terre solidaire. Cela fait 40 ans qu’on utilise les étrangers de manière politicienne. Je n’ai jamais entendu de communication positive sur le sujet. »

Un sujet à haut risque

Un avis partagé par Alain Richard, fondateur des Cercles de silence : « Au lieu de tenir un discours responsable et pédagogique, le gouvernement brosse l’opinion publique dans le sens du poil. Car, il faut bien le dire, les Français sont de plus en plus xénophobes, et cela m’inquiète. » Pour montrer son souci de respecter les valeurs républicaines, Manuel Valls vient d’adresser une nouvelle circulaire aux préfets durcissant l’interdiction faite aux forces de l’ordre d’intervenir dans le cadre scolaire ou périscolaire, lors des expulsions d’étrangers en situation irrégulière.

« Encore une », soupire Jean-François Martini pour qui « ces circulaires n’ont pas force de loi et sont peu ou mal appliquées, comme celles sur les expulsions de campements de Roms ». Une loi sur l’immigration et le droit d’asile redéfinissant la politique migratoire de la France devrait être discutée dans les mois qui viennent. Mais sûrement pas avant les municipales. Le sujet est trop risqué. Cette loi aurait dû être mise en place dans les six premiers mois du mandat de François Hollande, regrette Laurent Giovannoni. Maintenant, avec une opinion publique chauffée à blanc, cela va devenir très difficile. »

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Leonarda hesita em aceitar oferta de Hollande para regressar a França

© ARMEND NIMANI/AFP

A rapariga cigana de 15 anos expulsa com a família para o Kosovo quer saber mais sobre as condições em que poderia entrar em França para estudar.

Afinal, Leonarda, a adolescente cigana expulsa de França com a família, talvez esteja disposta a aceitar a proposta do Presidente François Hollande e regressar para estudar. “Hesito em regressar ou não. Da primeira vez, já tinha dúvidas, mas escondi-as”, disse à televisão francesa Canal Plus.

A rapariga de 15 anos disse a este canal de televisão que tentou contactar com as autoridades francesas através da embaixada em Pristina, para saber em que condições poderia regressar ao país onde viveu durante os últimos quatro anos e meio, antes de ter sido expulsa, a 9 de Outubro, para o Kosovo – país de onde apenas o seu pai é originário. Ali, Leonarda não pode continuar os seus estudos, pelo menos nos próximos tempos, pois não fala sérvio nem albanês.

No sábado, o Presidente François Hollande tinha oferecido a Leonarda Dibrani a possibilidade de regressar a França para estudar – mas sozinha, sem a família. A proposta foi fortemente criticada, até mesmo no seio do Partido Socialista. O primeiro-secretário do PS, Harlem Désir, disse que preferia que regressasse toda a família de Leonarda, pouco depois de Hollande ter feito a estranha oferta à adolescente.

Do lado de organizações que lidam com imigrantes, a ideia do Presidente francês sofreu também críticas. Vindo sozinha, Leonarda ficaria totalmente a cargo do Estado, que teria de se responsabilizar por lhe dar abrigo, alimentação, educação, presumindo que Leonarda não tem familiares em França. “Ficaria uma menor isolada. É uma solução completamente aberrante, criada unicamente em função das sondagens de opinião”, disse ao Le Monde Stéphane Maugendre, advogado do Grupo de Informação e Apoio dos Imigrantes (Gisti).

Agora Leonarda, que continua a ser alvo de grande interesse mediático, deixou escapar que o “não” imediato que deu a Hollande não é assim tão sentido. Embora num telefonema com a AFP tenha sido mais evasiva do que nas declarações ao Canal Plus, relata a agência noticiosa francesa.

Além disso, Leonarda não desiste dos seus irmãos e dos seus pais: “Regressar sem a minha família, só posso dizer que a resposta é ‘não’. Espero que o senhor Hollande mude de opinião e diga ‘sim’ à minha família.”

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Hollande sob fogo por convidar Leonarda a regressar a França para estudar

Affaire Leonarda : Dati, Copé et Pierre Laurent disent-ils vrai?

, Le vrai du faux, 21/10/2013

Rachida Dati, ancienne ministre de la Justice et eurodéputée PPE:

« Le président de la République viole la Constitution en disant cela. Comment peut-il défaire ce qui a été décidé par des magistrats, c’est impossible. »

Faux

Le chef de l’Etat peut, et c’est justement la Constitution qui le permet, proposer à titre exceptionnel ce qu’on appelle un visa de souveraineté pour des raisons de solidarité ou humanitaire.

D’après Rabah Hached, avocat spécialiste des droits des étrangers, c’est ce droit que François Hollande a utilisé la semaine dernière en annonçant l’accueil de 500 réfugiés syriens. Et c’est ce même droit que le chef de l’Etat pourrait proposer à Leonarda si la jeune femme accepte de revenir en France sans sa famille. Elle bénéficierait
alors d’un visa de retour.

Mais François Hollande est-il en train de défaire une décision de magistrats, comme l’annonce Rachida Dati ?

Si tous les recours déposés par la famille de Leonarda devant les tribunaux ont été épuisés, « la décision des magistrats concernent les parents de l’adolescente et pas l’adolescente elle-même« , affirme Stéphane Maugendre, avocat et président du Groupe d’information et de soutien des immigrés.

Deuxièmement, la mesure d’éloignement de la famille, c’est-à-dire l’expulsion à proprement parler, a été prise par la préfecture du Doubs. C’est une décision strictement administrative et non judiciaire. François Hollande a donc le droit de revenir dessus.

Jean-François Copé, président de l’UMP

« La jeune Leonarda revient en France, elle pourrait alors demander automatiquement le regroupement familial pour l’ensemble de sa famille. »

Faux

Le regroupement familial est un dispositif très encadré en France. D’abord, il n’est pas accessible pour les mineurs et Leonarda a 15 ans. Ensuite, il permet à une personne de faire venir en France son conjoint et ses enfants mais pas ses parents ou ses frères et sœurs.

Il faut également remplir toute une série de critères : habiter en France depuis au moins 18 mois, avoir des revenus de 1800 euros minimum (hors prestations sociales), bénéficier d’un logement d’au moins 18m2 pour un couple, 32 m2 pour une famille avec un enfant et 5m2 en plus pour chaque enfant supplémentaire.

Bref Leonarda n’aurait aucune chance de faire venir sa famille en France via le regroupement familial.

Pierre Laurent, président du Parti communiste français

« C’est une décision choquante et qui est d’ailleurs contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant dont la France est signataire. »

Partiellement vrai

Que dit cette Convention internationale des droits de l’enfant ?

Article 9 – 1 « Les Etats veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré… « 

Jusque là, Pierre Laurent a raison puisque Leonarda a déjà répondu qu’elle ne rentrerait pas en France sans sa famille. Mais la suite dit ceci : »… à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu’ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant.« 

Quant à l’article 3-1, il précise que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants (…) l’intérieur supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale« .

Or l’intérêt supérieur de l’enfant est une notion assez floue. En l’occurrence, quel est l’intérêt supérieur de Leonarda ? Finir sa scolarité en France ou rester avec sa famille au Kosovo. Sur ce point, la question reste ouverte.

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Leonarda Ils ont dit

  recueillis par Marie Barbier, 21/10/2013

Michel Billout, sénateur communiste de Seine-et-Marne et auteur d’un rapport sur l’intégration des Roms en Europe (décembre 2012). « Non, il n’y a pas d’invasion migratoire » 

« Dans l’affaire Leonarda, la loi actuelle a été appliquée, cela pose donc la nécessité de la changer. Une autre politique migratoire nécessiterait de sortir de la multitude des lois adoptées sous Nicolas Sarkozy et qui n’ont fait 
que durcir les choses et les rendre absurdes. 
On est face à deux cas d’expulsions : une famille entière pour laquelle le président de la République propose qu’une lycéenne soit autorisée à revenir en France et un jeune renvoyé tout seul en Arménie sans sa famille. 
On voit bien l’absurdité de l’application des lois, 
notamment le Ceseda (Code de l’entrée et du séjour 
des étrangers et du droit d’asile – NDLR).

Pour changer la loi, il faut d’abord un changement de position idéologique et parler le langage de vérité. La France ne connaît pas un phénomène d’invasion migratoire. Nos flux d’entrées et de sorties sont de l’ordre de 110 000. Cela n’a rien à voir, par exemple, avec les 600 000 de l’Espagne ou de l’Italie. De même, on fait des quelque 20 000 ressortissants roms ou bulgares présents sur le territoire français une affaire d’État, ce n’est pas sérieux. L’immigration, dans un pays industriel et développé, 
est un élément de dynamisme économique. C’est une chance. Le patronat se plaint d’ailleurs de ne plus avoir accès à une main-d’œuvre sur laquelle il comptait.

Enfin, on ne peut pas traiter les migrants comme des délinquants, il faut que la justice ordinaire – et pas une justice d’exception dans les aéroports – puisse jouer pleinement son rôle. Il faut aussi réfléchir à une autre politique d’accueil des étudiants, pour à la fois participer à la formation de ressortissants étrangers qui pourront aider au développement de leur pays et accueillir des étudiants qui veulent renforcer la matière grise en France. »

Pierre Tartakowsky, président 
de la Ligue 
des droits de l’homme.« Il faut un grand débat sur la place des étrangers »

« La situation ubuesque provoquée par cette affaire Leonarda met en lumière la nécessité de changer la législation sur l’accueil des étrangers. Les lois appliquées aujourd’hui sont profondément mauvaises. Des circulaires peuvent servir de point d’appui dans l’état actuel. Celle de régularisation à l’automne 2012, après le mouvement des travailleurs sans papiers, permet de se battre et d’obtenir des choses. Mais ces circulaires n’ont pas force de loi. Leur interprétation et leur application sont laissées au bon vouloir des préfets.

Une politique d’immigration humaine commencerait par un grand débat pédagogique sur l’apport des étrangers au pays, pour en finir une fois pour toutes sur les préjugés et la préférence nationale qui cache son nom. Ce débat public doit éclairer sur la richesse apportée par la présence des étrangers, et également sur les problèmes qui peuvent se poser. Car ces derniers sont bien réels, par exemple le problème du logement, et le débat permettrait de comprendre qu’ils sont posés aussi bien aux étrangers qu’aux Français 
– en réalité, ils sont posés aux pauvres. Il est essentiel de distinguer ces problématiques pour faire comprendre à tous qu’un pays démocratique se doit d’être une société ouverte, composée à la fois de ressortissants nationaux et étrangers.

Surtout, ce débat doit déboucher sur une loi basée sur l’égalité. Idéalement, elle renouerait avec des titres de séjours longs, sécurisants et pérennes pour tous. Ils permettraient aux étrangers sur le territoire d’intégrer l’idée qu’ils peuvent vivre ici librement et y revenir. Cela mettrait fin à l’absurde fermeture des frontières des deux côtés, qui empêche aussi bien les gens à l’extérieur de venir en France, que les étrangers à l’intérieur d’en sortir de peur de ne pas pouvoir revenir. Il faut le respect des droits des étrangers, surtout le respect des droits fondamentaux : au regroupement familial, à l’éducation, à la santé. L’égalité réelle se fera par l’accès des étrangers aux droits communs. »

Stéphane Maugendre, avocat et président du Gisti.« Arrêter de penser l’immigration en termes répressifs » 

« Le gouvernement se targue de mener une politique d’immigration “humaine mais ferme”.  Sarkozy disait pratiquement la même chose : “Il faut être ferme, mais humain.” Or, un constat se détache pourtant chez ceux qui ont réfléchi aux politiques d’immigration : la fermeture des frontières, telle que menée en Europe aujourd’hui, est une catastrophe. Économiquement, car elle coûte des millions d’euros. Et, bien sûr, humainement, car on est en train de transformer la Méditerranée en véritable charnier. Il faut donc penser autrement ces problématiques. Et il n’y a pas que les seules associations qui invitent à cela : l’Unesco – pas vraiment un repaire de dangereux gauchistes – a publié il y a quelque temps un livre posant la question : “Et si on ouvrait les frontières ?” C’est un signe.

Plus globalement, il faut que les responsables politiques cessent de penser l’immigration uniquement en termes répressifs. Étudions cette possibilité d’ouvrir les frontières, arrêtons Frontex, arrêtons le projet de drones européens… L’ouverture des frontières n’est pas un gros mot. Regardez – justement – l’Europe : elle a été créée il y a plus de cinquante ans avec six États. Elle en compte 28 désormais. Et en faisant quoi ? En ouvrant simplement les frontières. Y compris avec des pays qui avaient une forte histoire d’immigration avec la France : l’Italie, le Portugal, la Grèce, la Pologne… On nous promettait il y a peu une invasion de plombiers polonais. On l’attend encore…

Ensuite, il y a des choses concrètes à faire avancer : par exemple, revenir à la carte de séjour de dix ans, ainsi que l’avait fait la gauche au début des années 1980. Car c’est la meilleure façon d’amener les étrangers à s’intégrer. Manuel Valls invoque les circulaires qui démontreraient l’humanité du gouvernement sur le sujet. Mais ces circulaires n’ont pas force de loi. Pire, certaines sont totalement inappliquées, comme celle sur les expulsions de campement. »

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Faire revenir Leonarda « seule » : possible mais « aberrant »

index  Elise Vincent,

© AFP/ARMEND NIMANI

Extrait : Il n’a pas fallu un long temps de réflexion à Leonarda, la jeune fille kosovare expulsée avec toute sa famille le 9 octobre, pour refuser, samedi 19 octobre, la proposition de François Hollande de revenir « seule », en France. « Je n’irai pas seule en France, je n’abandonnerai pas ma famille. Je ne suis pas la seule à devoir aller à l’école, il y a aussi mes frères et mes sœurs », a-t-elle déclaré, moins d’une heure après l’intervention télévisée du chef de l’Etat.

La proposition était aussi bancale techniquement que symboliquement. Concrètement, faire revenir « seule » Leonarda en France sans ses proches est possible. Le chef de l’Etat a proposé d’accorder un « visa » à la jeune fille pour qu’elle termine ses études en France. « A partir du moment où ses parents en sont d’accord, il est parfaitement envisageable qu’elle revienne…

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