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Les OQTF, la nouvelle obsession du ministère de l’Intérieur

Le ministre de l’intérieur ne cache pas son intention depuis des mois : il veut rendre « la vie impossible aux étrangers en situation irrégulière ».

Publié le 13 mars 2023, par Céline MarteletAlexandre Rito, photos Alexandre Rito

Il est 12h10, ce mardi 10 janvier, lorsque plusieurs femmes et hommes en uniforme se placent au bout d’un quai de la Gare du Nord à Paris. Ils sont sept au total. Des policiers, des membres de la sûreté ferroviaire et trois fonctionnaires de la police aux frontières, la PAF. Tous en rang, ils dévisagent les passagers qui s’engagent sur ce quai. Sur l’écran, la destination s’affiche : Calais, départ 12H25. Seuls quelques passagers pressés passent devant eux en poussant des valises à roulettes. Personne n’est arrêté pour un contrôle d’identité.

Quelques minutes plus tard, les forces de l’ordre se déplacent de quelques mètres pour surveiller les passagers d’un train en provenance d’Amsterdam. Il est 12h35.

C’est exactement en descendant de ce train que Azizullah (le prénom a été modifié) a été arrêté en décembre dernier. Ce jour-là, le jeune Afghan posait pour la première fois le pied en France avec l’intention d’y déposer une demande d’asile. Pour arriver à la Gare du Nord, pendant plus d’un an, le jeune homme a traversé l’Iran, la Turquie et l’Europe jusqu’en France. A peine débarqué à Paris, il n’a pas même pas eu le temps d’appeler l’Ofii, l’Office Français de l’Immigration de l’Intégration : la police lui a immédiatement délivré à sa descente du train une OQTF, une obligation de quitter le territoire français.

Lorsque nous le rencontrons devant les bureaux de l’Ofii à  Paris, Azizullah est complètement perdu. Il plie et replie avec angoisse cette feuille blanche avec l’insigne “Préfecture de Police”. Les traits creusés par deux nuits dans la rue, le jeune afghan cherche désespérément à saisir le sens de ce document que la police française lui a remis il y a 48 heures. Dans la file d’attente, un autre Afghan se dirige vers lui et vient lui faire comprendre qu’il doit quitter la France. Le regard d’Azizullah se fige « J’ai fui l’Afghanistan, lorsque les talibans ont repris le pays. Je ne vais pas y retourner. » Quelques minutes plus tard, le jeune homme est reparti.

Des exilés en détresse, la Cimade en reçoit plus d’une centaine par jour dans sa permanence du 17eme arrondissement. Dès 8H30, ils sont déjà des dizaines à attendre sur le trottoir. Des femmes, des enfants, des hommes.  Dans le froid Michèle, l’une des bénévoles, tente d’organiser les choses. À l’intérieur, dix bénévoles reçoivent, écoutent et orientent avec patience ces exilés. Beaucoup sont sous le coup d’une OQTF, une mesure administrative d’éloignement des étrangers prévue en droit français depuis 2006. Assise derrière une petite table, Anne-Marie tend deux grandes enveloppes à Ali ( le prénom a été modifié), un malien. « Il faut aller déposer une requête au tribunal administratif le plus rapidement possible, il vous reste moins de 24 heures. » Anne Marie est bénévole à la Cimade depuis 20 ans. Elle poursuit, « Ali, par les temps qui courent, n’allez pas dans les gares, ne prenez pas trop le métro ou le bus. » La veille, Ali a été arrêté  sur un chantier de construction où il travaillait. Il vit en France en situation irrégulière depuis cinq ans. « C’est compliqué. Je ne sais pas si cela va marcher devant les juges s’ils vont me laisser rester en France et annuler cette OQTF », confie le malien. « J’ai peur de me faire arrêter encore en sortant d’ici maintenant je suis sur mes gardes. »


À la table juste derrière une autre bénévole reçoit une femme avec un bébé dans les bras. Et, elle donne aussi ce même conseil : ne pas aller dans les gares. « La semaine dernière, j’ai eu trois cas de personnes interpellés à Gare du Nord qui se sont vus notifier des OQTF. Ils font des contrôles au faciès », assure Anne-Marie.

Pour toutes les associations qui viennent en aide aux  personnes sans-papiers, une circulaire a déclenché un emballement ,  “ une chasse aux étrangers en situation irrégulière” pour certains interlocuteurs : celle dite du 17 novembre . Dans ce texte adressé aux préfets, les instructions de Gérald Darmanin sont très claires: « Je vous demande d’appliquer à l’ensemble des étrangers sous OQTF la méthode employée pour le suivi des étrangers délinquants ». Pour cela, le ministre de l’Intérieur demande aux préfets de délivrer des « Obligation à quitter le territoire français à l’issue d’une interpellation ou d’un refus de titre de séjour » et « d’exercer une véritable police du séjour ».

Cette circulaire préfigure la future loi sur l’immigration voulue par le gouvernement, et portée par Gérald Darmanin. Le texte doit être étudié fin mars au Sénat. La moitié des vingt-sept articles de ce projet de loi se concentrent sur les étrangers en situation irrégulière que le gouvernement veut pouvoir expulser plus facilement,  avec en premier lieu ceux déjà condamnés pour des crimes et des délits punis de dix ans ou plus d’emprisonnement. Le texte prévoit aussi de « réduire le champ des protections contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français lorsque l’étranger a commis des faits constituant une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat ».

“La menace à l’ordre public” pour des OQTF à la chaîne.

Le 5 octobre 2022, le préfecture de Police de Paris ordonne le démantèlement d’un camp d’exilés dans le 19eme arrondissement de Paris. Ce jour-là, vingt-sept personnes sont envoyées au Centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, près de l’aéroport Paris Charles-de-Gaulle. Parmi elle, Majid ( le prénom a été modifié), un jeune syrien de 22 ans. Le motif de son OQTF ? : « Outrage à une personne chargée d’une mission de service public. » Rencontré au CRA, Majid l’assure, il n’a menacé aucun policier. Aucune procédure judiciaire n’a d’ailleurs été engagée contre lui.

« Ce motif de menace à l’ordre public est de plus en plus utilisé, constate Justine Langlois, avocate au barreau de Seine Saint Denis. Auparavant, elle était utilisée surtout pour motiver les OQTF des personnes condamnées mais aujourd’hui, elle est utilisée pour la moindre interpellation avec un outrage. Les forces de l’ordre ont des directives : utiliser la menace à l’ordre public pour donner plus de force à l’OQTF en cas de recours. » Contacté sur ce point, le ministère de l’intérieur n’a pas donné suite à nos demandes.

En décembre 2022,  Alpha est arrêté après un contrôle d’identité musclé dans une rue à Paris. Le père de famille malien est en situation irrégulière, pendant sa garde à vue, on lui délivre une OQTF mais personne ne lui donne le document qui lui permet de faire un recours devant le tribunal administratif dans les 48H . Alpha insiste. « L’un des policiers m’a dit “retourne en Afrique” », se souvient-il. Le malien, âgé de 30 ans, retourne donc au commissariat accompagné d’un bénévole de la Cimade.

« Les policiers l’ont tutoyé. Moi, ils me vouvoyaient, » s’insurge Eric. « Le droit des étrangers aujourd’hui n’est plus le même. Si tu es étranger tu n’es pas traité de la même manière, c’est évident ! » A force d’insister, Alpha parvient à récupérer son OQTF, et parvient à déposer un recours à la dernière minute. « Je me suis dit de toute façon avec eux, je ne vais jamais gagner alors je n’ai rien dit face aux propos racistes. »

Vivre dans l’angoisse.  

Dans son projet de loi initial voulu par Gérald Darmanin prévoyait de délivrer une OQTF aux demandeurs d’asile dès le rejet de leur dossier par l’OFPRA. Mais l’exécutif a finalement écarté cette mesure. Pourtant dans les faits, elle est déjà appliquée. Dans le Morbihan, Giorgi et Galina, un couple de Géorgiens doivent y faire face depuis plusieurs mois. Avec leurs enfants âgés de 7 et 11 ans,  en juin 2022, ils fuient la Géorgie où le père est menacé par un groupe mafieux. Après un périple entre la Russie et la Turquie, la famille arrive quelques semaines plus tard à Questembert après avoir déposé une demande d’asile. Les enfants vont très vite à l’école. Les parents prennent des cours de français. Le 30 novembre 2022, le couple reçoit un courrier de l’OFPRA leur annonçant que leur demande d’asile est rejetée. Motif : les risques d’atteintes graves auxquels ils se disent exposés en cas de retour dans leur pays ne sont pas avérés. Un premier choc. Le deuxième arrive fin janvier. Giorgi et Galina se voient notifier une OQTF. Aussitôt, l’école où sont scolarisés les enfants se mobilise pour empêcher cette expulsion. Le maire de Questembert et des élus suivent le mouvement. Le 1er mars, le recours de la famille a été examiné par le tribunal administratif de Rennes. La décision est attendue dans 15 jours. « Ils se sont enfuis en laissant une vie derrière eux, en essayant de ménager leurs enfants tant bien que mal et puis finalement en arrivant ici , l’insécurité est toujours présente, tient à préciser Kristel, membre du comité de soutien de la famille. On leur dit qu’on ne veut pas d’eux pour des raisons plus hautes qui leur échappent. Tout cela est très angoissant. Mais, ils restent souriants malgré le stress de devoir peut-être repartir dans un pays où ils sont clairement menacés. »

Selon les derniers chiffres du ministère de l’intérieur disponible, au premier semestre 2021, 62 207 OQTF ont été prononcées en France. 3 500 ont été exécutées seulement. En cause, la difficile identification des individus mais aussi le manque de coopération des pays d’origine qui refusent de délivrer des laissez-passer consulaires nécessaires au retour de leurs ressortissants.

Pour les femmes et hommes qui se sont vus notifier une OQTF , le quotidien change. « C’est une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, à tout moment ils peuvent être conduits dans un centre de rétention administrative », confie Stéphane Maugendre , avocat et président du Gisti. « S’ils prennent le métro ou leur voiture, ils ont peur. Finalement, c’est chez eux qu’ils sont un peu tranquilles. On est en train de créer une catégorie de sans-papiers ultra-précaire. »

Cette angoisse, Rama, la trentaine la vit à chaque minute. Sous le coup d’une OQTF, après avoir été arrêtée et placée en garde à vue dans le cadre d’une enquête toujours en cours, la jeune mère a été envoyée au centre de rétention administrative de Mesnil-Amelot .« J’entends passer les avions au-dessus de ma tête, je me dis que bientôt je vais être à bord de l’un d’eux. » Lorsqu’elle s’assoit dans la petite salle réservée aux visites, Rama est rongée par l’inquiétude. « Ils veulent m’envoyer au Sénégal. Je ne connais pas ce pays. Je suis arrivée en France à l’âge de 4 ans », s’agace Rama. Son fils de trois ans est français. Il vit aujourd’hui chez sa grand-mère. « De toute façon, ils peuvent m’expulser. Je vais revenir, toute ma famille est ici », lance déterminée Rama avant de retourner au bâtiment 3, celui réservé aux femmes dans ce CRA de Mesnil-Amelot.

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La France assume de délivrer des OQTF à des personnes non expulsables

Nejma Brahim, Mardi 17 janvier 2023

L’attaque qui a fait six blessés, dont un grièvement, mercredi 11 janvier, à la gare du Nord à Paris, aurait été perpétrée par une personne étrangère en situation irrégulière, qui pourrait être de nationalité libyenne ou algérienne, selon les derniers éléments communiqués par le parquet de Paris. Des sources policières n’ont pas tardé à préciser que l’auteur des faits faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), signée l’été dernier par une préfecture en vue d’un renvoi vers la Libye, comme le confirme le ministère de l’intérieur auprès de Mediapart.

L’affaire vient une nouvelle fois démontrer les obsessions du ministère de l’intérieur en matière de chiffres concernant les expulsions. Si l’on ignore encore le profil et les motivations de l’individu interpellé –deux proches de son entourage ont été entendus jeudi –, il s’avère que l’OQTF dont il faisait l’objet n’avait pas été exécutée, puisque l’instabilité que connaît la Libye et le manque de relations diplomatiques avec ce pays ne permettent pas de renvoyer qui que ce soit là-bas.

Sans surprise, l’extrême droite n’a pas tardé à s’exprimer : « Le nombre de clandestins sous le coup d’une OQTF impliqués dans des actes criminels se multiplie. La future loi sur l’immigration devra apporter une réponse ferme et déterminée à cette menace exponentielle. Nous y veillerons », a tweeté Marine Le Pen en réaction à un article de BFMTV, indiquant que l’individu était connu des services de police pour des faits de droit commun, « principalement des atteintes aux biens ».

« L’assaillant de la gare du Nord qui a blessé six personnes faisait l’objet d’une OQTF et aurait crié “Allah Akbar” au moment des faits. Quand ces OQTF seront-elles enfin exécutées ? », a réagi de son côté Éric Ciotti, sans prendre la moindre précaution quant aux propos prononcés, qui pour l’heure ne sont pas avérés.

Le parquet de Paris, qui a ouvert une enquête pour « tentative d’assassinat » et confié les investigations à la police judiciaire, confirme ses antécédents mais se montre prudent. « L’identification précise du mis en cause est en cours, ce dernier étant enregistré sous plusieurs identités dans le fichier automatisé des empreintes digitales alimenté par ses déclarations au cours de précédentes procédures dont il a fait l’objet », indique un communiqué de la procureure de Paris. « Il pourrait s’agir d’un homme né en Libye ou en Algérie et d’une vingtaine d’années, dont l’âge exact n’est pas confirmé. »

Un profil ni régularisable ni expulsable.

Le ministère de l’intérieur

Une question subsiste : pourquoi délivrer une OQTF à un ressortissant supposé être libyen, lorsque l’on sait qu’on ne peut expulser vers la Libye ?

Interrogé à ce sujet, le ministère de l’intérieur s’explique, tout en soulignant que l’enquête est toujours en cours : « L’individu est a priori libyen. La Libye étant un pays instable et en guerre, il n’y a pas d’éloignement vers ce pays. L’OQTF est la conséquence d’une situation administrative irrégulière. En l’absence de droit au séjour, elle est appliquée par les services. En l’espèce, il s’agit d’un profil ni régularisable ni expulsable. »

L’objectif est de prendre une OQTF malgré tout, poursuit le ministère, afin que l’individu « puisse être expulsé dès que la Libye sera stabilisée ».

Depuis plusieurs années, outre la Libye, la France n’expulse plus vers un certain nombre de pays comme la Syrie, l’Afghanistan ou plus récemment l’Iran, considérant que la situation de ces pays, ravagés par les guerres, les conflits, l’instabilité ou la répression, ne permettent pas de garantir la sécurité des personnes éloignées. Parce qu’il est trop compliqué, aussi, d’obtenir les laissez-passer consulaires nécessaires au renvoi d’un ressortissant de ces pays lorsque les relations diplomatiques sont rompues.

Il n’existerait pas de liste « officielle » des pays vers lesquels on ne renvoie pas, bien que des associations d’aide aux étrangers plaident pour que ce soit le cas et pour qu’une position claire soit adoptée par les autorités. « On ne peut pas prononcer des OQTF à des ressortissants tout en sachant qu’on ne peut pas les expulser, en arguant qu’on ne peut pas négocier avec les talibans ou Bachar al-Assad, c’est absurde », commente un représentant associatif.

Selon des sources associatives, au moins 44personnes se déclarant de nationalité libyenne ont ainsi été enfermées en rétention en2022, contre 119 en 2021 et 110 en 2020. Aucun ressortissant libyen n’a été expulsé vers la Libye au cours des dernières années, assure le ministère de l’intérieur.

De plus en plus d’Afghans font aussi l’objet d’une OQTF et sont placés en centre de rétention administrative (CRA), ces lieux de privation de liberté où sont enfermés les sans-papiers en attente de leur éloignement (90 jours au maximum avant d’être libérés). Début 2022, l’association La Cimade craignait des expulsions « par ricochet » (voir ici ou ), c’est-à-dire des renvois de ressortissants afghans vers des pays n’ayant pas suspendu les expulsions vers l’Afghanistan (c’était le cas, par exemple, de la Bulgarie).

Des ressortissants syriens, comme a pu le documenter Mediapart, se voient eux aussi délivrer des OQTF et sont placés en CRA pendant des jours alors même qu’ils ne sont pas expulsables. Marlène Schiappa le réaffirmait d’ailleurs sur France Inter fin novembre dernier : la France « ne renvoie pas quelqu’un vers la Syrie ».

Cela n’a pas empêché non plus la préfecture de l’Aude de prononcer une OQTF contre une ressortissante iranienne, qui avait pourtant fui la répression qui sévit dans son pays face au mouvement de révolte des femmes, lui enjoignant de quitter le territoire français et de « rejoindre le pays dont elle possède la nationalité ».

Une stratégie contradictoire avec les objectifs du gouvernement

Ces OQTF précarisent les étrangers et étrangères qu’elles visent, les contraignant à vivre dans l’ombre et dans la crainte du moindre contrôle, y compris lorsqu’ils et elles se rendent sur leur lieu de travail.

Ces personnes sont aussi conscientes que l’OQTF est bien souvent associée à la notion de délinquance, alors même que beaucoup n’ont rien à se reprocher.

Un système « contre-productif » aux yeux de l’avocat Stéphane Maugendre, spécialiste en droit des étrangers et en droit pénal, qui « surprécarise les personnes parfaitement insérées en France », mises en difficulté dans chaque petit acte du quotidien et aujourd’hui stigmatisées par les discours répétés de Gérald Darmanin visant à faire un trait d’union entre OQTF et délinquants dits étrangers.

En guise d’exemple, l’avocat cite le cas récent de deux de ses clients, victimes du caractère aujourd’hui systématique de la délivrance des OQTF : l’un était déjà en cours de recours au tribunal administratif, l’autre avait déposé une demande d’admission exceptionnelle au séjour en préfecture et travaille dans un métier en tension – il pourrait donc être concerné par la future mesure voulue par Gérald Darmanin dans le projet de loi immigration à venir, censé permettre de régulariser plusieurs milliers de sans-papiers qui répondent à certains critères (lire notre analyse).

Dans une course aux chiffres, les autorités continuent de délivrer toujours plus d’OQTF, et tant pis si, dans le lot, un certain nombre de personnes ne peuvent être éloignées du territoire. Une stratégie contradictoire avec les objectifs que se sont fixés le chef de l’État et son gouvernement concernant le taux d’exécution de ces OQTF, qu’ils aimeraient voir augmenter. En 2019, Emmanuel Macron promettait même, dans une interview à Valeurs actuelles,d’exécuter 100 % des OQTF – un objectif intenable.

Plus récemment, son ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, donnait aux préfets pour instruction de « prendre des OQTF à l’égard de tout étranger en situation irrégulière, à l’issue d’une interpellation ou d’un refus de titre de séjour », et se réjouissait « d’améliorer le résultat » concernant le nombre d’OQTF exécutées en 2022, en hausse de 22 % à la date de novembre dernier.

« En 2021, la France est le pays d’Europe qui a le plus expulsé », s’est aussi vantée, surFrance Inter, l’ex-secrétaire d’État chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa. Mais cette surenchère sur la délivrance d’OQTF pourrait avoir enfermé le gouvernement dans une spirale infernale. Soumises à des injonctions contradictoires, les préfectures sont poussées à délivrer des obligations de quitter le territoire sans même étudier les cas particuliers – ces mêmes cas qui ne peuvent, de fait, pas contribuer à améliorer le taux d’exécution des OQTF puisqu’il s’agit de personnes non expulsables.

Pour MStéphane Maugendre, le ministère de l’intérieur et les préfectures sont « tombés dans une sorte de piège » « Ils ont multiplié les OQTF, de manière systématique, pour pouvoir dire que des mesures d’éloignement sont prises. Sauf que plus il y a d’OQTF délivrées, moins leur taux d’exécution a de chance d’augmenter, parce que derrière, il y a des contingences matérielles et il faut des moyens colossaux pour y arriver. »

Une analyse qui se retrouve dans les chiffres, notamment entre 2016 et 2019, période durant laquelle le nombre d’OQTF prononcées bondit de 50,4 % pour atteindre 122 839 OQTF par an, tandis que leur taux d’exécution chute de près de 10 points, passant de 14,3 % à 4,8 %. Si les chiffres enregistrent une forte baisse en 2020 et en 2021, c’est lié à la crise sanitaire du Covid-19, qui n’a pas permis d’éloigner les personnes en situation irrégulière.

Certains États, notamment du Maghreb, rechignent aussi à délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires, entraînant alors un véritable bras de fer entre les autorités de ces pays et Paris. La France a choisi d’instaurer un « chantage » aux visas pour les obtenir, et, un an plus tard, la stratégie semble avoir payé pour l’Algérie, qui reprend plus facilement ses ressortissants aujourd’hui – la sœur de la meurtrière présumée de la petite Lola a d’ailleurs été expulsée vers l’Algérie mi-décembre, a-t-on appris via l’AFP. Le 19 décembre, un retour à la normale a depuis été annoncé par Gerald Darmanin pour l’octroi des visas aux Algérien·nes.

Également président honoraire du Groupe d’information et de soutien aux immigré·s (Gisti), Stéphane Maugendre estime que les OQTF sont devenues la « nouvelle tendance », notamment depuis le meurtre de Lola, dont la meurtrière présumée était une ressortissante algérienne sous OQTF. « On qualifie désormais les personnes au regard de leur situation administrative, on parle automatiquement de l’OQTF dont ils font l’objet, qui, faut-il le rappeler, n’est pas une mesure d’expulsion mais une décision prise par la préfecture demandant à la personne de quitter le territoire français. »

Une politique qui ne fait qu’alimenter le discours de l’extrême droite, qui scrute désormais les moindres faits divers impliquant une personne étrangère sous OQTF et en fait la recension sur les réseaux sociaux, surtout pour réclamer l’arrêt pur et simple de l’immigration en France. « Derrière la politique du gouvernement, l’extrême droite, dont le Rassemblement national, vient dire que le taux d’exécution des OQTF est trop bas, complète MMaugendreGérald Darmanin est obligé de surenchérir et d’annoncer une loi qui permettra de réduire les délais et le nombre de recours. L’État crée une crise de toutes pièces et justifie ensuite sa loi pour la résoudre. »

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Polémique sur la justice en bout de piste pour les étrangers

L’ouverture en septembre d’une salle d’audience dans l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle pour les étrangers non admis sur le territoire suscite une levée de boucliers.

Par Maryline Baumard

Une salle d’audience de l’antenne délocalisée du TGI de Bobigny dans l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. LAURENT HAZGUI/ DIVERGENCE

Le dossier est sur le bureau du nouveau garde des sceaux. A peine six jours après son arrivée place Vendôme et François Bayrou recevait déjà un courrier du bâtonnier de Seine-Saint-Denis, Valérie Grimaud, lui demandant de « renoncer expressément au projet d’ouverture » d’une salle d’audience « annexe du tribunal de grande instance de Bobigny, délocalisée sur la zone aéroportuaire de Roissy, pour y juger exclusivement les étrangers en zone d’attente ».

Lundi 29 mai, la pression est montée d’un cran avec une manifestation in situ des opposants à ce déménagement prévu pour septembre. Au bâtonnier se joignent des représentants du Conseil de l’ordre, du Conseil national des barreaux, de la Conférence des bâtonniers, du barreau de Paris et d’autres grands barreaux français tous très opposés au jugement au pied des pistes et non plus au tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny (Seine-Saint-Denis) des quelque 7 000 étrangers placés chaque année en zone d’attente à Roissy.

Il faut remonter à 2003 …

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Un tribunal pour clandestins bientôt délocalisé à Roissy

Le tribunal de grande instance de Bobigny va délocaliser une salle d’audience près de l’aéroport de Roissy pour pouvoir juger plus rapidement des étrangers en situation illégale.

Maxppp / PHILIPPE DE POULPIQUET

Prévu pour septembre, le projet provoque la colère de certaines associations et d’avocats. Aujourd’hui, un étranger qui atterrit à Roissy et qui ne remplit pas les conditions d’entrée sur le territoire français comme l’absence d’un visa par exemple, est escorté jusqu’au Tribunal de grande instance de Bobigny (93) pour y être jugé. A partir de septembre, la justice lui sera rendue sur place, en bordure des pistes, à 35 kilomètres de Bobigny.

L’ouverture de cette salle d’audience, qui doit avoir lieu en septembre, était déjà prévue pour 2006, puis pour 2014 avant que Christiane Taubira ne gèle le projet en décembre 2013. Mais en novembre dernier, le ministère de la Justice demande au président du TGI de Bobigny de créer un prétoire près des pistes pour accélérer les procès.

Expulsion loin des yeux du public

Autour de cette nouvelle salle d’audience, une inquiétude est née. Cette salle est accolée à la ZAPI (la zone d’attente où sont enfermés les étrangers avant de rentrer sur le territoire français) et risque donc de cantonner les procès des étrangers loin des yeux du public.

Pour l’avocat Stéphane Maugendre, “le droit des étrangers intéresse peu mais ce n’est pas un prétexte pour l’éloigner du contrôle et de la vue des citoyens. A partir du moment où la justice se passe en vase clos, sans public pour venir assister au jugement, bien évidemment il y a des dérives. Au bout d’un certain moment, on juge mal, on défend mal.”

Atteintes aux droits des étrangers

Les atteintes aux droits des étrangers sont aussi pointés. “Le principe même d’une délocalisation d’audience au sein d’un lieu d’enfermement des étrangers participe de la stigmatisation de ces personnes, selon Laure Blondel, coordinatrice de l’association Anafé. Cela participe également au fait que l’on met en place une justice parallèle, une justice d’exception.” Chaque année, ils sont environ 7 000 à se voir refuser l’entrée du territoire par la Police aux frontières (PAF) de l’aéroport de Roissy.

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«Je n’imaginais pas que ma vie privée dépendrait de 4m²»

Dounia Hadni ,

Depuis décembre, Libération suit au long cours des parcours d’étrangers croisés dans les files d’attente devant les préfectures. Pour ce quatrième épisode, rencontre avec Rebecca et Kamel, deux personnes étrangères qui vivent en France depuis plusieurs années et qui ont épousé un étranger non-résident en France. A cause des retards pris par l’administration, des démarches fastidieuses, tous deux ont mis leur vie familiale, personnelle et professionnelle en suspens.

Pour Rebecca et Kamel, qui disposent d’une carte de résident de dix ans, c’est le parcours du combattant pour réunir leur famille. Après avoir subi des retards de deux ans de la préfecture de Bobigny (en Seine-Saint-Denis) alors que la procédure est censée durer six à neuf mois maximum. Tous les deux sont pénalisés par des problèmes différents : les ressources, pour l’un, et la superficie du logement, pour l’autre. Rien d’étonnant pour Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers, qui assure que la législation se durcit depuis des années concernant le regroupement familial, notamment à cause de la teneur des débats politiques. Pourtant, il s’agit d’un phénomène minoritaire et très encadré : sur près de 215 000 entrées d’étrangers par an, seulement 12 000 personnes viennent dans le cadre du regroupement familial (chiffres 2015 de la direction générale des étrangers en France (DGEF)). Par ailleurs, aucune allocation ou aide sociale n’est prise en compte dans le calcul des ressources du couple.

Rebecca, mère de famille camerounaise de 32 ans, gestionnaire de recouvrement et contentieux, qui a deux garçons de 5 ans et 1 an, n’a pas retrouvé son mari, resté au Cameroun, depuis un an. Son petit dernier n’a pas vu son père depuis sa naissance. Ce qui n’était censé être qu’une démarche administrative pénible d’une durée de six mois s’est transformé en déchirement familial à durée indéterminée.

Alors qu’elle a un titre de séjour de dix ans qui court jusqu’en 2025, elle reçoit dix-huit mois après le dépôt de sa demande un refus du préfet à cause de ses revenus, jugés insuffisants. Elle fait un recours auprès du ministère de l’Intérieur, en prouvant que la préfecture a confondu son salaire brut avec le net : le minimum demandé pour quatre ou cinq personnes, est de 1 272 euros net mensuel sur les douze derniers mois précédant la demande. Or, elle, gagne 1 307 euros net. Argument que le ministère balaye en prétextant, cette fois-ci, son absence de CDI : «Quand bien même le montant de vos ressources serait suffisant, celles-ci ne présentent pas un caractère de stabilité avéré» (Libération a pu consulter le document).

«Depuis sa naissance, mon fils n’a toujours pas vu son père»

«Regardez ce qu’ils ont osé m’écrire : « Vous n’établissez pas être dans l’impossibilité de rendre visite à votre époux qui réside au Cameroun. »» Avant d’ajouter : «Je suis seule avec deux enfants. Depuis sa naissance, mon fils n’a toujours pas vu son père, et voilà la réponse que j’ai : on me suggère des vacances. Je le prends comme une insulte», dit Rebecca, visiblement émue.

Surtout que c’est la préfecture elle-même qui exige qu’elle soit toujours en activité. Et comme elle cumule les CDD, elle ne peut pas se permettre de prendre des vacances. Sans oublier le prix très élevé des billets d’avion pour le Cameroun dont le montant pourrait servir, justement, à financer les besoins de sa famille.

Rebecca espère saisir le tribunal pour invalider cette décision du préfet. Mais elle dispose d’un délai de deux mois, trop court pour payer les frais d’avocat qui s’élèvent à 3 000 euros environ ; aucune aide juridictionnelle n’étant mise à la disposition des étrangers pour ce genre de procédures.

En dernier recours, elle adresse un courrier au ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux, avec l’aide de la Cimade (une association de solidarité active avec les migrants). Mais si cette énième tentative se solde par un refus, Rebecca sera obligée d’attendre un an pour reconstituer son dossier. Ce qui l’amène à patienter au moins trois ou quatre ans avant d’aspirer à nouveau à une vie de famille. D’ici là, ses enfants auront 9 et 5 ans.

«Ma vie est mise sur pause»

Kamel a 40 ans. De nationalité tunisienne, il est jardinier en CDI à la mairie de Pantin depuis son arrivée en France, il y a six ans. Détenteur également d’une carte de résident de dix ans, il reçoit dans un premier temps un avis favorable à sa demande de regroupement familial avec sa femme, qui habite à Tunis, après deux ans et demi d’attente. Sauf que sa femme tombe enceinte entre-temps et sa fille naît un mois après l’émission de l’avis favorable. La préfecture se rétracte, car si son logement remplit toutes les conditions de salubrité et d’équipement exigées, sa surface de 28 m2, pose problème. Avec un bébé, il faut un minimum de 32 m2. Il manque donc 4 mètres carrés.

Quand on le rencontre début février, il est en arrêt maladie depuis quelques semaines après un diagnostic d’hypertension due à un stress intense. Il croyait pourtant arriver au bout du tunnel. «J’ai cru que j’allais devenir fou, dit-il. Pour que ma femme puisse me rejoindre rapidement, j’ai pris le premier emploi qui s’est présenté à moi alors que je suis ingénieur spécialisé dans la phytopharmacie. Je ne pouvais pas prendre le risque de faire une formation pour valider mes diplômes ici : aux yeux de la préfecture, j’aurais été chômeur. J’ai refréné mes désirs d’enfant pour éviter les problèmes alors que j’ai presque 40 ans. Tous ces sacrifices, je les ai faits, sans imaginer tous ces retards. Sans imaginer que ma vie familiale dépendrait de 4 m2».

En janvier 2017, Kamel fait un recours gracieux pour sa femme et sa fille âgée maintenant de trois mois en précisant qu’il s’apprête à déménager de son logement HLM de 28 m2 pour un HLM de 37 m2. En mars, il signe enfin son contrat de bail. Aujourd’hui, il reprend le travail, part en vacances en Tunisie voir sa femme et sa fille mais il n’est toujours pas serein. Ce sentiment, il l’a perdu, du moins jusqu’à ce que sa famille soit près de lui. Surtout que la réception d’un avis favorable de la préfecture n’est qu’une première étape : il faut ensuite que le conjoint obtienne un visa de trois mois au consulat de son pays d’origine, se déclare à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), multiplie visites médicales et tests de français.

«J’ai failli abandonner à plusieurs reprises, confie-t-il. Ce qui me retient, c’est tout le temps que j’ai perdu… La boîte aux lettres est devenue ma seule obsession. Ma vie est mise sur pause, les tensions se sont multipliées au sein de mon couple, je n’ai plus goût à rien, je ne vois plus mes amis alors que je suis quelqu’un de très sociable, je suis devenu incapable de faire le moindre projet à court terme.»

L’avocat Stéphane Maugendre commente ce cercle vicieux : «Le principal problème est celui des délais à rallonge, plus poussés dans certaines préfectures, qui fait que la situation du demandeur aussi bien que la législation risquent de changer entre-temps.» Et l’avocat de rappeler dans la foulée tous les blocages qui peuvent advenir : «Admettons que l’avis de la préfecture soit favorable, celle-ci réclame néanmoins vos trois dernières fiches de paye. Il suffit donc d’une maladie, d’un licenciement (les aléas de la vie) pour remettre le compteur à zéro.» Interrogée sur les délais de traitement des demandes de regroupement familial, la préfecture de Seine-Saint-Denis n’a pas donné suite.

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Statistiques. Ce que cachent les chiffres de l’immigration

 Emilien Urbach, 08/02/2017

Des migrants dans un camp de fortune à Paris. Le manque de structures d’hébergement et les lenteurs administratives freinent l’implantation des étrangers alors que leur rôle sur la croissance économique serait, selon des études allemandes et l’Insee, largement positif.

Le gouvernement a publié, le 16 janvier dernier, les données 2016 de l’immigration, de l’asile et de l’accès à la nationalité française. Derrière les chiffres se camoufle une politique toujours plus méfiante à l’égard des étrangers.

Avec 227 550 titres de séjour délivrés en 2016, l’augmentation de 41 % des titres « humanitaires » alloués à certains réfugiés et une hausse de 2,5 % des acquisitions de la nationalité française, les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur, en ce début d’année, pourraient laisser penser que l’exécutif a décidé de rompre avec ses politiques de contrôle et de rejet des étrangers. En réalité, la France ne s’est pas particulièrement montrée plus accueillante en 2016 que les années précédentes. Décryptage.

16,3 %  C’est la baisse du nombre des expulsions d’étrangers.

Ce chiffre cache mal la poursuite des politiques autoritaires et répressives. L’exécutif recense 13 000 expulsions forcées et 841 aidées. Mais où sont passées les 35 000 interpellations d’exilés à la frontière franco-italienne, sans compter les reconduites quotidiennes de mineurs isolés en dehors de tout cadre légal, dont témoignent, entre autres, les associations et citoyens solidaires de la vallée de la Roya ? En 2015, l’attentat de Nice n’avait pas eu lieu et la frontière n’était pas officiellement fermée, le ministère de l’Intérieur parlait alors de 15 500 retours forcés, 9 900 aidés et 4 211 spontanés. La tendance n’est pas véritablement à la baisse.

Le gouvernement annonce aussi une hausse de 4,6 % des titres de séjour délivrés par la France. N’oublions pas que, l’an passé, s’est votée la loi modifiant le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. « Nous espérions que le gouvernement allait réinstaurer la carte de séjour de dix ans, explique Stéphane Maugendre, du Gisti. Au lieu de cela, il a créé une carte pluriannuelle qui ne garantit aucune stabilité à l’étranger qui la possède. » Ce nouveau titre de séjour peut, en effet, être retiré à tout moment « si l’étranger fait obstacle aux contrôles nécessaires » ou s’il ne se rend pas à une convocation. « Oublier de signaler un changement d’adresse ou ne pas relever régulièrement son courrier peut aujourd’hui avoir de graves conséquences », souligne encore le Gisti. La création de ce nouveau titre de séjour s’est, de plus, assortie pour les préfets d’un droit d’accès aux données personnelles détenues par des institutions telles que la Sécurité sociale et des opérateurs privés de l’énergie ou de la téléphonie

Parallèlement, cette même loi a instauré une interdiction de circulation pour les citoyens européens, ciblant particulièrement les populations roms, et a renforcé les dispositifs d’éloignement. En septembre 2016, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, n’a pas oublié de le rappeler aux préfets, juste avant le démantèlement du bidonville de Calais, dans une circulaire les invitant à « systématiquement notifier une obligation de quitter le territoire à l’ensemble des personnes déboutées » du droit d’asile et à « faire un plein usage des mesures restrictives et privatives de liberté » prévues dans la loi réformée.

Cette année 2016 fut, par ailleurs, celle d’affirmations douteuses de la part des droites conservatrices et xénophobes. Le député « Les Républicains » (LR) Éric Woerth, en août 2016, voyait, par exemple, dans le regroupement familial la « première source d’immigration ». Mais, en 2015, la France a décerné 217 533 titres de séjour et seulement 11 500 personnes l’ont obtenu en rejoignant un étranger membre de leur famille. En 2016, le chiffre de l’immigration pour raison familiale baisse de 2,3 % et les chiffres du gouvernement révèlent même que 55 % du contingent concerne des Français faisant venir leur famille. En réalité, les immigrés constituant le plus grand groupe à qui la France décerne des titres de séjour sont les étudiants. 70 300, en 2016. Un chiffre stable depuis plusieurs années.

70 949  C’est le nombre de dossiers de demandeurs d’asile non traités ou ayant reçu une réponse négative.

Si le gouvernement affiche 35,1 % d’augmentation du nombre d’acceptations des demandes d’asile, proportionnellement au nombre de dossiers constitués, la France est en réalité moins généreuse que l’année précédente. Sur 97 300 demandes enregistrées en préfecture, seules 27 % des personnes ont obtenu la protection de la France. Ce qui correspond à 73 % de dossiers non étudiés ou faisant l’objet d’un refus, en 2016, contre 69 % des demandes enregistrées à l’Ofpra, en 2015.

Même si, entre 2012 et 2016, 10 000 places ont été créées en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), la France ne met pas, non plus, assez de moyens pour héberger tous les chercheurs d’asile. Fin 2016, il existait 45 247 places d’hébergement. C’est-à-dire moitié moins que le nombre d’inscrits en préfecture. Et les 10 000 places supplémentaires annoncées pour 2017 ne feront pas non plus le compte.

La conséquence de cette politique au rabais est bien évidemment le peuplement d’innombrables bidonvilles et squats. Avant son démantèlement, la « jungle » de Calais était habitée par 2 200 demandeurs d’asile enregistrés sur 7 000 exilés encore présents en septembre 2016.

À ceux-là viendront s’ajouter les 9 220 déboutés du droit d’asile ou réfugiés statutaires qui logeaient, jusqu’à la fin 2016, « de façon indue » dans les Cada et dont Bernard Cazeneuve exigeait des préfets, dans son instruction du 19 septembre « relative à la fluidité d’hébergement des demandeurs d’asile », qu’ils soient mis dehors. Aujourd’hui, la France compterait 20 000 étrangers expulsables et dépourvus de toute assistance parce que déboutés du droit d’asile ou sous le coup des accords de Dublin. Dès lors, il n’est pas étonnant que l’Insee recense 55 % de personnes étrangères ou nées à l’étranger parmi l’ensemble des SDF que compte le pays.

Et si les prochains gouvernements ne prennent pas la mesure des enjeux, cet état de fait ne risque pas de s’amoindrir. Alors que les « publics isolés » sont devenus majoritaires parmi les nouveaux arrivants en France, seules 40,3 % des places d’hébergement existantes permettent leur accueil. En octobre 2016, ils représentaient encore 98 % des arrivées à Paris et Calais.

0,3 %  C’est l’impact de l’arrivée des réfugiés sur la croissance allemande (1).

« Avec 6 millions de chômeurs et près de 9 millions de pauvres, l’immigration doit être fermement contrôlée et réduite au minimum », a l’habitude d’argumenter François Fillon, candidat de la droite à la prochaine élection présidentielle. C’est un discours donné dans le seul but d’agiter les peurs et les fantasmes. Alors que l’Allemagne enregistre trois fois plus de demandes d’asile que la France, avec 280 000 nouvelles demandes, en 2016, sur un total de 745 545 dossiers en cours de traitement, la croissance économique du pays atteint 1,9 %, contre 1,4 les années précédentes. À l’Institut économique de Berlin, Marcel Fratzscher estime que l’impact de l’arrivée des réfugiés sur la croissance pourrait atteindre 0,7 %. La chambre de commerce et d’industrie outre-Rhin ajoute que, en 2017, 500 000 postes devraient être créés dans l’éducation et la formation grâce à l’accueil des immigrés.

En France, selon l’Insee, contrairement aux boniments annonçant un « grand remplacement », seuls 6 % des habitants sont de nationalité étrangère. « La contribution des immigrés à l’économie est supérieure à ce qu’ils reçoivent en termes de prestations sociales ou de dépenses publiques », assurait, en septembre 2015, Jean-Christophe Dumont, chef de la division chargée des migrations internationales à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Une étude de cette très libérale organisation, menée sur une période de dix ans entre 2001 et 2011, indique même que les immigrés représentent 15 % des entrées en emploi dans les secteurs en croissance et 28 % dans les métiers en décroissance. C’est-à-dire ceux que les « natifs » ne veulent plus faire. De quoi fermer le bec aux oiseaux de mauvais augure qui accusent les étrangers de prendre le travail des bons Français.

Les droites xénophobes d’ailleurs ont aussi l’habitude de brandir la pseudo-injustice selon laquelle les demandeurs d’asile toucheraient plus que les pauvres Français au RSA. Qu’ils se rassurent ou se taisent sur cette question aussi car, en 2016, dans son projet de loi de finances, le gouvernement faisait passer l’aide journalière aux demandeurs d’asile de 11,50 euros par jour à 8,50 euros, soit 252 euros par mois.

7 495  C’est le nombre de personnes ayant trouvé la mort sur le chemin de l’exil, en 2016.

« Si le président François Hollande a rappelé au président Donald Trump sa conviction que “le combat engagé pour la défense de nos démocraties sera efficace uniquement s’il s’inscrit dans le respect du principe de l’accueil des réfugiés”, il est important de rappeler que la France fait partie des nombreux États qui mettent en place des mesures visant à empêcher les personnes de quitter leur pays et/ou d’arriver en France et sur le territoire européen », indiquait l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, ce lundi 30 janvier, dans un communiqué.

La parole de la France au niveau international et notamment au sein de l’Union européenne (UE) appuie, en effet, sans relâche la mortifère politique de l’Europe forteresse. Suite à l’émotion qui avait traversé les peuples à la diffusion de la photographie du corps du petit Aylan, retrouvé noyé à l’automne 2015, sur une plage de Turquie, la France avait soutenu le principe de relocation des réfugiés annonçant qu’elle en accueillerait 32 000. Au final, on en dénombre difficilement 3 000. Dix fois moins. « L’Europe ne peut plus accueillir autant de réfugiés », avait d’ailleurs lancé Manuel Valls, premier ministre de l’époque, lors de la conférence sur la sécurité, à Munich, en février 2016.

Cette posture française ne détonne en rien de celle de la majorité des pays membres de l’UE, qui multiplient les mesures visant à empêcher les candidats à l’exil de quitter leur pays ou d’arriver sur le territoire européen. La France, par exemple, n’a pas hésité, en 2013, à faire ajouter la Syrie sur la liste des pays soumis à visa de transit aéroportuaire et à participer à l’envoi d’officiers de liaison dans les pays de départ dits « à risque migratoire ». Plus récemment encore, elle a renforcé le bouclage de sa frontière avec l’Italie et multiplie les interpellations de citoyens solidaires. Onze d’entre eux passeront devant un juge au cours du premier semestre 2017.

Cette politique répressive s’accompagne d’une participation active aux logiques de l’UE d’externalisation de la gestion des flux migratoires. Après les accords de Rabat et de Khartoum, le gouvernement a soutenu, cette année, la signature de l’accord honteux entre l’UE et la Turquie. Il a envoyé 200 policiers et fonctionnaires en Grèce, versé aussi 300 millions d’euros pour le faire appliquer. Depuis, ont été signés de nouveaux accords de réadmission avec des pays en guerre comme l’Afghanistan, le Mali… et bientôt la Libye.

Dans son dernier rapport, publié en janvier 2017, Migreurop constate que, dans ce même élan, les étrangers sont de plus en plus enfermés avant d’arriver en Europe. Entre 2011 et 2016, à l’intérieur des frontières de l’UE, les lieux d’enfermement passent de 351 à 260. Tandis que leur capacité passe à l’extérieur des frontières européennes de 31 790 à 47 172, sans que les zones de privation de liberté libyennes, parmi les plus importantes, ne soient décomptées.

Des politiques inhumaines, mais également onéreuses et inefficaces. En quinze ans, plus de 11 milliards d’euros auront été dépensés par les États membres de l’UE pour éloigner les étrangers alors que seuls 40 % ont effectivement rejoint leur pays d’origine. Le nombre de morts sur les chemins de l’exil ne cesse, lui, d’augmenter. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, ils sont 18 500 en trois ans à avoir péri sur les sentiers de l’espoir.

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«La dame a refusé de regarder mes certificats médicaux»

Dounia Hadni , 0

Libération suit au long cours les parcours d’étrangers croisés dans les files d’attente devant les préfectures. Pour ce troisième épisode, rencontre avec Nawal (1), Algérienne mariée à un Français qui s’est démenée pour avoir le droit de se rendre au chevet de sa mère mourante en Algérie.

Nawal vivait à Alger jusqu’à ce qu’elle épouse Samir – un Franco-Tunisien – en septembre 2015, après avoir obtenu au consulat français d’Alger un «certificat de capacité à mariage», exigé pour la transcription de leur union en France. Dans la foulée, elle dépose son dossier pour une première demande de carte de séjour d’un an en tant que conjointe de Français à la préfecture de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le rendez-vous est fixé en décembre, elle y reçoit un récépissé valable trois mois, le temps que la préfecture examine son dossier. La même scène se reproduit tous les trois mois pendant un an. «A chaque fois, c’était pareil : elles tapotent sur leur machine et me disent : « Ah, votre récépissé arrive à sa fin, en voilà un autre. Votre carte de séjour n’est pas encore prête, elle est à la signature. »»

«Tout ça m’a forcée à m’absenter de mon travail au pressing, se souvient Nawal, à faire des heures de queue dans le froid avec mon mari qui espérait m’aider en prouvant par sa présence notre bonne foi.» Un périple qui ne surprend pas Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers : «La préfecture en question manque cruellement d’effectifs et de moyens. Les queues qui démarrent à 2 heures du matin pour le lendemain sont habituelles.» De même que les récépissés à répétition, comme nous l’a confirmé la préfecture : «Il arrive souvent que des dossiers traînent dans les circuits et, dans ce cas, on multiplie les récépissés.»

En juillet 2016, Nawal apprend que sa mère de 76 ans est malade. En septembre, on lui délivre un énième récépissé. La santé de sa mère s’aggrave. Nawal, apprenant qu’une circulaire d’octobre 2016 spécifie qu’il n’est pas possible à un titulaire muni d’un «récépissé de première demande» de voyager et de revenir sur le territoire français, s’affole. Elle retourne à la préfecture, munie de trois certificats médicaux que Libération a pu consulter et qui attestent que sa mère, atteinte d’une grave tumeur, a été opérée lourdement et placée sous chimio. «La dame qui m’a reçue a refusé de regarder mes certificats médicaux. Je n’oublierai jamais ses mots : « A votre place, entre ma mère et mes papiers, j’aurais choisi ma mère, peu importe le risque de ne plus pouvoir repasser la frontière. Honte sur vous ! »» C’est grâce à une autre agent «consciencieuse et humaine» et après avoir refait trois fois la queue qu’elle obtiendra sa carte de séjour. Et pourra rendre visite à sa mère, à temps.

(1) Les prénoms et les dates ont été modifiés.

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«Ma mère était mourante, j’étais coincée ici par la préfecture»

Dounia Hadni, 0

«Libération» suit au long cours les parcours d’étrangers croisés dans les files d’attente devant les préfectures, au fil de leurs démarches.

«Libération» vous propose une série dans laquelle vous pouvez suivre au long cours les parcours d’étrangers croisés dans les files d’attente devant les préfectures. Pour ce troisième épisode, rencontre avec Nawal, Algérienne mariée à un Français qui, dans l’attente d’un titre de séjour, qui s’est démenée pour avoir le droit de se rendre au chevet de sa mère mourante en Algérie. Elle et son mari nous racontent leur périple (les prénoms et les dates ont été changés, pas la durée et la succession des procédures).

On retrouve Nawal et Samir, la quarantaine, dans un café parisien sous un temps pluvieux. Les traits tirés et la voix tremblotante, la principale concernée nous demande d’emblée si nous sommes prêts à l’écouter raconter son «cauchemar». Avant de dérouler le fil des événements au jour près. Comme si son périple avait eu lieu la veille.

Nawal, de nationalité algérienne, vivait à Alger jusqu’à ce qu’elle épouse Samir – un Franco-Tunisien- en septembre 2015, après avoir obtenu au consulat français d’Alger un certificat de capacité à mariage, exigé pour la transcription de leur mariage en France. Dans la foulée, elle dépose son dossier pour une première demande de carte de séjour d’un an en tant que conjointe de français à la préfecture de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Le rendez-vous est fixé en décembre, elle s’y rend en présence de son mari et reçoit un récépissé – un document provisoire de séjour qui permet de rester en France durant l’examen de son dossier par la préfecture –  valable trois mois.

Trois mois plus tard, en mars, le récépissé de Nawal arrive à échéance. Sans nouvelles de son dossier, elle y retourne. Et rebelote, en juin, avec un troisième récépissé, puis un autre en septembre. En somme, elle aura eu quatre récépissés en un an pour une réponse qu’on devait lui donner à l’issue du temps de l’instruction délimité à trois mois. «A chaque fois, c’était pareil : elles tapotent sur leur machine et me disent « ah votre récépissé arrive à sa fin, en voilà un autre. Votre carte de séjour n’est pas encore prête, elle est à la signature »», relate-t-elle en les mimant.

«Tout ça m’a forcée à m’absenter de mon travail au pressing, se souvient Nawal, à faire des heures de queue dans le froid avec mon mari qui espérait m’aider en prouvant par sa présence notre bonne foi. J’ai le souvenir de m’être levée plusieurs fois aux aurores pour faire la queue dans un froid terrible de 5-6 heures du matin à 10 heures, quand j’avais de la chance. En espérant qu’ils ne me demandent pas de revenir un autre jour. Vous savez, quand la préfecture est débordée, on peut vous dire : « »Il n’y a plus de ticket, revenez demain ».» Une information qui ne surprend pas Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers, contacté par Libération, qui a régulièrement affaire à cette préfecture. «Les queues qui démarrent à 2 heures du matin pour le lendemain sont habituelles», précise-t-il. De la même façon que les récépissés à rallonge, comme nous l’a confirmé la préfecture elle-même : «Il arrive souvent que des dossiers traînent dans les circuits, et dans ce cas on multiplie les récépissés.»

Le processus par lequel est passée Nawal serait donc assez classique. «La préfecture en question manque cruellement d’effectif et de moyens pour l’accueil des étrangers alors que la population immigrée qui en dépend est relativement importante», ajoute l’avocat.

«Elle n’a rien trouvé de mieux à faire que de me juger»

En juillet 2016, Nawal apprend que sa mère âgée de 76 ans est tombée gravement malade à Alger. En septembre, on lui délivre un autre récépissé, soit un an après le dépôt de son dossier. L’état de santé de sa mère s’aggrave. Et Nawal, qui apprend qu’une circulaire d’octobre 2016 spécifie formellement qu’il n’est pas possible à un titulaire muni d’un «récépissé de première demande» de voyager et de revenir sur le territoire français, s’affole. Elle retourne à la préfecture, munie de trois certificats médicaux envoyés d’Algérie, que Libération a pu consulter, et qui attestent que sa mère, atteinte d’une grave tumeur, a été opérée lourdement et placée sous chimiothérapie.

A ce stade de son récit, Nawal reprend son souffle : «La dame qui m’a reçue ce jour-là a refusé de regarder mes certificats médicaux. J’avais beau lui expliquer, en larmes, que ma mère était mourante et que j’étais coincée ici, elle n’a rien trouvé de mieux à faire que de me juger. Je n’oublierais jamais ses mots : « A votre place, entre ma mère et mes papiers, j’aurais choisi ma mère, peu importent les risques de ne plus pouvoir repasser la frontière. Honte sur vous ! » Tu te souviens Samir ?», demande Nawal en direction de son mari, un sourire forcé aux lèvresElle sort de là effondrée, tiraillée entre son mari qu’elle ne voulait pas perdre, et sa mère, qui risquait de mourir sans qu’elle puisse lui dire au revoir. «J’ai fait une dépression, je perdais mes cheveux. Heureusement que mon mari était là pour me soutenir moralement même si c’était difficile pour lui de se sentir si impuissant.» Interpellé sur ce cas précis, Stéphane Maugendre nous certifie qu’il n’existe «pas de dérogation en cas de maladie ou de décès d’un proche». Ce que confirme aussi (sans parler de ce cas spécifique) la préfecture, qui s’en tient au règlement.

«Votre dossier est vide»

Nawal ne baisse pas les bras, elle change plusieurs fois de guichet en espérant tomber sur un agent compréhensif. Un matin de novembre, où elle fait la queue à partir de 6 heures pour passer à 14h30, elle finit par tomber su une fonctionnaire qui a pris la peine d’aller consulter son dossier, pour la première fois en l’espace d’un an. Lorsqu’elle revient, celle-ci a l’air confuse et lui dit : « »Madame, vous ne l’aurez jamais votre carte de séjour ! Votre dossier est vide ».» Nawal tombe des nues. Son mari, jusqu’ici taiseux, nous dit : «Comment est-ce possible ? Ils n’auraient pas pu lui donner un récépissé comme ça… Ils l’ont forcément perdu. Et, dans ce cas, pourquoi ne lui ont-ils tout simplement pas demandé de joindre l’intégralité des pièces qu’elle a évidemment gardées précieusement ?».

De son côté, la préfecture, que nous avons appelée, réfute cette possibilité: «Si une pièce manque, on prévient la personne systématiquement.» L’avocat Stéphane Maugendre, lui, n’y voit rien d’étonnant: «L’administration ne supporte pas d’avoir tort. Dans ce cas précis, elle peut avoir perdu le dossier de cette dame et a préféré faire traîner les choses en lui délivrant récépissé sur récépissé, au lieu de l’en informer. Peut-être espérait-elle le retrouver entre temps ?», suggère-t-il.

La fonctionnaire, «consciensieuse et humaine» comme la décrit Nawal, lui propose de rapporter les pièces sur le champ pour réactiver la procédure au plus vite et lui assure qu’elle veillera personnellement à ce que sa carte soit prête en moins de trois semaines. Deux semaines plus tard, en décembre, Nawal repart à la charge un vendredi, affronte la queue et le froid quand on l’appelle enfin. La personne qui la reçoit dans l’après-midi lui dit d’emblée, sans jeter un oeil à son dossier : « »Donnez-moi une photo, je renouvelle votre récépissé ».» Nawal est prise de vertige : « »Mais non, on m’a promis que ma carte serait prête »», lâche-t-elle. La fonctionnaire n’aura pas le temps de vérifier si sa carte est prête. Elle devra revenir lundi.

Ce jour-là, Nawal refait la queue, passe relativement tôt à 11h30 et récupère sa carte de séjour (qui avait été signée le jour ouvrable qui a suivi son entrevue avec sa «sauveuse»). Deux jours après, Nawal s’envole pour Alger où elle passe trois semaines au chevet de sa mère. A son immense soulagement, ce n’était pas trop tard.

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Régularisations : pas d’inversion de la courbe

Sylvain Mouillard , 0

Lors de ce quinquennat, la délivrance des titres de séjour s’est faite, comme sous la droite, au cas par cas et a varié selon les préfectures.

«Lui, président», il avait promis que les régularisations de personnes sans papiers seraient opérées «au cas par cas sur la base de critères objectifs». Cet engagement de campagne de François Hollande en 2012 ne marquait en fait aucune rupture avec la gestion de ce dossier par les gouvernements de droite et de gauche depuis une trentaine d’années. Si des circulaires sont parfois plus libérales, la règle du «cas par cas» demeure un principe intangible. Le dernier quinquennat n’a donc pas bouleversé la donne. Et la «transparence» souhaitée par le candidat Hollande pour l’attribution d’un titre de séjour ne s’est pas vraiment imposée.

Combien de régularisations au cours du quinquennat ?

Il existe une multitude de titres de séjour pour les ressortissants qui dépendent de leur situation familiale, professionnelle, etc. Pour ceux que l’on appelle les «sans-papiers», qui vivent et travaillent (souvent) en France depuis plusieurs années, il faut mesurer l’impact de la circulaire du 28 novembre 2012, du ministre de l’Intérieur d’alors, Manuel Valls. Celle-ci fixe différents critères pour accéder à un titre de séjour, avec l’objectif d’harmoniser les pratiques d’une préfecture à l’autre. Concernant les familles, la régularisation devenait notamment possible pour celles justifiant d’une présence sur le territoire d’au moins cinq ans et d’un enfant scolarisé depuis au moins trois ans. Quant aux travailleurs sans papiers, ils se voyaient fixer plusieurs obligations : prouver leur présence sur le territoire depuis trois à sept ans et l’exercice d’un emploi. D’après les données publiées par l’Intérieur en juillet, la circulaire Valls a permis en 2015 la «création» de 29 100 titres de séjour (5 100 pour motif «salarié» et 24 000 titres pour motif «familial»), et 30 000 en moyenne par an sur les quatre premières années du mandat.

Les pratiques des préfectures ont-elles été harmonisées ?

«C’est l’aléa le plus total, à tel point que certaines préfectures sont plus recommandées que d’autres pour y déposer une demande de régularisation», déplore Me Stéphane Maugendre. Un constat partagé par sa consœur Vanina Rochiccioli, présidente du Groupe d’information et de soutien des immigrés : «L’application de la circulaire demeure discrétionnaire et il nous est difficile de conseiller les personnes. Parfois, on pense avoir toutes les pièces nécessaires, et on essuie un refus.» Les hommes célibataires sont souvent les plus mal lotis, notamment quand il leur faut fournir la preuve d’une résidence continue. Compliqué quand on est payé au noir ou hébergé à droite et à gauche. «Les préfectures exigent souvent un document par trimestre, raconte Mamba Touré, de la Coordination 93 de lutte pour les sans-papiers. Et certains sont considérés comme non-probants, comme les factures téléphoniques.» Mais la principale embûche reste la mauvaise volonté des employeurs, qui rechignent à fournir les papiers nécessaires à leur salarié, de peur de voir l’inspection du travail sanctionner des pratiques illégales ou par volonté de garder sous leur coupe une main-d’œuvre corvéable.

Comment améliorer la situation ?

Depuis plusieurs années, Marilyne Poulain, responsable «immigration» à la CGT Paris, a mené de nombreux combats pour les sans-papiers. Pour elle, «la législation doit évoluer», notamment la règle qui exige un Smic mensuel pour prétendre à une régularisation, «ce qui exclut une grande partie des femmes, souvent à temps partiel». Elle s’oppose aussi à la «taxe Ofii» – du nom de l’Office français de l’immigration et de l’intégration -, d’un montant de 55 % du salaire brut, qui doit être versée par l’employeur à l’Etat. «Elle est volontairement dissuasive. Et souvent, le patron demande au salarié de la payer lui-même.»

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Avocat