Créteil (AFP)
Un maire devant la justice, accusé d’avoir refusé de scolariser cinq enfants roms dans sa commune du Val-de-Marne: une action rarissime, selon les associations. Mais à l’issue d’une journée de débats mercredi à Créteil, c’est la relaxe qui a été requise.
« A mon sens, la preuve d’une discrimination n’est pas suffisamment apportée », a déclaré le procureur, prenant ainsi la défense de Marie-Carole Ciuntu, maire Les Républicains de Sucy-en-Brie, ville moyenne du Val-de-Marne (27.000 habitants).
L’affaire remonte au 30 septembre 2014, quand une représentante de l’association Romeurope –partie civile dans ce procès– se présente à la mairie, les dossiers de cinq enfants roms sous le bras.
L’année scolaire a déjà débuté, mais elle demande au guichet à scolariser ces enfants, qui vivent depuis quatre mois dans un bidonville sur la commune.
« La jeune femme s’est levée et a dit: +je vais aller voir mon responsable+ », témoigne à la barre cette militante, habituée à scolariser des Roms dans tout le département.
Quand « la personne de l’accueil » revient, elle lui oppose, selon elle, « un refus catégorique du cabinet du maire ». Le ton monte. Elle quitte les lieux.
Le jour même, une lettre est envoyée à Marie-Carole Ciuntu. « Nous vous demandons expressément de revenir sur ce refus et si vous persistez, notre collectif saisira le Défenseur des droits », écrit l’association, selon un extrait lu mercredi par son avocat Me Jérôme Karsenti.
Suivent plusieurs mises en demeure, notamment une du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), également partie civile, tout comme le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).
Sans réponse et après un peu plus d’un mois d’attente, une citation directe pour « discrimination raciale » est déposée contre Mme Ciuntu.
– ‘Une affaire montée, politique’ –
Cette dernière peine, à l’audience, à justifier son absence de réponse. « Tout ceci demande du temps », bredouille-t-elle, se disant « très impressionnée d’être ici ».
Puis elle se dévoile peu à peu et livre une version plus nuancée des faits. Selon elle, l’agent d’accueil de la mairie aurait réclamé un justificatif de domicile pour chaque enfant, demande que la militante, qui n’aurait en outre pas justifié de sa légitimité à demander les scolarisations, n’a pas acceptée.
« Nous n’avons pourtant jamais opposé la domiciliation » à une demande de scolarisation, affirme Mme Ciuntu, expliquant qu’il suffit aux familles d’être domiciliées par une association ou même au Centre communal d’action sociale (CCAS) pour que leur demande soit acceptée. « Plus de dix enfants roms sont aujourd’hui scolarisés » à Sucy-en-Brie.
Autre élément: un arrêté d’expulsion avait été déposé sept jours avant la requête de Romeurope, à la demande du préfet du Val-de-Marne, les Roms étant installés sur un terrain dangereux.
Elle souligne alors que l’un des avocats qui lui fait face, Me Karsenti, fut également un de ses conseillers municipaux d’opposition (PS) pendant deux ans. « Pour moi, l’affaire change de dimension », raconte-t-elle. « On a pris cette affaire comme une affaire montée, politique. »
Lui se lève, réfute d’une voix forte « ces accusations », puis tourne ostensiblement la tête, plus tard, quand elle évoque à nouveau son nom. Leur évident mépris mutuel transpire au milieu d’une salle d’audience déjà accablée par les températures caniculaires.
L’avocat du Défenseur des droits, également présent, se dit « sidéré ». « C’est cinq enfants pris en otage d’un conflit politique entre le maire et Me Karsenti », estime-t-il, considérant pour sa part que la discrimination est « caractérisée ».
Aveu troublant et involontaire, lâché dans la journée par Mme Ciuntu sur Me Karsenti: « S’il m’avait appelée, ça aurait été réglé dans les heures qui suivent ».
Affaire mise en délibéré au 2 septembre.