L’armée a-t-elle sciemment tourné le dos à un bateau de migrants à la dérive ? C’est la question sur laquelle la justice va devoir plancher. Jeudi, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a jugé recevable une plainte contre X déposée par deux survivants, Girma Halofom, un Erythréen, et Abu Kurke Kebato, un Ethiopien, pour «non-assistance à personne en danger». Dans cette procédure, ils sont épaulés par plusieurs ONG, notamment le Gisti et la Ligue des droits de l’homme (LDH).
Que s’est-il passé ?
Dans la nuit du 26 au 27 mars 2011, entre minuit et 2 heures du matin, un zodiac quitte Tripoli, alors en pleine guerre contre la coalition, pour rejoindre l’île italienne de Lampedusa. A bord, 72 personnes – 70 adultes âgés de 20 à 25 ans, parmi lesquels plusieurs femmes enceintes, et 2 bébés – s’entassent les unes sur les autres. Le bateau, piloté par un Ghanéen et équipé d’un GPS, d’une boussole et d’un téléphone satellitaire, navigue deux jours avant de tomber en panne de carburant. Quinze jours durant, les migrants vont dériver, attendant désespérément l’arrivée des secours. Malheureusement, le zodiac est retrouvé brisé sur les côtes libyennes le 10 avril 2011 au matin, le naufrage faisant 63 victimes.
Sur quels éléments se basent les plaignants ?
Les survivants affirment que des gardes-côtes italiens ont relayé leurs signaux de détresse à l’ensemble des navires circulant dans le canal de Sicile. Des messages radio auraient ainsi été transmis toutes les quatre heures au quartier général de l’Otan basé à Naples. Pour preuve : un hélicoptère est venu larguer de l’eau et de la nourriture. Mais ensuite, aucun des nombreux bâtiments militaires engagés dans les opérations «Harmattan» et «Unified Protector», destinées à destituer Muammar al-Kadhafi, n’est venu porter secours à l’embarcation. Pis, selon les deux plaignants, un navire décrit comme un porte-avions (de nationalité non précisée) se serait approché d’eux le 3 ou le 4 avril, et le personnel de bord aurait pris des photos.
Que peut faire la justice ?
Elle va désormais se tourner vers les états-majors des pays de la coalition afin qu’ils transmettent les positions exactes de leurs bâtiments en manœuvre. Il s’agira ensuite d’étudier l’ensemble des communications passées entre les navires et le QG napolitain. Un juge d’instruction est chargé d’enquêter, alors même que l’enquête préliminaire était classée. Mais sa tâche s’annonce ardue en raison du classement secret-défense de nombreux documents.