propos recueillis par Stéphane Rak, 20/05/1993
« Il y a un risque de provocation »
Stéphane Maugendre, responsable du Syndicat des avocats de France (SAF), craint que le projet de loi ne soit la porte ouverte aux provocations entre policiers et jeunes des banlieues défavorisées. De plus, il conteste une « atteinte évidente aux droits de l’homme ».
LE QUOTIDIEN. – Les policiers vont pouvoir, sur instruction du procureur de lu République, procéder à tout contrôle d’identité sur un lieu et pendant un temps déterminé. Cela vous inquiète. Pourquoi?
Stéphane MAUGENDRE. – Les pratiques qui existaient avant ce projet de loi étaient déjà tellement attentatoires que je crains que les nouvelles mesures amènent à de graves débordements. Dans certaines banlieues, cela va rajouter, pire que de l’huile, de l’essence sur le feu. Les contrôles vont être considérés comme des provocations. Il suffit que les policiers ne soient pas doués en matière de psychologie et on peut courir tout droit à des catastrophes.
LE QUOTIDIEN. – Pourtant, comme le prévoit le projet de loi, ces mesures sont prises pour éviter les « troubles de l’ordre public »,
Stéphane MAUGENDRE. -Mais qu’est-ce que l’ordre public ? Je mets au défi quiconque du gouvernement de m’en donner une définition. Même nous juristes ne savons pas ce que c’est.
LE QUOTIDIEN. -Prenons à présent les arguments des partisans de cette réforme. Ils soulignent que tout cela se pressera sous contrôle judiciaire.
Stéphane MAUGENDRE. -Quel contrôle judiciaire? Pratiquement, ce qui va se passer, c’est qu’un procureur de la République va autoriser les contrôles tel jour sur tel secteur. Il y a, certes, un contrôle judiciaire a priori. Mais après, quel sera le contrôle ? Qu’allez-vous plaider si on vous dit que de toute manière les policiers agissaient sous couvert d’un ordre du procureur ?
LE QUOTIDIEN. -Les policiers s’étonnent que les contrôles d’identité par les caissières de supermarché ne choquent personne alors que des contrôles faits par les forces de l’ordre surprennent. Est-ce un bon argument?
Stéphane MAUGENDRE. -Absolument pas. Dans un cas, on est dans un rapport commercial, dans l’autre, dans un rapport qui concerne la liberté d’aller et venir.
LE QUOTIDIEN. -Certaines personnes disent que les contrôles ne les dérangent pas, dans la mesure où elles n’ont rien à se reprocher…
Stéphane MAUGENDRE. -J’ai hâte de réentendre ces personnes le jour où, et ça arrive à tout le monde, elles sortiront se promener en oubliant simplement leurs papiers. Ou bien le jour où elles perdront de précieuses minutes alors qu’elles ont un rendez-vous urgent, parce que dans le métro, le procureur a autorisé un contrôle d’identité et qu’un bouchon s’est formé dans les couloirs, parce que ça prend du temps de contrôler tout le monde. Et de toute manière, j’aimerais qu’on me dise en vertu de quoi nous sommes contraints d’avoir en permanence nos papiers sur nous.