Hier, une plainte visant les armées française et espagnole a été déposée après le chavirage dramatique d’une embarcation pleine de migrants, en 2011, au large de la Libye.
Comment est-il possible de laisser dériver en pleine mer un zodiac chargé de 72 migrants (en majorité éthiopiens) alors que plusieurs navires et hélicoptères militaires de l’Otan connaissaient parfaitement sa position et sa situation de détresse ? C’est la question à laquelle vont devoir répondre les autorités françaises et espagnoles, saisies, mardi 18 juin, par une plainte avec constitution de partie civile par plusieurs associations d’aide aux migrants (Gisti, Migreurop, LDH, FIDH).
Les faits remontent au printemps 2011 : en pleine guerre civile libyenne, alors qu’une opération de l’Otan est déclenchée afin de chasser le colonel Kadhafi, un bateau chargé de réfugiés quitte Tripoli, en direction de l’Italie. Rapidement, les migrants perdent le contrôle du zodiac et commencent une lente dérive qui durera quinze jours. Ils lancent un appel de détresse qui sera renouvelé toutes les quatre heures pendant dix jours. Entre-temps, ils sont photographiés par un avion militaire français, ravitaillés en eau et en biscuits par un hélicoptère non identifié et croisent plusieurs bateaux militaires et civils. Mais aucun ne vient à leur secours. Lorsque le zodiac échoue enfin, pas très loin de son point de départ, on compte seulement 11 personnes rescapées, deux mourront peu de temps après. Une tragédie qui aura été fatale à 63 personnes au total. Et qui aurait pu être évitée, selon les associations.
D’ailleurs, en avril 2012, une première plainte pour non-assistance à personnes en danger avait déjà été déposée en France, mais le parquet avait classé l’affaire sans suite. « Le parquet a suivi l’avis du ministère de la Défense : l’armée française n’était pas là et, même si elle était là, sa responsabilité ne saurait être engagée car l’opération militaire relevait de l’Otan », rappelle Stéphane Maugendre, avocat français des parties civiles et président du Gisti. D’où le choix de lancer, aujourd’hui, une nouvelle procédure « en France et en Espagne, car nous sommes sûrs que le zodiac a croisé au moins un avion français et un bateau espagnol qui lui ont refusé toute assistance », explique Me Boye, l’avocat qui suivra cette plainte côté espagnol.
« J’ai pu obtenir l’asile aux Pays-Bas, mais, depuis cette traversée, j’ai des problèmes de santé, a témoigné hier Abu Kurke, Éthiopien de vingt-six ans et un des rares survivants de la tragédie. Pourquoi nous ont-ils abandonnés ? » Mussie Zerai, le prêtre érythréen qui avait recueilli les survivants, a sa réponse : c’est la politique migratoire européenne qui réduit les migrants à des « personnes à repousser, y compris lorsque leur vie est en danger », qui est responsable de ce drame.