Ils sont massés depuis près d’une heure devant l’immense podium planté place de la République, à Paris. Sous un soleil radieux, près de 15 000 personnes se sont enflammées, samedi 10 mai, pour le grand concert gratuit organisé pour les « victimes de la double peine », une campagne qui mobilise depuis dix-huit mois une quarantaine d’associations et de syndicats.
Jeunes Parisiens pour la plupart – la banlieue ne s’est pas déplacée -, ils sont venus en masse écouter les groupes les plus engagés : la Tordue, qui a composé une chanson sur ce thème, les Têtes raides, Zebda, Yann Tiersen, les Femmouzes T, les rapeurs de La Rumeur, puis Jacques Higelin, dans un buf improvisé. Pendant plus de sept heures, le public a écouté les discours, les histoires de vie brisée des « double peine » et les envolées des artistes.
C’était l' »ultime manifestation » de la Campagne. Pour protester une fois encore contre le sort réservé à ces milliers d’étrangers, anciens délinquants ayant purgé leur peine de prison, condamnés à une expulsion vers leur pays d’origine. Et pour donner un avertissement au gouvernement avant la discussion au Parlement du projet de loi de Nicolas Sarkozy, prévue fin juin.
La réforme, présentée en conseil des ministres le 30 avril, vise à protéger de l’éloignement du territoire les étrangers ayant fait « toute leur vie en France ». Le texte crée, sous certaines conditions, une « protection absolue » pour certaines catégories, notamment les conjoints et parents de Français, et les étrangers arrivés depuis au moins l’âge de 13 ans ou présents depuis plus de vingt ans. En aménageant la loi, sans abroger l’interdiction du territoire – plus de 2 000 peines exécutées chaque année -, le texte a mécontenté la plupart des associations, malgré les précautions de la Cimade, qui voit dans la réforme « une avancée ».
« DE LA POUDRE AUX YEUX »
« L’enjeu n’est pas de replâtrer le système ou de faire des mesures humanitaires », a prévenu le cinéaste Jean-Pierre Thorn. « Sarkozy impose tellement de conditions que le principe de protection devient une exception », assène Me Stéphane Maugendre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Le chanteur de la Rumeur a, lui, dénoncé « une discrimination à gerber ». Les poings se lèvent et un « Pas de justice, pas de paix », slogan du Mouvement de l’immigration et des banlieues, est repris par les premiers rangs.
Au-delà, c’est l’ensemble du projet de loi du ministre de l’intérieur qui était dans les têtes. Majid Cherif, des Zebda, s’est emporté contre ce « symbole d’une République qui n’intègre pas la couleur de la peau ». C’est le statut et la place des étrangers qui « révoltent »les musiciens des Têtes raides comme ceux de la Tordue. « Nous n’avons pas donné mandat à ce gouvernement pour qu’il fasse une décalcomanie de la politique de Le Pen », a lancé Michel Tubiana, de la Ligue des droits de l’homme. Quand le Chant des partisans, version Motivés, est repris par les Zebda, une forêt de poings s’est levée.