Cinéastes, écrivains, musiciens, comédiens… Quelque 800 artistes et intellectuels français en appellent au gouvernement pour que les réfugiés soient traités dignement.
«Depuis des semaines, de nombreuses associations sur le terrain cherchent à alerter l’opinion publique sur les épouvantables conditions de vie réservées aux migrants et aux réfugiés de la jungle de Calais. Cinq à six mille femmes, hommes et enfants, épuisés par un terrible voyage, laissés à eux-mêmes dans des bidonvilles, avec un maigre repas par jour, un accès quasi impossible à une douche ou à des toilettes, une épidémie de gale dévastatrice, des blessures douloureuses, des abcès dentaires non soignés. Et les viols des femmes. Les enfants laissés à eux-mêmes dans les détritus. Les violences policières presque routinières. Les ratonnades organisées par des militants d’extrême droite. Jusqu’à quand allons-nous nous taire ?
«Au prétexte que des conditions de vie moins inhumaines pourraient produire « un appel d’air » envers d’autres réfugiés, le gouvernement de notre pays a décidé de se défausser sur les associations et les bonnes volontés. Celles-ci sont admirables mais ne peuvent pas tout. Ce désengagement de la puissance publique est une honte dans un pays qui, même en période de crise, reste la sixième puissance économique mondiale. La spirale du pire est amorcée. Les discours réactionnaires ou fascisants ne cessent depuis des années de diviser les gens, d’opposer des catégories toujours plus fragmentées, pour mieux propager leur idéologie haineuse. Aujourd’hui leur propagande avance l’argument qu’il n’y aurait plus de place pour les exilés d’où qu’ils viennent, soi-disant au nom de la défense des plus pauvres des Français.
«Cette mise en concurrence des indigences est ignoble. Elle nous habitue à l’idée qu’il y aurait des misères défendables et d’autres non. Elle sape les fondements des valeurs constitutives de la France. Elle nie notre humanité commune. Elle nous prépare au pire. Alors que ce sont, précisément, ces mêmes associations, ces mêmes bénévoles, ces mêmes hommes et femmes de bonne volonté qui nous alertent aujourd’hui sur Calais et qui agissent depuis des années à panser toutes les misères de France. Alors que ce sont, précisément, les mêmes hommes et femmes politiques, ou les mêmes discours qui attisent le feu en soufflant sur les braises des divisions mortifères, qui, par leur action ou leur manque d’action politique, accentuent la pauvreté des plus pauvres et sont incapables de lutter efficacement contre le mal-logement ou la misère alimentaire. Aujourd’hui nous avons décidé de prendre la parole tous ensemble pour dire non à la situation réservée à ceux qui sont actuellement les plus démunis de droits en France : les exilés de Calais. Au nom de nos valeurs communes d’asile et d’universalisme. Et parce que nous serons plus forts demain pour nous battre ensemble contre les autres formes d’injustices et de misère. Nous demandons solennellement au gouvernement un large plan d’urgence pour sortir la jungle de Calais de l’indignité dans laquelle elle se trouve.»
Il y a dix fois plus de familles logées à l’hôtel qu’en 2005, année où plusieurs dizaines de personnes ont trouvé la mort dans des établissements parisiens. Aucun progrès dans l’hébergement, et la justice toujours pas rendue sur l’incendie du Paris-Opéra, s’indignent Aomar Ikhlef, vice-président de l’Association des familles des victimes, Claire Lévy-Vroelant, sociologue, et Stéphane Maugendre, président du Gisti.
Un procès qui s’éternise dans l’indifférence, détruit les victimes : impossible de faire son deuil lorsque justice n’est pas rendue. Dimanche 12 avril prochain, comme tous les ans, square de la Trinité (Paris IXe), à deux pas de l’hôtel toujours inoccupé, les familles rendront hommage à leurs 24 morts, dont 11 enfants en bas âge. Depuis 2012, une stèle rappelle leur nom et leur âge. Comme tous les ans, les associations seront présentes pour les soutenir. Mais cette année, ce sera le dixième anniversaire. Sans que le procès ne soit terminé. Fatima Tahrour, qui avait provoqué l’incendie, a fait appel de sa condamnation à trois ans de prison, et le procès civil a été confié à une nouvelle chambre, qui, lors de la dernière audience, le 4 mars 2015, semblait ignorer tout ou presque de l’affaire à juger.
Dès les premières heures de ce drame, arrivent sur place les plus hautes autorités de la ville et de la République, le maire du IXe arrondissement met des salles de la mairie à disposition. Toute la nuit du 14 au 15 avril 2005, les associations (DAL, Comité Action logement, Gisti, Mrap) font le tour des hôpitaux afin de connaître la situation des blessés, aident les familles à connaître le sort de leurs proches, agissent auprès de la cellule d’urgence avec les psychologues, évitent la séparation des survivants et aident à leur hébergement dans un hôtel proche de la porte de Versailles.
Le soutien aux endeuillés ne s’est pas limité au lendemain de l’incendie: visites régulières aux blessés dont certains seront handicapés à vie, aide administrative pour les papiers et le relogement qu’il a fallu obtenir de haute lutte, courriers au plus haut niveau de l’État pour obtenir que les corps de plusieurs des victimes soient rendus à leurs familles. La lenteur de la justice se combinant avec les caprices de l’administration, les victimes ont vite replongé dans leur statut de sans-droits : obstacles à la mise à disposition de logements adaptés pour les personnes handicapées, rejet des demandes de regroupement familial notamment.
Au-delà des souffrances physiques et morales éprouvées par les survivants, des formes de résilience qu’ils ont pu développer pour survivre, ce sont les enjeux sous-jacents qu’il convient de mettre en lumière. Ceux, d’abord, qui concernent la marche de la justice dans cette affaire; ceux, ensuite, qui ont trait au lancinant problème de l’hébergement d’urgence, par l’intermédiaire du 115, des familles précaires dans les hôtels sociaux, notamment parisiens.
Concernant la justice, un simple rappel de la chronologie est édifiant. Après le drame, les familles des victimes devront attendre près de deux ans pour être reçues par la Justice (le juge d’instruction), quatre ans pour que les expertises techniques soient rendues, cinq ans pour la mise en examen des gérants (suite à l’interpellation de la juge par leurs avocats), sept pour celle du veilleur de nuit, huit ans pour voir se terminer l’instruction et neuf pour qu’un procès démarre. Neuf années, jalonnées de nombreux temps morts, au cours desquelles les nerfs des familles sont mis à rude épreuve : le procès s’ouvre le 14 novembre 2013, pendant lequel les familles, qui ont pu exposer enfin leurs souffrances et leur douleur, retrouvent l’espoir, en dépit du fait que la responsabilité de l’État, représenté par la Préfecture de police et le Samu social, a été écartée.
Le jugement rendu le 23 janvier 2014 à l’encontre des prévenus reconnaît la culpabilité du gérant, du veilleur de nuit et de sa compagne Fatima Tahrour mais refuse de se prononcer, non seulement sur les demandes de réparation des victimes, mais surtout sur la recevabilité de leur constitution de partie civile. Et, ainsi étant l’organisation de la justice, ces deux questions sont renvoyées à la 19e chambre du TGI de Paris, spécialisée dans les questions de réparation des préjudices.
Le refus de juger de la recevabilité de la constitution des parties civiles a pour effet de priver celles-ci, d’une part, de la possibilité de faire appel et, d’autre part, en cas d’appel de la seule part des personnes reconnues coupables ou du Procureur de la République, d’être partie au procès en appel. Ce qui devait arriver est arrivé puisque l’un des prévenus, Fatima Tahrour, a fait appel.
Résultat, le dossier se retrouve saucissonné entre une Chambre d’appel pour que soit jugé de la culpabilité de cette personne, sans partie civile, et une 19e Chambre du Tribunal devant laquelle des parties civiles attendent de voir si elles sont recevables à être parties au procès contre ceux qui n’ont pas fait appel, à savoir les gérants et leur fils.
Pour accroître la douleur de l’attente, il faudra patienter encore 14 mois pour qu’une audience soit fixée par-devant la 19e chambre, à disposition de laquelle aucun moyen n’est mis pour juger d’une telle affaire et qui se retrouve d’évidence dans l’obligation de bricoler, d’aucuns pensant même qu’elle ne possède pas de double du dossier.
À la demande des avocats des parties civiles, la 19e chambre a fini par concéder une seule audience intermédiaire (nommée ainsi car dans l’attente du résultat de l’appel de l’un des prévenus), le 4 mars 2015, pour examiner la recevabilité de l’ensemble des parties civiles ainsi que les demandes de provision et d’expertise. Quelle n’a pas été la stupeur des familles et de leurs avocats de constater à cette occasion que la 19e chambre n’avait même pas en sa possession les conclusions que les parties civiles avaient déposées à l’ouverture du premier procès en novembre 2013 ! La Justice avait-elle oublié leurs souffrances et leurs morts ? De cette audience, les justiciables ressortiront sans aucune avancée. Le fait que les conclusions des parties civiles déposées en janvier 2014 devant la 14e chambre ne soient toujours pas en possession de la 19e signe une impréparation aggravée, pour les justiciables, par la position de l’assureur des gérants de l’hôtel : sans doute encouragée par la lenteur de la procédure, la compagnie Axa campe sur sa méthode de négociation individuelle, refusant la demande des parties civiles, à savoir que les préjudices spécifiques des victimes fassent l’objet d’une discussion unique et commune à toutes les parties.
« De minimis non curat praetor » (ou une pauvre justice pour les pauvres ?)
Comment ne pas penser que ce traitement judiciaire insatisfaisant à tant d’égards est en rapport avec le statut social et administratif précaire des victimes ? On aurait pu croire qu’après un tel drame, aggravé par d’autres – au cours de l’été 2005, ce sont 52 personnes, dont 33 enfants qui ont péri dans des hôtels parisiens – l’hébergement d’urgence serait repensé de fond en comble. Pourtant, si les victimes ont été relogées dans des logements dignes de ce nom notamment grâce au soutien des associations, le placement des familles à l’hôtel, cette aberration humaine, sociale et économique, non seulement perdure, mais prend chaque année plus d’ampleur : 2 500 personnes étaient hébergées en 2004, elles sont 29 000 aujourd’hui. Chaque soir, environ 8 500 familles, avec plus de 13 200 enfants mineurs, sont hébergées par le Samu social de Paris.
Les effets délétères de la vie à l’hôtel pour les familles sont connus depuis longtemps. Ils ont été documentés précisément par l’enquête ENFAMS (Enfants et Familles sans logement), réalisée par l’observatoire du Samu social de Paris et rendue publique en octobre 2014 (pdf ici). S’appuyant sur un échantillon de 801 familles, hébergées en Ile-de-France, dans un « hôtel social », un centre d’hébergement d’urgence (CHU), de réinsertion sociale (CHRS) ou un centre pour les demandeurs d’asile (CADA), cette enquête dresse un tableau particulièrement alarmant des conséquences de la vie à l’hôtel. Souffrant d’une forte insécurité alimentaire (8 familles sur 10 et 2 enfants sur 3), elles sont de plus fragilisées par une prise en charge insuffisante et inadaptée, en particulier dans les hôtels qui représentent 95% des hébergements d’urgence. Isolement, difficultés d’accès aux droits, entrave à la scolarité pour les enfants, sont le lot commun aggravé par l’absence de perspective. Comme celles qui se trouvaient à l’hôtel Paris Opéra la nuit du 14 avril 2005, très souvent d’origine étrangère, ces personnes ont été poussées à l’exil par les conflits, les maltraitances, la pauvreté.
Est-ce à dire qu’il faudrait fermer les hôtels et laisser les personnes à la rue sans recours ? Regardons plutôt en face la fabrique de cette misère : l’absence d’une situation administrative stable au regard du séjour d’abord, avec l’interdiction de travail qui s’ensuit, l’insuffisance de logements abordables et la carence de l’État ensuite, les discriminations de tous ordres, enfin, génèrent une population d’exclus réduits à l’assistance. Or, aucun de ces trois facteurs de désordre social n’est une fatalité, pas plus que le florissant marché profitant surtout aux hôteliers et aux intermédiaires et que les pouvoirs publics nourrissent. Des solutions adaptées et moins coûteuses existent : elles passent par le développement de formes d’hébergement et de logement solidaires et participatives, par une politique de droit au séjour généreuse et adaptée, et par une prévention et une pénalisation des discriminations à l’emploi et au logement à l’encontre des étrangers et des pauvres : c’est la seule voie réaliste pour en finir avec cette forme périlleuse autant que coûteuse d’exclusion programmée.
Aomar Ikhlef, vice-président de l’Association des familles des victimes de l’incendie Paris-Opéra (Avipo) Claire Lévy-Vroelant, professeure de sociologie à Paris 8, Centre de recherche sur l’habitat (CNRS), auteure de plusieurs ouvrages sur les hôtels meublés Stéphane Maugendre, président du Groupe de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti)
Par des magistrats et des militants pour les droits de l’homme,
Au mois de septembre sera inaugurée une annexe du Tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny au bord des pistes de l’aéroport de Roissy.
Pourquoi ce lieu incongru pour rendre la justice ? Parce que cet aéroport recèle le plus important lieu de détention d’étrangers (une «zone d’attente» dite Zapi) dans lequel sont enfermés, chaque année, des milliers de personnes (8 541 étrangers ont été placés en zone d’attente en 2011 dont près de 80 % à Roissy) empêchées d’entrer en France, parfois arbitrairement, par la Police aux frontières (PAF). La durée de cet enfermement est de quatre jours et peut être prolongée, à la seule demande de la PAF, par un juge judiciaire, le Juge des libertés et de la détention (JLD).
Faut-il s’en inquiéter pour la justice de notre pays ? Non, répondent, complices, les ministères de l’Intérieur et de la Justice. D’autant moins que cette «délocalisation» a été prévue de longue date par notre législateur et validée, sous réserves, par le Conseil constitutionnel.
Non, puisque sera ainsi respectée, dit-on, la dignité du justiciable, que la PAF ne sera plus obligée de transférer en fourgon de sa «geôle» de Roissy au TGI de Bobigny.
Non, argue-t-on, car il s’agit de bonne administration de la justice, alliée à des considérations d’efficacité puisque les effectifs de la PAF ne seront plus occupés qu’à la lutte contre les trafics de main-d’œuvre étrangère.
Ces justifications relèvent de la mystification.
Car l’indignité du transfert de Roissy à Bobigny – que rien n’interdirait d’humaniser – trouve sa source dans le principe même d’un enfermement dans le quasi secret et l’indifférence générale. Car le transfert d’avocats, de greffiers et de magistrats pour défendre et juger dans des locaux dépendant du ministère de l’Intérieur, constitue une atteinte à l’indépendance de la justice. Ce n’est pas la première fois que la justice tente de se «délocaliser» pour de fausses bonnes raisons. Les salles d’audiences des centres de rétention des étrangers du Canet et de Cornebarrieu ont d’ailleurs été fermées à la suite de la censure de la Cour de cassation.
Mais alors, pourquoi revenir à la charge, avec cette salle d’audience aéroportuaire ? Depuis le milieu des années 90, les ministères de l’Intérieur successifs font pression pour que ces audiences soient organisées à Roissy. Un premier local avait été aménagé à l’intérieur même de la Zapi mais était resté à l’abandon, tous les acteurs du monde judiciaire s’étant élevés contre cette délocalisation. En octobre 2010, un appel d’offres était lancé pour l’extension des locaux préexistants avec une seconde salle d’audience et un accueil du public, pour 2,3 millions d’euros. De toute évidence, le cahier des charges de ce marché était empreint de l’étude attentive des décisions de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel.
A quelques mois de cette inauguration où en sommes-nous ? Le principe fondamental de la publicité des débats, condition absolue de l’indépendance et de l’impartialité de la justice, ne sera pas respecté compte tenu de l’éloignement de la salle d’audience et de son isolement dans la zone aéroportuaire sans, quasiment, aucun transport en commun. Les tribunaux doivent être accessibles aux proches du justiciable, mais aussi au citoyen qui veut voir la justice de son pays ou au collégien qui vient découvrir ses métiers. Les procès de Roissy ne verront ni citoyens ni collégiens. Par ailleurs, le juge des libertés et de la détention et l’avocat seront isolés, à l’écart de leurs collègues, et sous la pression constante de la police, chargée à la fois de gérer la Zapi et de saisir le juge.
Situé dans l’enceinte barbelée de la zone d’attente et au rez-de-chaussée même du bâtiment dans lequel sont enfermés les étrangers, rien ne sépare le futur «tribunal de Roissy» de cette «prison», si ce n’est une porte blindée. Comment avoir confiance en l’impartialité d’une justice implantée dans le lieu même où l’on enferme ? En réalité, cette annexe n’aura, de justice, que l’apparence puisqu’il ne sera rendu de décisions qu’à l’égard d’une seule catégorie de personnes – des étrangers – à la demande d’une seule et même partie – la Police aux frontières – poursuivant inlassablement l’unique objectif de leur enfermement. Ainsi, le rêveinachevé du précédent gouvernement d’intégrer le juge dans une gestion performative des lieux où la France enferme ceux qu’elle entend refouler ou expulser est-il en passe d’être réalisé par des ministres apparemment déterminés à inaugurer ces tribunaux d’exception. Est-il trop tard pour les en dissuader ?
Signataires : Stéphane Maugendre Président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Françoise Martres Présidente du Syndicat de la magistrature, Flor Tercero Présidente de Avocats pour la défense des droits des étrangers (Adde), Pierre Tartakowsky Président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Patrick Peugeot Président de la Cimade, Anne Baux Présidente de l’Union syndicale des magistrats administratifs (Usma), Jean-Jacques Gandini Président du Syndicat des avocats de France (SAF), Bernadette Hétier Coprésidente du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), Didier Ménard Président du Syndicat de la médecine générale (SMG), Anne Perraut-Soliveres Directrice de la rédaction de la revue «Pratiques», François Picart Président de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat), Didier Fassin Président du Comité médical pour les exilés (Comede), Jean-Eric Malabre Coprésident de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), Claude Peschanski Présidente de l’Observatoire citoyen du Centre de rétention administrative de Palaiseau.
Introduction à la journée d’information du Gisti du 16 avril 2013
Le point sur les réformes (loi sur la « retenue », étudiants, nationalité, régularisation…)
Suite à l’envoi de la lettre des amis du Gisti (lettre que nous envoyons aux donateurs) au mois d’octobre 2012 [1] dans laquelle nous dénoncions déjà le projet de loi sur la retenue judiciaire en remplacement de la GAV des étrangers et le traitement infligé aux Roms, notamment durant la période estivale, je recevais un mot d’un ou d’une donatrice selon lequel nous aurions du d’abord mettre en avant les mesures positives prises par le gouvernement à l’égard des étrangers.
Je dois dire que cette critique est régulièrement faite au Gisti chaque fois qu’un gouvernement de gauche arrive au pouvoir mais en l’espèce je ne voyais pas du tout à quoi il était fait référence.
Je n’imagine pas la tête qu’il ou elle devait faire suite au rebond publié sous ma signature (mais en réalité écrit à plusieurs mains) dans libération le 17 janvier 2013 titré « Au Parti socialiste, un zeste de xénophobie ? ». [2]
Mais revenons en arrière !
Dès la campagne électorale, les choses étaient claires.
Rien dans le programme du candidat Hollande, sauf l’annonce de la réapparition du serpent de mer socialiste ou plutôt du monstre du Loch ness, c.a.d du droit de vote des étrangers aux élections locales, sans éligibilité. Nous savons qu’en à peine une année cette promesse est définitivement abandonnée.
Quant à une régularisation des sans papiers nous savions qu’elle ne serait pas globale mais au cas par cas et selon des critères précis. Rhétorique classique, rodée et apprise par cœur.
Et les sbires de la campagne de venir, dans les conférences de presse, les réunions publiques… , nous dire le soutien du PS à nos luttes de soutiens aux sans papier, aux Roms, aux étudiants étrangers…mais sans engagement plus avant.
Pour faire bonne figure, le Gisti était même reçu Rue de Solférino pour dire nos « revendications », comme si nos écrits n’étaient pas suffisamment clairs.
La nomination du Maire d’Evry qui voulait plus de « blancos » ou de « white » pour une vidéo de sa ville en juin 2009 [3], au poste d’un Ministère de l’Intérieur, dont l’omnipotence était héritée directement du Sarkozisme le plus dur, imprimait dés le départ une conception policière et répressive de la politique d’immigration [4].
Dès les mois de juillet et aout 2012, les plus brutales exactions étaient commises à l’encontre de Roms, plus que ce qui avait été fait après le discours de Grenoble de juillet 2010, pour finir par une circulaire dont l’hypocrisie se constate quotidiennement [5].
Le 25 septembre 2012, à Calais, la police a mis à sac le lieu de distribution des repas qui permettait aux organisations humanitaires d’assurer un minimum d’assistance aux exilés et demandeurs d’asile abandonnés à la rue [6].
D’ailleurs, les réponses du gouvernement au questionnement des associations sont édifiantes puisque Jean-Marc Ayrault, en janvier dernier, n’hésitait pas à exciper de la « nécessité de concilier deux exigences : la fermeté (…) ; mais aussi le respect de la dignité et l’humanité de l’action administrative face à des situations souvent très douloureuses » comme Eric Besson, en avril 2009, avait affirmé que sa « politique continuera d’allier fermeté et humanité ».
Et le Ministère de l’Intérieur, il y a quelque jours de répondre au 3D, par un insupportable déni, « Les faits évoqués dans votre décision reposent essentiellement sur des déclarations de responsables d’associations rapportant des propos non vérifiables et concernant des faits anciens qu’aucun élément objectif ne peut soutenir aujourd’hui. Seule une minorité des organisations associées à la saisine sont d’ailleurs effectivement présentes et actives auprès des migrants dans le Calaisis » [7].
Exactement comme le proclamait Eric BESSON qui affirmait que « la crédibilité du gisti était quasiment nulle » lorsque nous avions publié des décisions démontrant l’existence de poursuites et de condamnations sur le fondement du délit « dit » de solidarité [8].
Le Ministre de l’Intérieur annonce ensuite que rien ne changera dans les nombres de reconduites ou de régularisation.
En bref, beaucoup de fermeté réelle mais aussi beaucoup d’humanité virtuelle.
Aux actes et aux paroles sont venus s’associer les textes.
Mais attention, pas n’importe quel texte et pas dans n’importe quelle chronologie.
D’abord, il est fait choix délibéré de saucissonner le droit des étrangers, sans vision globale.
Ensuite, il est décidé de prendre des circulaires pour éviter d’inscrire dans le marbre législatif les critères de régularisation ou de non enfermement des familles, créant ainsi, toujours et encore, du non-droit.
Si si du non droit, puisque les principaux intéressés ne peuvent s’en prévaloir contre l’administration et que le pouvoir de contrôle du juge est écarté.
Il y a eu d’abord la circulaire du 31 mai 2012 sur le changement de statut des étrangers laissant un très large pouvoir d’appréciation aux autorités administratives et n’enlève rien, en pratique, à la difficulté du changement de statut au sortir de ses études pour occuper un emploi salarié [9].
Ensuite, la Circulaire du 6 juillet 2012 [10] sur le placement des familles en rétention. François Hollande dans une lettre adressée le 20 février 2012 (un mois après la condamnation de la France par la CEDH par l’arrêt dit Popov) à RESF et à l’Observatoire de l’enfermement des étrangers écrivait : « je veux prendre l’engagement, si je suis élu à la présidence de la République, de mettre fin dès mai 2012 à la rétention des enfants et donc des familles avec enfants. La protection de l’intérêt supérieur des enfants doit primer » [11].
Or, elle ne met pas fin à la rétention des enfants et tout au contraire l’autorise dans un certain nombre de cas.
Je vous renvoie au placement au Centre de rétention de Oissel d’un enfant de trois ans, malade, avec sa mère, cueilli dans son lit à 6 heures du matin [12].
Vient ensuite la circulaire Roms, j’en ai déjà dit trois mots.
Alors qu’il avait assuré qu’il mettrait fin aux pratiques restrictives du gouvernement précédent, qui s’était félicité de ce que le nombre d’étrangers naturalisés avait chuté de 30 % en 2011[13], le ministre de l’intérieur édicte la circulaire du 16 octobre relative aux procédures d’accès à la nationalité [14]. Or. La parution de celle-ci n’a pas été de nature à confirmer cette intention affichée et de son analyse il résulte que ce gouvernement reste fondamentalement imprégné par l’idée que la nationalité française est une faveur qui se mérite et non le droit pour toute personne qui vit en France depuis un certain nombre d’années de rejoindre en droit la population à laquelle elle appartient déjà en fait. [15]
Enfin, la circulaire du 28 novembre 2012 sur les « conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière » dite de régularisation [16].
La première réaction du Gisti a été une mise en garde afin d’éviter que des personnes, en allant déposer une demande en préfecture, ne s’exposent à une mesure d’éloignement (en trois jours, elle avait déjà été téléchargée 15 000 fois !).
Notre seconde initiative a été de rédiger un vade-mecum expliquant le contenu de la circulaire [17].
Et nous venons de faire une Note pratique, analyse et mode d’emploi de la circulaire.
Pendant le même temps, en utilisant l’urgence constitutionnelle, le gouvernement a fait voter la Loi du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées [18]
On se pose encore la question de savoir pourquoi il a été utilisé l’urgence pour élargir les immunités pénales du délit d’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier, alors qu’une simple instruction aux parquets suffisait,
Si, on le sait, il fallait contenter quelques partenaires associatifs.
On se pose encore la question de savoir pourquoi il a été utilisé l’urgence pour dépénaliser le seul délit de séjour irrégulier déjà inexistant depuis les arrêts El Dridi et Achughbabian [19] et préciser les modalités des contrôles d’identité [20].
Si, on le sait, il fallait montrer que ce gouvernement était humain.
On se pose encore la question de savoir pourquoi il a été utilisé l’urgence pour créer une nouvelle GAV spéciale étrangers.
Si, on le sait, c’est une commande des préfectures et des services de police.
Je laisserai mes petits camarades de la journée vous décrypter tous ces textes, d’ailleurs on est là pour ça.
J’ai oublié de vous parler de la continuation des pratiques d’éloignements criminels d’étrangers malades couvertes par les inspections générales, quelles soient de l’administration auprès du ministère de l’intérieur ou des affaires sociales [21].
J’ai oublié de vous parler des visas de transit imposés aux syriens [22], pour les empêcher de fuir les horreurs de la guerre, validés par le Conseil d’Etat [23] imprégné de ce mythe de la nécessité d’éviter « un afflux massif de migrants clandestins » et confirmant qu’il est un complice objectif de cette politique de la maitrise des flux migratoires.
J’ai enfin et aussi oublier de vous parler des pratiques scandaleuses à l’égard des étrangers hors de la métropole et notamment à Mayotte concernant l’enfermement, l’accès aux soins et aux droits malgré les condamnations de toutes les institutions internationales, européennes et françaises [24].
Nous écrivions dans Libé que le gouvernement avait « un discours politique implicite qui murmure aux Français que le pouvoir les protège malgré tout de l’adversité puisqu’il frappe les étrangers. »
Nous nous sommes trompés, le discours politique n’est pas implicite, il est très explicite et il ne murmure pas, il crie.
Nous écrivions « devenir xénophobe pour essayer d’être populaire, tel est désormais le programme. » C’est faux c’est une réalité et la lecture du rapport de la CNCDH sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie ne lasse pas de nous inquiéter à cet égard [25].
Face à ce constat de la première année, nous devons nous inquiéter de ce qu’il ressortira de la mission FEKL, Député PS désigné par le Ministre de l’Intérieur, pour faire un rapport sur l’accueil en préfecture, les titres de séjours pluriannuels et le juge de la rétention administrative.
Emploi, déchéance de nationalité, santé… L’Assemblée nationale examine aujourd’hui un projet de loi très contesté. Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) a répondu à vos questions.
Déçu. Quelles sont les directives européennes en matière d’immigration?
Stéphane Maugendre. En matière d’immigration, il existe trois principales directives: la «directive retour» que l’on a appelé souvent la directive de la honte (lire ici), la «directive carte bleue européenne», et la «directive sanction». Ces trois directives ne comportement pas des dispositions obligatoires, imposées aux Etats. Lorsque la directive retour propose 18 mois maximum de rétention administrative, cela veut simplement dire que les pays pour lesquels la rétention administrative est supérieure à 18 mois doivent la restreindre à 18 mois, mais cela ne veut pas dire que dans les pays où la rétention est de un mois ils doivent la remonter à 18 mois. Ces directives indiquent des minima.Eric. Ce texte transpose-t-il à la lettre les directives européennes? Ou s’en éloigne-t-il?
Eddy. En quoi le projet de loi va-t-il plus loin que la simple transposition des lois européennes? Avez-vous des exemples?
Le projet de loi ne va pas plus loin que les directives européennes. Les directives européennes ne sont qu’un prétexte pour augmenter la répression à l’égard des étrangers.
Rouill. Qu’est-ce qui justifie d’allonger la durée de rétention?
Liliane. Pourquoi le gouvernement veut-il, avec ce projet, augmenter la durée maximale de rétention à 45 jours contre 32 actuellement ? Quelle est l’idée?
Qu’est-ce qui justifie d’allonger la durée? Ma première réponse sera une pirouette: il faut demander à monsieur Besson. Notre analyse au Gisti, c’est plutôt qu’il s’agit là d’une volonté répressive à l’égard des étrangers en situation irrégulière. Prenons l’exemple d’un étranger qui doit être reconduit à la frontière. Sa reconduite effective a lieu dans la semaine, voire dans les 10 jours. Au-delà, par expérience, l’administration se trouve dans l’impossibilité de reconduire l’étranger frappé d’une mesure d’éloignement.Eddy. Quels seraient les éléments du projet de loi qui pourraient ne pas passer le «filtre» du Conseil constitutionnel?
Je ne suis pas un constitutionnaliste, mais je répondrais peut-être la question la déchéance de la nationalité française, peut-être aussi la longueur de la rétention administrative, puisque le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur cette question. Ceci dit la jurisprudence peut changer. Je pense que la durée durant laquelle un étranger n’aura pas accès au juge judiciaire – ce qu’on appelle actuellement les fameux cinq jours – peut être considérée comme une durée excessive, puisqu’il s’agit d’une privation de liberté.
Egalement, ce qu’on appelle la «zone d’attente élastique ou sac à dos» – la possibilité pour la police de créer une sorte de périmètre autour d’un étranger privé de liberté, au seul soupçon que l’étranger serait rentré récemment irrégulièrement sur le territoire français. Cette disposition a été décidée à la suite de l’affaire des Kurdes arrivés en Corse. Sur ce thème, le site du Gisti propose deux analyses du projet de loi, une analyse grand public de seize pages (pdf) et une analyse plus longue et plus technique.Aldovins. La rétention n’est-elle pas tout simplement une privation de liberté que l’on peut rapprocher d’une peine de prison, les directives de l’UE le permettent elles ?
Catoate. Quelle est la différence précise entre «rétention» et «détention», si il y en a une ?
L’administration place en rétention administrative les étrangers qu’elle veut éloigner du territoire français. Dans des lieux appelés «lieux privatifs de liberté». C’est une décision administrative décidée par le préfet, fixée pour le moment pour une durée de 48 heures, (qui pourrait être prolongée à 5 jours) et qui peut être déjà prolongée éventuellement par un juge judiciaire, le juge des libertés et de la détention (JLD).
La détention, en revanche, signifie soit qu’on a été condamné par un tribunal correctionnel, à la suite d’un délit ou d’un crime, soit lorsque l’affaire est en cours d’instruction qu’on est suspecté d’avoir commis un crime ou un délit. C’est une privation de liberté décidée par un juge judiciaire, à raison d’un acte délinquant ou de suspicion de prévision d’un acte délinquant.Juge de TA. Ce projet de loi va encore plus alourdir la charge des tribunaux administratifs (chargés de juger au fond la légalité de la mesure d’éloignement au vu not. de l’art.8 de la CEDH). Toujours plus de charges, où est la reconnaissance de notre mission de magistrat?
Je tiens d’abord à dire que je salue le travail des magistrats de l’ordre administratif. Effectivement, je pense que la frénésie du gouvernement à faire du chiffre, sa seule préoccupation, l’empêche de considérer le travail de la justice, quelle soit administrative ou judiciaire. Pour résumer, c’est le rendement au préjudice des libertés, dont les juges sont les gardiens.Rouill. Quels points vous semblent le plus dangereux?
Liliane. Quelles dispositions vous paraissent-elles êtres les plus dangereuses dans ce projet de loi ?
Lors du débat sur la loi Hortefeux, en 2006, il avait été agité le chiffon rouge du test ADN qui avait caché toutes le autres dispositions répressives à l’égard des étrangers. Il nous semble, au Gisti, inconcevable de mettre en avant aujourd’hui une disposition plutôt qu’une autre, plus la déchéance de la nationalité française que les zones d’attentes ou l’asile. C’est plutôt l’analyse globale et la philosophie de ce texte qui nous inquiète énormément. C’est la première fois, depuis l’Ordonnance du 2 novembre 1945, que l’on tente de mettre en place des régimes d’exception à l’égard des étrangers, de la même manière que l’on a tenté de mettre en place un régime d’exception à l’égard des Roms par voie de circulaire.
Eddy. Est-ce que ce projet de loi prévoit des dispositions qui pourraient viser les Roms?
Tout à fait. Ce sont les dispositions qui ont été proposées par voie d’amendement concernant les reconduites à la frontière des européens «indigents», qui ne peuvent justifier de ressources suffisantes.Liliane. La bannissement prévu pour ceux que l’on suspecte de faire des allers-retours, à commencer par les Roms, ne va-t-il pas simplement se traduire par une augmentation du nombre de clandestins?
Ce qu’on appelle le bannissement dans le «langage slogan», c’est la possibilité de prononcer une interdiction de retour en France qui peut durer de un an et à cinq ans.Ces dispositions ne pourront pas empêcher des étrangers qui ont des attaches (familiales, sociales, etc.) avec la France de revenir. Mais ça les empêchera d’obtenir une régularisation. Par conséquent, les gens vont se clandestiniser encore plus, avec tous les effets induits que cela peut avoir en termes d’esclavagisme moderne, de travail au noir, d’actes désespérés .Yannb. Si le projet de loi Besson passe, tous les votes la directive «carte bleue européenne» va-t-elle être appliquée et que changera-t-elle pour les travailleurs étrangers ?
C’est peut-être la seule disposition positive. Mais je pense très sincèrement que ça ne changera pas grand chose. D’abord parce qu’elle ne sera pas appliquée, compte tenu des conditions d’obtention et de la politique des préfectures. Je donne en exemple: une disposition qui ressort d’une directive européenne est la carte de résident permanent. Cette carte est déjà prévue dans le Code d’Entrée et de séjour des étrangers et des demandeurs d’Asiles (Cedesa), elle existe dans les textes mais en pratique on ne la voit jamais. Donc oui, c’est «positif», mais en même temps on attend de voir son application.Rouill. Le gouvernement a rajouté des amendements pour dire que l’occupation illicite d’un terrain peut valoir une explusion. Mais ça n’existe pas déjà?Ça existe déjà, en effet. Il existe une «loi Besson» (mais pas le même) qui prévoit une procédure pour déclarer illégale une occupation de terrain par des gens du voyage. La nouveauté, c’est qu’un pouvoir plus important sera laissé au préfet.Gentil747. Pourquoi une loi de plus ?
Collibateur. Une loi sur le contrôle de l’immigration est-elle une loi nécessaire?
Bérénice. La France ne peut pas accueilir tout le monde, une loi est nécessaire, qu’en pensez-vous?
Le Gisti réfléchit, depuis de nombreuses années, sur la question de la liberté de circulation et la liberté d’installation, qui est une forme nouvelle d’appréhender les questions d’émigration et d’immigration. Cette idée n’est pas une idée de doux rêveur mais a préoccupé des économistes, des sociologues, des démographes. On estime que les choses sont tout à fait envisageables, même des gens de l’Unesco ont travaillé sur la question de l’ouverture des frontières.
Par ailleurs, on sait que toutes les lois, depuis 1974 (premier choc pétrolier), sur le contrôle de l’immigration ont été un échec. Il y aura obligatoirement une émigration des pays pauvres vers les pays riches. Ça nécessite donc de réfléchir autrement qu’en termes répressifs, ce qu’ont fait toutes les législations depuis 1974.
Juste pour répondre à l’affirmation «La France ne peut pas accueilir tout le monde », ce n’est pas la France, c’est l’Europe, c’est les autres pays riches du monde. On ne peut pas tomber dans le piège du slogan politique du style «la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde», «la France ne peut pas accueillir cinq millions de Roms», «la France ne peut pas accueillir tous les malades des pays pauvres». C’est une caricature qui n’a pour but que de faire peur, d’empêcher de réfléchir intelligemment à la question des flux migratoires.
Plusieurs milliers de travailleurs sans papiers sont en grève, certains depuis le 12 octobre 2009, pour obtenir la reconnaissance de leurs droits de salariés, à commencer par le droit au séjour. 2 300 entreprises, petites mais aussi très grandes, sont concernées. Employés dans le bâtiment, la restauration, la sécurité, l’intérim, le nettoyage, l’aide à la personne, ils occupent des emplois utiles, souvent pénibles et mal payés. Ils sont à la merci de leurs employeurs et parfois surexploités parce qu’ouvriers et sans papiers. Ils ont trouvé le courage de se lever pour que n’existe plus dans ce pays une catégorie de travailleurs livrée sans droits au bon vouloir des patrons.
Ils recourent aux moyens de lutte légitimes des travailleurs : la grève et l’occupation des locaux. Mais c’en est trop pour le gouvernement qui fait systématiquement expulser les grévistes (50 opérations à ce jour). C’est, de fait, vouloir leur interdire l’exercice de leur droit de grève en les privant de lieu où l’exercer.
Aujourd’hui, ce sont les locaux du Faf-Sab, 8, rue du Regard à Paris, qui sont menacés. Occupés principalement par des travailleurs de toutes petites entreprises du bâtiment, ils peuvent être évacués à tout moment. Prolongeant le geste de solidarité des personnalités venues le 6 janvier partager la galette des rois avec les grévistes, nous déclarons prendre ce piquet de grève et les grévistes eux-mêmes sous notre protection comme nous l’avions fait pour les familles sans papiers. L’idée qu’ils puissent être jetés à la rue nous indigne. Nous demandons qu’ils puissent exercer leurs droits légitimes de travailleurs, la grève. Si la police intervenait, nous nous engageons à faire le maximum pour nous rendre sur place pour protester, témoigner du caractère déshonorant de ces méthodes et proclamer notre solidarité avec ces travailleurs en lutte.
Stéphane Maugendre | Avocat et président du Gisti, groupe d’information et de soutien des immigrés
Il convient de revenir sur la libération des Kurdes de l’Ile de Beauté par les juges des villes de Nîmes, Toulouse, Lyon, Marseille et Rennes trop souvent présentée par les médias comme un acte exceptionnel de bravoure ou de bravade de la part des juges.
Il n’en est rien puisque les juges n’ont eu qu’à constater les innombrables fautes de procédure commises par les services de la préfecture de Bonifacio et du ministère de l’Immigration et mises en évidence par les avocats.
Ces juges, gardiens des libertés individuelles en vertu de la Constitution de la République française, ont fait leur travail comme beaucoup le font chaque jour dans les dizaines de tribunaux de France lorsqu’ils constatent des irrégularités dans les procédures de reconduite à la frontière d’étrangers en situation irrégulière.
Rappelons brièvement ce qu’est une irrégularité de procédure, car trop souvent elle est assimilée à l’absence d’une virgule ou d’un point dans un procès-verbal de police. Il n’en est rien. C’est lorsqu’il apparaît dans la procédure qu’un droit ou une liberté fondamental n’a pas été respecté. Il en est ainsi lorsque :
l’étranger a subi un contrôle d’identité en raison de la couleur de sa peau (contrôle au faciès) ou par un policier qui n’avait pas pouvoir de le faire
le procureur de la République n’a pas été informé du placement en garde à vue d’un étranger en situation irrégulière. En effet, le procureur est celui qui contrôle non seulement les placements mais aussi les lieux de garde à vue (un procureur non prévenu d’une garde à vue ne peut ni la contrôler ni vérifier si elle se passe dans un lieu de garde à vue)
l’étranger n’a pas été informé de sa possibilité d’être examiné par un médecin et visité par un avocat durant sa garde à vue
l’étranger a été détenu sans ordre de la loi ou d’un magistrat entre sa garde à vue et son placement en centre de rétention (détention arbitraire)
l’étranger ne s’est pas fait notifier ses droits avec l’assistance d’un interprète durant la garde à vue ou à son arrivée en centre de rétention et donc n’est pas en mesure de les faire valoir
Concernant notre affaires des Kurdes, un juge de Lyon a ainsi sanctionné le 25 janvier dernier un certain nombres d’irrégularités de procédure. Quelques exemples :
le mutisme sur les conditions d’interpellation
l’absence de placement en garde à vue qui a privé les Kurdes des droits qui vont avec
l’absence de communication avec le contrôleur général des lieux de privation de liberté
a fait le choix d’une procédure d’exception en privant de liberté des hommes, des femmes et une quarantaine d’enfants demandeurs d’asile. Et qui dit procédure d’exception dit respect le plus absolu des règles de procédure
a indiqué que ce choix de procédure était fait pour que ces personnes puissent être protégées et examinées médicalement (comme si un policier vous plaçait en garde à vue pour que vous puissiez être examiné par un médecin parce que vous aviez éternué au volant de votre voiture). Un comble.
face à ce fiasco (dont je ne suis pas loin de penser qu’il était calculé), on annonce que la législation française n’est pas adaptée face à ce genre de situation et qu’il faut donc réformer la loi
Eric Besson a créé le « bug » et annonce une réforme salvatrice. Quelle manipulation !
N’oublions pas qu’il existe une procédure simple, de droit commun, applicable à tout demandeur d’asile. Il s’agit du Livre VII (le droit d’asile) du code de l’entrée et du séjour des étrangers (articles L. 711-1 et suivants), transcription dans le droit français de la convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
Le lancement du débat sur l’identité nationale est-il un acte politique ou seulement politicien ? Dans le contexte de la campagne pour les élections régionales de 2010 et de l’accumulation de sondages d’opinion qui lui sont défavorables, chacun devine que le gouvernement cherche à exploiter les peurs des Français en reliant les thèmes de l’étranger et de la sécurité, de même que ceux du communautarisme et de la condition des femmes. Mais n’y aurait-il pas, par ailleurs, un débat politique de fond qu’on ne saurait refuser par principe ? Beaucoup le pensent. Toutefois ils risquent de le regretter quand ils découvriront la façon dont ce débat aura été organisé concrètement.
Pour le comprendre, il faut lire la circulaire envoyée aux préfets le 2 novembre par le ministre de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale, Eric Besson, leur demandant « d’organiser et de présider » partout en France des débats locaux sur l’identité nationale, et dont la synthèse sera ensuite imposée par le gouvernement comme le résultat de cette vaste consultation des Français.
On y découvre une liste de préjugés et de fausses évidences définissant par avance l’identité nationale alors que l’on prétend la mettre en débat. Beaucoup de sujets sont abordés, mais le thème de « l’étranger » est en réalité central. Et certaines questions formulées à ce sujet sont orientées, choquantes et inacceptables. Détaillons celle-ci : « Comment éviter l’arrivée sur notre territoire d’étrangers en situation irrégulière, aux conditions de vie précaires génératrices de désordres divers (travail clandestin, délinquance) et entretenant, dans une partie de la population, la suspicion vis-à-vis de l’ensemble des étrangers ? »
On trouve ici, condensés dans une même phrase, tous les poncifs du discours xénophobe.
1 – Les sans-papiers seraient nécessairement arrivés irrégulièrement. En réalité, l’irrégularité du séjour ne suppose pas l’entrée illégale. Les dernières réformes ont précarisé le statut des étrangers résidant en France, les faisant basculer dans l’irrégularité pour des motifs de plus en plus nombreux (polygamie, séparation du couple, fin du contrat de travail, rejet de la demande d’asile, fin des études, etc.).
2 – Les sans-papiers auraient nécessairement des conditions de vie précaires. C’est la fameuse « misère du monde » et ce n’est pas totalement faux. Toutefois, en réalité, si leur situation administrative est nécessairement précaire, les sans-papiers peuvent aussi être qualifiés, intégrés, travailler, avoir un logement et payer des impôts.
3 – Cette précarité serait forcément source de travail clandestin. Ce n’est pas totalement faux. Toutefois, en réalité, nombre de sans-papiers travaillent avec un vrai contrat de travail et sont déclarés. Au demeurant, le « travail au noir » n’est pas réservé aux étrangers irréguliers. Il est au contraire assez répandu (garde d’enfants, cours du soir, ménage, couture, repassage, aide à domicile, etc.).
4 – Cette précarité serait forcément source de délinquance. C’est le vieux thème d’extrême droite, étranger = délinquance, dissimulé sous le masque de l’apitoiement sur la pauvreté. En réalité, les clandestins sont bien sûr tous délinquants au sens administratif (absence de papiers). Mais pour le reste, leur particularité est généralement d’être au contraire très respectueux de l’ordre public pour ne pas se faire remarquer.
5 – Cela entretient la suspicion de la population à l’égard de l’ensemble des étrangers. Cette idée que la lutte contre les immigrés clandestins permettrait aux immigrés légaux d’être acceptés et de s’intégrer est une idée fausse. D’abord le discours xénophobe, même limité aux clandestins, ne peut qu’alimenter une xénophobie plus générale (il n’est qu’à voir les discours sur la religion musulmane et ses « signes ostensibles »). Ensuite, les pratiques policières qui découlent de la lutte contre l’immigration clandestine touchent en réalité tous les Français dont la peau n’est pas blanche. L’exemple le plus évident est le contrôle d’identité sur la voie publique, autrement dit le contrôle au faciès.
Ainsi, ce débat sur « l’identité nationale » n’est pas seulement contestable sur le fond, il l’est aussi et d’abord sur la méthode. La lecture de la circulaire Besson montre que les conclusions sont largement écrites d’avance. Non seulement la circulaire formule les questions qui seront débattues, mais elle se termine de surcroît par une liste de quinze propositions précises qui, comme par hasard, concernent dans 11 cas sur 15 les étrangers (le reste consiste en cours d’instruction civique, en obligation pour les enfants de chanter régulièrement La Marseillaise et pour les bâtiments publics d’arborer le portrait de Marianne et le drapeau tricolore).
Cela indique bien le niveau réel du débat qui est proposé et le fond de la pensée de ceux qui l’ont conçu. Et qui pourrait élever ce débat, le sortir de ces cadres étriqués aux accents xénophobes ?
A aucun moment il n’est requis la présence des chercheurs spécialistes de la société française, capables d’aider à objectiver son histoire et sa composition actuelle, pas plus que la présence de représentants des divers partis politiques, syndicats professionnels, grandes associations nationales, institutions religieuses ainsi que les diverses « communautés » pourtant évoquées dans la circulaire.
Dans ces débats, il est seulement demandé aux intendants du prince de recueillir attentivement les peurs du « bon peuple » pour pouvoir ensuite le rassurer en lui parlant de la « fierté d’être français ». Non, décidément, les dés sont pipés, il s’agit une manipulation et nous appelons nos concitoyens à contester ces procédés politiciens rétrogrades qui menacent davantage qu’ils ne servent la cohésion sociale en réactualisant le bon vieux manichéisme opposant deux entités mythiques : la « communauté nationale » et les « corps étrangers » qui la menaceraient.
Christophe Daadouch, juriste ; Laurent Mucchielli, sociologue ; François Dubet, sociologue ; Jean-Pierre Dubois, président de la LDH ; François Geze, éditeur ; Véronique Le Goaziou, sociologue ; Claire Lévy-Vroeland, sociologue ; Gérard Marle, prêtre ; Stéphane Maugendre, président du GISTI ; Antoine Math, économiste ; Marwan Mohammed, sociologue ; Richard Moyon, co-fondateur de RESF ; Marie NDiaye, écrivain ; Laurent Ott, éducateur ; Pierre Piazza, politiste ; Philippe Rigaut, sociologue ; Serge Slama, juriste ; Alexis Spire, sociologue ; Jérémie Wainstain, chef d’entreprise ; Vincent Tiberj, politiste ; Pierre Tritz, prêtre.
Il est le tout nouveau président d’une association aussi discrète que notoire et efficace, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), dont il est membre depuis vingt-cinq ans. «Je suis entré au Gisti pour devenir avocat et je suis devenu avocat parce que j’étais au Gisti. C’est complètement lié.» Il ne sait pas encore ce qu’implique exactement la fonction de président. Ou peut-être le sait-il, mais pas à la seconde, en vacances, en Bretagne, dans le jardin de cette belle maison, qui n’est pas du tout de famille, et qui a gardé tous les éléments de la crêperie qu’elle fut. Elle est le rêve de Boucle d’or. Lui, sa femme, sa fille, son fils, y sont entrés il y a cinq ans et tout était déjà là, il n’y avait plus qu’à goûter à la grande crêpe, à la moyenne crêpe, et à la petite crêpe. Puis à dormir dans des lits de toutes tailles. Les murs étaient violets, ils le sont restés.
D’accord, parler de décoration, c’est futile. Parler de repos aussi. Car l’année fut exténuante, et les problèmes de plus en plus abracadabrants. Un exemple : beaucoup de sans-papiers travaillent sous une identité d’emprunt. La personne, qui prête et parfois loue son nom, ne se doute pas que sa vie va en être modifiée, qu’elle aussi va devenir une autre, dont le tarif de cantine change et qui paye plus d’impôts – pour prendre des exemples simples -, qui peut subir des accidents du travail ou bénéficier de promotions étranges. Ce n’est pas toujours facile de prouver qu’on n’est pas soi.
Il manque un Antonioni, pour raconter l’histoire de cette femme africaine qui a passé, sous un nom d’emprunt, les concours de la fonction publique, s’est mariée sous sa fausse identité, dont les enfants sont français, et qui après son divorce, décide de récupérer son état civil de naissance. Qui est-elle, désormais ? Clandestine, il y a vingt ans, le sera-t-elle tout autant si elle retire son masque social qui pourtant fait partie d’elle ? «Un étranger n’a pas le droit de passer les concours de la fonction publique.» Va-t-elle devoir démissionner ?
L’histoire inverse existe aussi : Stéphane Maugendre a défendu une jeune femme, née en France, de parents étrangers, qui a quitté la France avec ses parents, à 12 ans, pour y revenir à sa majorité. Elle fait une demande de naturalisation. Et dans la foulée dépose un dossier pour une carte de séjour vie privée et familiale, afin de pouvoir travailler. «Je me suis battu pour elle en vain. Elle a récolté un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Deux mois plus tard, elle m’appelle : « C’est réglé. » Je lui demande : « Vous avez reçu une autorisation provisoire de séjour ? » « Non, je suis Française ! » Commentaire : «Cette jeune femme méritait d’être Française, mais pas d’avoir un titre de séjour et une autorisation de travailler ! Ce n’est qu’un exemple d’incohérence. Il y en a constamment.»
Toutes les histoires de migrations sont singulières. Et comme le droit des étrangers est en perpétuel changement, le métier n’est pas lassant. «En revanche, ce quiest profondément décourageant, c’est de devoir répondre de plus en plus souvent négativement à des gens qui cherchent une solution juridique. Des dossiers défendables, ne serait-ce qu’il y a deux ans, ne le sont plus.»
Stéphane Maugendre n’explique pas sa spécialisation juridique par sa biographie. «J’ai bien un grand-père breton, qui est monté à Paris !» Il ne pense pas non plus que l’engagement de ses parents – étudiants à l’Union des étudiants communistes au moment de sa naissance – ait été déterminant. «J’ai grandi sur ce terreau. Mais si j’avais voulu suivre leur voie, j’aurais fait médecine.»
Son autre spécialité est le droit pénal. Il dit : «Faire progresser le droit des étrangers, c’est faire progresser tous les autres droits.» Un exemple : «Le fichage des étrangers sert de laboratoire pour le fichier Edvige, où seront informatisées toutes les personnes qui ont un engagement.» De même, les tests ADN, présents dans la dernière loi sur le regroupement familial : «Accepter que la filiation de certains étrangers soit prouvée par le biologique, conditionne la banalisation de tels tests.»
Le Gisti, qui emploie huit salariés et un grand nombre de bénévoles, a été créé en 1972, par des juristes et des intervenants sociaux, pour donner des outils juridiques aux migrants et aux associations qui les défendent. L’autre activité principale est la permanence téléphonique et la réponse aux courriers. Lorsqu’en juin, le centres de rétention de Vincennes brûle, le Gisti se constitue partie civile, suite au décès d’un retenu toujours pas élucidé. Et demande une commission d’enquête pour comprendre «comment les bâtiments ont pu cramer si vite». Il explique : «Les centres de rétention ne dépendent pas de l’administration pénitentiaire et ne sont pas censés être des prisons. Au contraire, d’après les textes, les conditions d’accueil doivent être « hôtelières ». Or mutatis mutandis, on s’habitue à ce que les sans-papiers soient criminalisés. Cela dit, si une prison brûlait ainsi, l’opinion l’accepterait peut-être moins qu’elle ne l’a fait pour le CRA de Vincennes.»
Quand il a ouvert son cabinet en Seine-Saint-Denis en 1999, s’est posé un problème moral. Comment faire payer des conseils ou des constitutions de dossiers, activités bénévoles, si elles ont lieu au Gisti ? «J’ai réglé ce conflit interne en ne mélangeant jamais mes activités militantes et professionnelles, même si elles se ressemblent. Il aurait été insupportable que mon engagement soit une manière de ramasser des clients. Les dossiers au sein du Gisti ne sont jamais transférés dans mon cabinet. Ça peut parfois être mal compris lorsque je refuse de donner ma carte à la suite d’une conférence.»
Lorsque le Gisti finit par accepter de rencontrer Brice Hortefeux, en dépit de l’intitulé de son ministère, le ministre apostrophe l’avocat : «Vous prenez des notes ? Parce qu’avec votre look d’artiste, je pensais que vous me dessiniez.» Stéphane entend le double discours de celui qui parle de respect, tout en cherchant à humilier l’interlocuteur. Impossible d’établir la liste des problèmes : il faudrait expliquer «cette tendance lourde» et méconnue, qu’est l’externalisation des titres de séjour et qui rend très difficile le travail des soutiens et des avocats. Autre thème : «L’harmonisation européenne» qui laisse le champ libre pour retenir les clandestins jusqu’à dix-huit mois. «Or, plus le nombre de mois de rétention augmente, plus il y a de retenus, et plus prévisibles sont les catastrophes», remarque logiquement l’avocat. On évoque alors les «surprises» de cette année : «Je n’aurais jamais cru que je serais amené, dans le cadre de la défense des sans-papiers, à être l’avocat de patrons.» Un exemple parmi d’autres : «Un directeur emploie pour sa comptabilité une stagiaire étudiante étrangère, avec un titre de séjour étudiant. A la fin de ses études, elle devient clandestine. Or, il veut l’embaucher. Il est obligé d’entamer une procédure pour la faire régulariser.»
En vacances, il parvient à ne regarder ses mails que deux fois par jour. Adolescent, étudiant, il n’était pas un «foudre de travail». Il ne se serait jamais douté qu’adulte, il travaillerait autant et porterait «les problèmes des autres». Il a les siens. La belle maison a été achetée après les morts successives de proches. «On s’est posé entre des murs solides.»
Stéphane Maugendre avocat, vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) «Je l’achète tous les jours parce que je ne veux pas qu’il meure»
J’avais 12 ans quand Libé est né. Je me souviens encore de Sartre à la télé. Dans l’ambiance familiale, c’était un gros événement. Je me souviens aussi qu’on s’était dit : enfin un journal de gauche ! C’est pour cela que je l’achète encore aujourd’hui, même si je pense qu’il est moins de gauche. Très important aussi, Libération c’était un journal d’opinion, avec des analyses de fond. C’est peut-être un peu moins le cas aujourd’hui, même s’il continue d’animer le débat sur la politique, la culture parfois, et des phénomènes de société importants, comme les sans-papiers. Et cela va au-delà du journal de gauche. Mais Libération devrait reprendre de plus belle. Et puis il y a l’originalité, des numéros spéciaux sur la mort d’Hergé, de Reiser… Toutes ces idées novatrices, comme Ecrans récemment, qui permettent d’avoir un oeil sur autre chose. Bien sûr, j’achète aussi Libé pour être informé, surtout quand je suis en vacances, loin de Paris. J’ai parfois eu des actes d’achat fluctuants. Mais là, je l’achète tous les jours, parce que je ne veux pas qu’il meure. Ce journal ne peut pas mourir, il ne peut pas disparaître, encore moins à quelques mois d’une échéance électorale. Qui sinon va jouer son rôle ? Pas le Monde, encore moins 20 Minutes ou Metro. Car, si j’aimerais que Libé se repolitise davantage, il reste le journal de gauche.