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Vols avec violences fatales

 Charlotte Rotman et Jacky Durand ,

Trois policiers de la PAF provisoirement suspendus.

Nicolas Sarkozy pourra-t-il encore décemment parler de «filière positive» à propos de reconduite aux frontières après le second décès intervenu en moins d’un mois lors d’une expulsion à l’aéroport de Roissy (1) ? Après l’Argentin Ricardo Barrientos, le 30 décembre (lire ci-contre), c’est un jeune Somalien qui est mort, samedi dernier, deux jours après une tentative d’embarquement mouvementée conduite par la Police aux frontières (PAF). «Il n’est pas impossible que les techniques d’immobilisation employées par l’escorte aient contribué à l’asphyxie et au décès de cet homme», reconnaissait hier une source proche du ministère de l’Intérieur.

Asile.

Mariame Getu Hagos, 24 ans, était arrivé à Roissy en provenance de Johannesburg (Afrique du Sud), le 11 janvier. Seul et sans papiers. Il avait été placé en zone d’attente le temps que sa demande d’asile politique soit examinée, puis rejetée. Hier, le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a ouvert une information judiciaire contre X pour homicide involontaire après le décès du Somalien. Le parquet a saisi l’Inspection générale des services (IGS, police des polices) pour diligenter une enquête administrative.

Le jour de son expulsion, le jeudi 16 janvier, Mariame Getu Hagos «était très excité», selon des policiers. «Ce qui n’a rien d’extraordinaire dans le contexte du retour forcé», explique un fonctionnaire de la PAF. Dans l’après-midi, le garçon est examiné par le service médical d’urgence de l’aéroport, après un malaise. Dans la soirée, vers 19 heures, il est de nouveau ausculté. Les deux fois, le médecin qui l’examine juge ces malaises «factices». Et conclut à une simulation. Selon le service médical, «il essayait clairement d’échapper à l’urgence de l’expulsion». C’est également la version que retient la police. Selon le Samu, l’état de santé de Mariame Getu Hagos est alors compatible avec son maintien en zone d’attente et, donc, avec son expulsion. Les policiers embarquent alors le jeune homme sur le vol AF-990 à destination de Johannesburg.

Vers 23 heures, trois policiers de la PAF le font monter dans l’appareil, au lieu de deux habituellement. «Il était très agité, affirme une source proche de l’aéroport. Le personnel de bord l’a attesté.» Placé à l’arrière de l’avion, menotté et entravé aux pieds, le jeune Somalien semble se calmer. Selon des policiers, «après qu’on lui a desserré ses menottes, il a réussi à libérer l’une de ses mains et a frappé un membre de l’escorte». Les policiers l’auraient alors plié en deux sur son siège, mains sur les omoplates, le torse plaqué contre les genoux. Il s’agit de la même technique d’immobilisation qui avait été employée lors de l’expulsion de Ricardo Barrientos. C’est dans cette phase de «compression non évaluée mais qui aurait duré plusieurs minutes» que le jeune Somalien a été victime d’un troisième malaise.

«Il s’était calmé, il ne se débattait plus.» Selon des membres de l’équipage, une demi-heure après son embarquement, et alors que l’avion est rempli de moitié, il était inanimé, inerte. Il a été alors extrait de son siège. «On l’a allongé sur le dos et tenté de le réanimer, jusqu’à l’arrivée du Samu», se souvient un steward. En vain. Mariame Getu Hagos a été transporté à l’hôpital Robert-Ballanger à Aulnay. Après une phase de coma, il est mort, samedi après-midi, deux jours plus tard.

Information judiciaire.

«A l’issue du compte-rendu d’autopsie réalisé par deux experts médecins légistes, le parquet a requis l’ouverture d’une information judiciaire contre X du chef d’homicide involontaire afin de poursuivre les investigations tant sur les faits que sur le plan médico-légal», indiquait hier le parquet de Bobigny qui retient que «pour l’exécution de la mesure administrative, les fonctionnaires de police ont usé de la contrainte à l’égard de cette personne, qui avait auparavant simulé des malaises et qui se débattait». Hier soir, le ministre de l’Intérieur décidait de suspendre provisoirement les trois fonctionnaires de la PAF chargés de l’escorte. «Une mesure conservatoire, précisait le communiqué de la Direction générale de la police nationale (DGPN), qui ne préjuge en rien la suite d’une procédure dorénavant confiée à la justice et qui permettra à celle-ci de se dérouler dans la sérénité.».

(1) Le ministre espère davantage de reconduites à la frontière. Dans une tribune publiée dans le Monde du 18 janvier, il déplore que le taux de reconduite ait chuté de 23,5 % en 1996 à 16,7 % en 2001. Et souhaite que ses services gagneront en efficacité.

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«Il était sous la couverture, tout était calme»

 Charlotte Rotman

Avant Mariame Getu Hagos, un Argentin de 52 ans a, lui aussi, trouvé la mort au cours de son expulsion. Lui aussi menotté et maintenu plié en deux par deux policiers, selon une méthode devenue habituelle pour les expulsions difficiles. C’était le 30 décembre dernier, lors du vol AF 416 Paris-Buenos Aires, sur la compagnie Air France.

Il s’appelait Ricardo Barrientos. L’Institut médico-légal a indiqué dans son rapport d’autopsie que la cause du décès était un infarctus. La police a conclu à une mort naturelle et juge l’affaire «classée». Le Gisti et l’Anafé (l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) s’apprêtent pourtant à porter plainte contre X, pour «non-assistance à personne en danger» et «coups mortels». Amnesty International, depuis Londres, a adressé une lettre à Nicolas Sarkozy pour obtenir des éclaircissements sur ce décès. L’Anafé a également invité le Premier ministre à saisir sur ce sujet la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Siège central.

Selon le rapport de police, «aucun incident n’a été signalé par le pilote au moment de l’embarquement, ni avant ni après. La procédure a été respectée». Comme c’est le cas lors d’expulsions délicates qui nécessitent une escorte policière, Ricardo Barrientos a été placé au fond de l’avion, sur le siège central de la dernière rangée. Avant l’arrivée des passagers, il s’est démené, a gesticulé et crié en espagnol. Mais quelques minutes seulement. «Il avait les pieds attachés au siège avant, les mains menottées et une couverture sur lui. Les policiers faisaient pression sur lui, pour le maintenir replié, la tête en bas», témoigne un steward. «Il s’est vite calmé, se souvient encore ce navigant. Il s’est bien écoulé une demi-heure sans qu’on l’entende.»

Malaise.

Ainsi quand les époux Billmann, en partance pour une expédition touristique en Amérique latine, s’installent sur la même rangée, ils ne «remarquent pas d’agitation.» «Tout était calme. Il ne réagissait pas, je me suis dit qu’il était peut-être drogué», se souvient Sabine. Après de longues minutes, les policiers se rendent compte que Ricardo est au plus mal. L’Argentin est transporté vers l’avant de l’avion. «Deux autres policiers sont venus, en tenue ceux-là. Ils l’ont sorti, l’un le tenant par les épaules, l’autre par les pieds», se rappelle Sabine Billmann. «Il avait de longs cheveux pas très clean, je me suis dit : soit il est shooté, soit il est mort.» Selon le médecin qui l’a ausculté ­ une passagère, appelée au secours, et dont Libération a retrouvé la trace ­, c’était bel et bien le cas. «Je me suis rendue à l’avant de l’appareil, sur la passerelle, se souvient ce docteur. Il était allongé. J’ai tout de suite vu qu’il avait l’air mort. Il avait le teint gris, n’avait plus de pouls.» Selon l’enquête de police, il n’y a rien à redire. «Nous voulons que soient élucidées les circonstances de cette mort», dit pourtant Me Stéphane Maugendre (avocat), rédacteur de la plainte des associations.

Avant cette expulsion qui lui fut fatale, Ricardo Barrientos vivotait de la vente de ses poèmes. Il s’imaginait bohème dans une époque qui ne s’y prête pas, et vivait sous les ponts de Paris, près de Notre-Dame. Il traînait dans les bistrots du quartier, rue de la Huchette, se mettant tout nu à la moindre contrariété. C’est d’ailleurs ce qui l’a mené en établissement psychiatrique, puis en prison. En 2002, il a été condamné à plusieurs reprises pour exhibition et également défaut de papiers. Il se disait ancien joueur international de football. Il avait rompu les liens avec sa famille à Buenos Aires, mais aussi en Espagne. Il ne voulait surtout pas retourner en Argentine. Il l’avait répété à Jérôme Martinez, un permanent de la Cimade, qui l’avait rencontré à Fresnes, en mai. «Il m’a dit qu’il était en France depuis plus de quatre ans. Qu’il ne voulait pas repartir, qu’en Argentine, on le prenait pour un fou. Il avait l’air paumé, fragile», se rappelle-t-il.

Rapatriement.

A Fleury-Mérogis, on se souvient d’un «détenu qui avait tendance à se déshabiller». Un compatriote qui l’avait croisé et tenté de l’aider se rappelle que personne ne le connaissait dans le milieu des Argentins, à Paris. Pour Ricardo Barrientos, un rapatriement sanitaire avait été demandé. Sans succès. Son corps est toujours en France, à la morgue.

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Encore un mort lors d’une expulsion

Il était somalien, avait 24 ans, et il est mort samedi après-midi, après trois jours de coma. Jeudi à 23 h, il était à Roissy, dans un avion qui devait le renvoyer à Johannesburg (Afrique du Sud) d’où il était arrivé quelques jours auparavant. Il avait demandé l’asile politique qui lui avait été refusé. Selon la police, le jeune homme était «très excité» et avait dû être escorté par trois agents de la police aux frontières au lieu des deux habituels. Avant l’embarquement, il avait fait deux malaises considérés par un médecin comme simulés. Pourtant, dans l’avion, un troisième malaise lui a été fatal. Le parquet de Bobigny a demandé une enquête à l’Inspection générale des services. Déjà, le 30 décembre, un Argentin de 52 ans était mort d’une crise cardiaque à Roissy alors qu’il était expulsé dans son pays. Une autopsie avait conclu à la mort naturelle. Une autopsie du jeune Somalien a également été ordonnée.

Un Argentin meurt à Roissy d’un arrêt cardiaque pendant son expulsion

index Sylvia Zappi,  08/01/2003

Une association met en cause la police aux frontières.

LE RETOUR lui fut fatal. Ricardo Barrientos, un Argentin né en 1950, devait être expulsé vers son pays à la suite de sa sortie de prison le 30 décembre. Il est mort avant que l’avion ne décolle de l’aéroport de Roissy. Il avait été embarqué à bord du Boeing 416 d’Air France à 22 h 30 accompagné par une « unité d’éloignement de la police aux frontières », précise le ministère de l’intérieur. Son expulsion ayant été préparée, il n’est pas passé par un centre de rétention.

« La procédure normale a suivi son cours », précise le service de communication de la police nationale. La procédure « normale » veut en effet que le passager forcé soit embarqué avant les autres voyageurs et installé au fond de l’appareil. Là, il est entra­vé : menottes attachées dans le dos ou au siège, et de plus en plus sou­vent, selon les témoignages des per­sonnels de bord, il est plié en deux, la tête sur les genoux, et maintenu dans cette position par deux poli­ciers.

« M. Barrientos a manifesté son refus d’embarquer quand il s’est instal­lé mais il n’y a pas eu d’incident signa­lé par le pilote », assure la direction de la police nationale. Juste avant le départ, alors que tous les autres pas­sagers ont pris place à bord, l’Argen­tin a été pris d’un malaise.

Là, les versions des faits diver­gent La police aux frontières (PAF) assure que dès que les deux policiers se sont aperçus de l’évanouisse­ment ils ont averti le commandant de bord qui a fait débarquer le passa­ger et a appelé le service médical d’urgence. Le médecin a alors cons­taté le décès et le corps a été trans­porté à l’Institut médico-légal. « Il est décédé à l’extérieur de l’avion », insiste la direction de la police nationale.

A l’inverse, selon les témoignages recueillis par l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), une fois que les policiers se sont aperçus que le corps qu’ils maintenaient était inerte, le commandant de bord a deman­dé si un médecin se trouvait à bord.  « Ils ont amené le corps à l’avant sans ménagement. Le voyageur médecin a constaté l’arrêt cardiaque. Le corps a alors été débarqué », raconte Patrick Delouvin de l’Anafé.

Le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a été immédiatement saisi et a ordonné une autopsie. Elle a conclu à un arrêt cardiaque «classique ». Le commandant de bord a été entendu par la police et a pu regagner deux heures plus tard l’avion et le faire décoller. Quatre autres membres de l’équipage sont restés au sol pour témoigner.

« L’enquête est faite et a conclu à ta régularité des procédures ». assure la PAF. Quant aux conditions de main­tien forcé du passager, elles sont habituelles : « Tout s’est passé dans les conditions réglementaires et léga­les», souligne la police nationale. Du côté des associations de défense des étrangers, rien n’est moins sûr :

« nous craignons que cette “mort naturelle” ne se soit produite dans une position pas si naturelle. Est-ce que cette mesure de plier les gens en deux pour annihiler toute résistance est devenue une règle générale pratiquée par la PAF pour les expulsions ? », s’inquiète M. Delouvin.

C’est en tout cas le premier décès lors de ce type <f opérations depuis dix ans. En 1991, c’est un deman­deur d’asile sri lankais qui avait trou- vé la mort lors de son embarque­ment à bord de l’avion qui devait [e ramener à Colombo. Là aussi, l’en­quête avait conclu à un arrêt cardia­que. Depuis, la PAF avait dû obser­ver un certain nombre de régies, dont l’arrêt de toute procédure, en cas de refus manifeste du passa­ger. Et en cas de refus du comman­dant de bord.

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Mort dans l’avion d’un Argentin expulsé

  Charlotte Rotman

Ricardo Barrientos est décédé dans l’appareil qui devait le ramener à Buenos Aires.

Pascale Aimar
Pascale Aimar

Ricardo Barrientos, un Argentin de 52 ans, est mort à Roissy dans l’avion qui devait le ramener dans son pays. Cet étranger sans papiers, sous le coup d’une interdiction du territoire français notifiée par le préfet de l’Essonne, devait être expulsé vers Buenos Aires par le vol AF 416 de la compagnie Air France, le 30 décembre au soir. Il est ressorti sans vie de l’appareil où il avait été embarqué. La police aux frontières (PAF) assure qu’il s’agit d’une mort naturelle.

Plié en deux. Ricardo Barrientos a été présenté à l’embarquement à 22 h 30, le lundi 30 décembre. «Il n’était pas très content de partir», convient la PAF. Comme souvent dans ce genre d’expulsion, il est amené à l’arrière de l’appareil par une brigade d’escorte, avant l’embarquement normal des passagers. Il est alors assis sur le siège central de la dernière rangée et plié en deux par deux policiers en uniforme qui le maintiennent dans cette position, en appuyant sur chacune de ses omoplates. «Cette méthode de faire plier en deux les étrangers renvoyés, de les oppresser pour les empêcher de crier et d’alerter les passagers est de plus en plus répandue», note l’Anafé, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers.

«Juste avant le départ, il a été pris d’un malaise», note l’enquête de police. Selon des témoins à bord, l’homme gesticulait et se débattait, comme c’est presque systématiquement le cas. «Puis il a arrêté de se débattre», se rappelle un passager. Les policiers ne réagissent pas immédiatement. «Cela a été un peu nébuleux», se souvient cette même source. Peut-être ont-ils imaginé que l’Argentin, comprenant que son expulsion devenait inévitable, abandonnait toute résistance ?

Puis, alors que l’avion s’est totalement rempli, on demande un médecin à bord. Ricardo Barrientos est transporté, inerte, vers l’avant de l’appareil. Il est porté à l’horizontale, «comme un sac à patates», selon des témoins. Les passagers ne s’inquiètent pas vraiment. Un touriste sud-américain, médecin, vient l’ausculter et le déclare mort depuis une dizaine de minutes. Selon la police aux frontières, un médecin du service médical d’urgence est venu l’examiner sur la passerelle, à la sortie de l’avion maintenu au sol. Lui aussi constate le décès. Une autopsie a été pratiquée par l’Institut médico-légal de Paris qui conclut à une crise cardiaque. Selon la PAF, il n’y a pas eu de violences. «Aucun incident n’a été signalé par le pilote au moment de l’embarquement, ni avant ni après. La procédure a été respectée.»

En l’absence d’autres versions que celle de la police, des interrogations demeurent cependant autour de ce décès ainsi que sur l’état de Ricardo Barrientos avant son embarquement. D’avis médical, une crise cardiaque est précédée de signes avant-coureurs qui auraient pu alerter son entourage. Les infarctus aussi brutaux sont rarissimes et précédés de très violentes douleurs thoraciques.

Drames. Ces dernières années, d’autres expulsions ont viré au drame. En septembre 1998, la jeune Nigériane Sémira Adamu, escortée par la police belge, avait péri lors d’une tentative de rapatriement particulièrement violente. Sa mort avait bouleversé la Belgique. En France, le dernier décès à bord d’un avion survenu lors d’une procédure d’expulsion remonte à 1991. Sur le vol UT 568, à destination de Colombo, un demandeur d’asile sri lankais n’avait pas survécu à l’embarquement. Le rapport de la police aux frontières avait conclu à l’«arrêt cardiaque».

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Le transfuge du 8e bureau.

logo-liberation-311x113  Charlotte Rotman

MonédièrePendant des années, Daniel Monédière, chef du 8e bureau de la direction de la police générale à la préfecture de police de Paris, chargé des «mesures d’éloignement des étrangers», a expulsé les clandestins. Avec application. Il y a trois ans, il quitte momentanément l’administration, monte un petit cabinet de conseil juridique, et depuis… défend ­ ardemment? ­ les étrangers. Drôle de reconversion.

Ce fonctionnaire zélé a longtemps été la bête noire des avocats spécialistes du droit des étrangers. Daniel Monédière débarque à la préfecture de police de Paris en 1988, à presque 40 ans. Auparavant, il a travaillé en mairie et à différents postes de l’administration, où il s’est plutôt ennuyé. Il raconte qu’il a passé le concours de l’ENA, mais a été «fusillé au grand O», le dernier oral: «J’avais pas le style.» Après cinq ans au 9e bureau de la préfecture «Afrique-Maghreb-Europe», il passe chef du 8e bureau, dédié à l’éloignement des étrangers. «Là, on est plus impopulaire.» Le travail lui plaît. «Je me suis bien investi», dit-il aujourd’hui. Il apprécie la simplicité des situations: «Il y a des catégories: « Régulier » ou non, et des critères. S’ils sont irréguliers, les étrangers doivent quitter le territoire.» C’est sa tâche. Et, pour l’accomplir, «il faut un instinct de chasseur». «Je devais résoudre cette question: concrètement, comment fait-on pour faire monter quelqu’un dans l’avion?», résume-t-il. Mais est-ce qu’on est méchant pour autant?» Il s’en défend: «On a pu dire que j’étais investi de la mission de nettoyer la France de ses étrangers, mais non.» Pour Daniel Monédière, le roi du 8e bureau, le chantre de l’action administrative, «l’important, c’est l’efficacité».

Subterfuges. «C’était un obsédé de la statistique, obnubilé par le chiffre de reconduites à la frontière», se souvient l’avocat Simon Foreman. «A la préfecture, on l’avait en face de nous, il ne jouait pas le jeu. Il avait des pratiques pour faire échec au droit de la défense qui nous heurtaient», raconte Me Stéphane Maugendre. Les avocats se souviennent de sa «hargne» à leur égard et lui reprochent d’avoir utilisé n’importe quelle ruse pour faire du chiffre. Il faut dire que Daniel Monédière traîne quelques boulets. En 1995, il passe en correctionnelle en citation directe pour «abus d’autorité». Il avait imaginé un subterfuge pour que les étrangers en instance d’expulsion, placés au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, passent devant le juge de Paris, et non celui de Meaux, dont dépend pourtant le centre, mais où la préfecture n’a pas de permanencier. Pour cela, il avait envoyé une note au commandant du centre de rétention pour demander de conduire les étrangers à l’audience «comme s’ils étaient retenus au dépôt» parisien. Le tribunal correctionnel de Paris avait jugé irrecevables les partie civiles. Mais, à l’audience, Monédière avait passé un sale quart d’heure (Libération du 2 décembre 1995). Les subterfuges de son invention, qui avait été évoqués alors, ont contribué à sa mauvaise réputation: renvoi dans son pays natal d’un Mauricien, père de famille interpellé sur le territoire, placé en centre de rétention, et qu’un juge avait pourtant décidé de libérer. Placement en garde à vue à l’aéroport d’une Ivoirienne, convoquée à la préfecture avec sa fille de quelques mois née en France, et finalement relâchée avec son bébé par un juge. Présentation différée au tribunal des étrangers dont le maintien en centre de rétention a expiré, dans l’espoir de trouver un juge moins laxiste… «Il était connu pour sa mauvaise foi», se souvient-on au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). «Le pire c’est qu’il a imprimé cet état d’esprit à ses subordonnées.» Monédière ou l’archétype du fonctionnement de la préfecture.

Ce même individu est devenu consultant. En 1997, le fonctionnaire se met en disponibilité et ouvre une officine pour «prestations de services et conseils en matière administrative», notamment sur le droit des étrangers. «C’est comme si le procureur devenait avocat de la défense», explique Stéphane Maugendre, en habitué des prétoires. L’année 1997 est celle de la circulaire Chevènement, qui prévoit des critères de régularisation. «Ça tombait bien, il y avait beaucoup de boulot.» Pour son premier client, un chauffeur de taxi qui demande un regroupement familial, Monédière fait «une belle lettre à la préfecture». Aussitôt, raconte-t-il, son ancien adjoint l’appelle: «Mais qu’est-ce que tu fous? Tu es contre nous?» Au sein de la préfecture, une commission de déontologie est saisie. Elle rend un avis favorable à l’exercice de son activité de consultant «sous réserve que l’intéressé s’engage à ne pas avoir d’activités de conseil en droit des étrangers dans le ressort de la préfecture de police de Paris».

Tollé. Daniel Monédière a traité des centaines de dossiers qu’il boucle en puisant dans son expérience au 8e bureau. Ses honoraires moyens s’élèvent, selon lui, à 4 000 francs par dossier. «Je suis content si un client est régularisé», dit-il. Comme pour se défendre, il ajoute aussitôt qu’il ne sautait pas de joie quand, à la préfecture, il renvoyait quelqu’un hors de France. Pourtant, il ne peut s’empêcher de retrouver un agacement très préfectoral: «Mais il n’y a rien de plus frustrant que de se faire annuler un dossier bien ficelé de reconduite à la frontière.» Parfois, le consultant a du mal à oublier le fonctionnaire qu’il était.

Sa nouvelle activité soulève un tollé chez les avocats. Pour certains, elle s’apparente à un «pantouflage» peu compatible avec une fonction publique. Surtout, il s’agit d’une activité de conseil juridique alors que Daniel Monédière n’est pas inscrit au barreau. Et puis, les avocats, qui l’ont toujours connu «acharné», pugnace, huilant inlassablement la machine à expulser les étrangers, trouvent mystérieux qu’il fasse aujourd’hui son possible pour les maintenir sur le territoire. Et se demandent s’il y met le même zèle. La mise en disponibilité de l’administration de Daniel Monédière court jusqu’en 2002.

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A peine veuve et déjà menacée de reconduite à la frontière

index Sylvia Zappi, 30/06/2000

POUR SOUAD S., une Marocaine sans papiers, la douleur s’est doublée d’un total désarroi, dimanche 25 juin. Son compagnon, un Français qu’elle a connu quelques mois auparavant au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), meurt sous ses yeux. Quelques heures plus tard, la jeune femme se retrouve, en garde à vue puis en rétention, menacée de reconduite à la frontière. Mercredi 28 juin, c’est devant le juge délégué de Bobigny, chargé de statuer sur le maintien en rétention, que la jeune femme va raconter son histoire, la voix cassée par les sanglots.

CENTRE DE RÉTENTION

Ce dimanche soir-là, raconte-t-elle, son compagnon est pris d’un violent malaise, la jeune femme appelle le Service médical d’urgence et de réanimation (SMUR). Les policiers ayant constaté le décès, somment Mme S. de présenter ses papiers. Or la Marocaine n’a plus son passeport de service depuis qu’elle a quitté, en avril, son emploi de « dame d’entretien » au consulat du Maroc de Villemomble (Seine-Saint-Denis). Souad S. est donc conduite au commissariat de Blanc-Mesnil où on lui notifie un arrêté de reconduite à la frontière (APRF), puis transférée pour deux jours en centre de rétention. « Il n’y avait rien dans la situation qui a valu cette dame son interpellation, sauf sa situation irrégulière », s’étonne le président du tribunal se tournant vers le représentant de la préfecture.

Le fonctionnaire tente d’expliquer que la préfecture n’avait pas «tous les éléments». Avant de souffler: « Est-ce que Mme S. présente les garanties suffisantes pour une assignation à résidence ? Je m’en remettrai à votre décision, M. le juge». Le magistrat, Jean-Michel Maton, ne cache pas son exaspération devant tant de désinvolture : Pourquoi n’avez-vous pas fait initialement cette assignation à laquelle vous ne semblez pas vous opposer aujourd’hui ? »

Avocate de la prévenue, Me Christine Delon n’a alors aucun mal à plaider en faveur de cette « situation dramatique ». « Ma cliente pensait que le seul fait d’être mariée à un Français lui donnait le droit de résider. C’était un vrai mariage même s’il n’était que religieux, le défunt étant engagé dans une longue procédure de divorce », explique-t-elle. « Convaincu, le juge Maton rend alors une ordonnance assignant Mme S. à résidence « jusqu’à sa convocation par l’administration pour la reconduite à la frontière ». Il reste maintenant deux mois à Mme S. pour déposer un recours contre l’APRF devant le tribunal administratif de Paris.

Deux policiers jugés après un décès lors d’une reconduite à la frontière

index Nicolas Weill, 24/05/1999

POUR la première fois, des policiers ont comparu, jeudi 20 mai, pour répondre du décès d’un étranger au cours d’une tentative d’éloignement forcé du territoire. Poursuivis pour homicide involontaire devant le tribunal correctionnel de Nanterre, le commissaire principal Eric Brendel et le lieutenant jean-Paul Manier étaient en service, le 24 août 1991, à l’aéroport de Roissy pour procéder à la reconduite à la frontière d’Arumugan Kanapathillai, un Sri-Lankais Ide trente-trois ans arrivé en France sans visa, le 9 août, sous le nom d’Arumum. Le lendemain, l’homme décédait à l’hôpital des suites d’un malaise survenu dans l’avion, alors que les policiers tentaient de le renvoyer vers Colombo.

Sur la victime elle-même, l’audience en apprendra bien peu, huit ans après les faits. Tout au plus sa veuve, mère d’une petite fille d’une dizaine d’années, elle- même déboutée du droit d’asile en Allemagne, viendra évoquer l’appartenance de son mari au parti des Tigres tamouls, son enlèvement et la terreur que lui inspirait l’idée d’un retour au Sri Lanka, synonyme, selon lui, de mort (Le  Monde du 2 octobre 1998).

Mais, bien plus que le décès d’un homme, le procès, dans lequel plusieurs associations de défense des droits des étrangers étaient parties civiles, a mis en cause les pratiques « musclées » de reconduite à la frontière.

Les débats ont été l’occasion de décrire en détails les conditions dans lesquelles s’effectuent ces éloignements quand ceux-ci sont soumis à une logique administrative de rendement Le 24 août 1991, après une première tentative avortée d’embarquement, Arumum, menotté par derrière, puis aux pieds et bâillonné avec une bande Velpeau, est installé avec les deux policiers de son escorte au fond de l’appareil UTA à destination de Colombo. C’est alors que les deux policiers tentent de le maîtriser et de l’empêcher de crier qu’il se débat et est pris d’un malaise.

Pourquoi un bâillon? Cette question hantera le procès comme elle a hanté l’instruction. Une bataille d’experts et plusieurs autopsies n’ont pas permis d’établir que cet accessoire, dont aucun texte n’a jamais autorisé l’usage, ait pu causé la mort d’Arumum, qui souffrait de faiblesse cardiaque.

«L’aspect psychologique est important, a expliqué Eric Brendel à la barre, pour tenter de justifier l’usage du bâillon. C’est le moyen de montrer au réembarqué, souvent réticent, que la police est prête à assurer le départ » Les deux policiers ont évoqué les conditions de plus en plus difficiles de ces opérations. Avocat des prévenus, Me Binet a mis en cause la fréquence des blessures et des morsures subies par les policiers de la part de « réembarqués » tentant leur va-tout pour rester sur le territoire français, ou paniqués à l’idée de retourner dans une région où ils estiment leur vie en danger.

DÉSHUMANISATION

« Nous n’avons rien fait de plus qu’à l’ordinaire, se justifie Eric Brendel. Notre situation était difficile : si nous restions cois, il n’y avait plus d’escorte. Il fallait exécuter une mission, un point c’est tout. » « C’était soit cela soit une admission sur le territoire qui mettait en route une pompe aspirante, et ça n’était pas notre vocation », appuie M. Lallemand, un témoin, officier de police qui servait en 1991 sous les ordres d’Eric Brendel.

Me Gilles Piquois, défenseur de la veuve du Sri-Lankais, a dénoncé la déshumanisation du processus de reconduite : « C’est de la violence inhumaine qui n’a rien de psychologique. Les reconduits ne sont pas des délinquants, a-t-il souligné. Nous sommes en présence de fonctionnaires qui n’ont pas respecté les textes. Il est naturel qu’un officier de police dise non à des ordres illégaux. »

Il demandera une « rente d’éducation » pour la fille de la veuve d’Arumum. Le premier substitut Hervé Garrigues a terminé son réquisitoire en laissant ouverte la possibilité de la relaxe. « Mais si le tribunal condamne, ajoute-t-il, je ne serai pas choqué si les prévenus sont dispensés de peine. »

Jugement le 24 juin.

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Expulseurs assassins

Pajol, mai 1999

Le 24 août 1991, Arumugam Kanapathipillai, demandeur d’asile tamoul était assassiné par des policiers de la PAF (Police de l’Air et des Frontières) lors de la deuxième tentative d’expulsion vers le Sri Lanka. Arrivé à l’aéroport de Roissy le 9 août et maintenu en zone internationale, son admission sur le territoire avait été refusée par le Ministère de l’intérieur alors que sa femme et sa fille étaient réfugiée en Allemagne.

Menotté aux poignets et aux chevilles, bâillonné par une bande velpeau et sanglé au siège par la ceinture de sécurité du Boeing 747 UTA, il avait tenté d’échapper au renvoi vers la mort dans un ultime sursaut. Profitant du retrait momentané de son bâillon il s’était mis à se débattre et à crier: « No Sri Lanka, no Sri Lanka! », pour attirer l’attention des passagers. Le commissaire Brendel et l’officier Manier, escortant le condamné, « n’ont fait qu’appliquer les instructions » et essayèrent de réprimer ses cris en le maîtrisant et l’étouffant à l’aide d’une couverture. Après 20 minutes d’effort pour se dégager, son coeur s’arrêta et Arumugam perdit connaissance.

Réanimé sur place il mourut le lendemain matin à l’hôpital.

Huit ans après les faits les policiers sont passés en procès devant la 12eme chambre du tribunal de Nanterre le 20 mai 1999. Lors de l’audience ils purent justifier de manière odieuse leur acte en expliquant qu’ils « n’avaient pas commis de faute » et qu’il « fallait exécuter une mission ».

Le procureur a conclu son réquisitoire en réclamant une condamnation
accompagnée d’une dispense de peine. Verdict le 24 juin.

Arumugan est donc le triste prédécesseur de Semira Adamu, nigériane de vingt ans assassinée lors de son expulsion de Belgique, le 22 septembre 1998 et deMarcus O., nigérian lui aussi, étouffé le ler mai 1999 lors de son expulsion d’Autriche; victimes de l’Europe forteresse.

Pour que de tels meurtres ne se reproduisent plus,

OUVERTURE DES FRONTIERES,

LIBERTE DE CIRCULATION !

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Prison pour les sans-papiers rebelles de Roissy

logo-liberation-311x113  Béatrice Bantman,

Pour les sans-papiers et leurs supporters, cette décision avait valeur de test. Hier, neuf Maliens, qui s’étaient soustraits à une mesure de reconduite à la frontière le 28 mars 1998 à l’aéroport de Roissy, ont été condamnés par la cour d’appel de Paris à des peines de deux à six mois d’emprisonnement et, pour six d’entre eux, à une interdiction du territoire français comprise entre trois et cinq ans. L’arrêt n’a surpris personne: en novembre, un autre Malien, Cheikne Diawara, embarqué sur le même vol, avait été condamné à un an de prison ferme. L’histoire de ce vol Paris-Bamako n’est pas très claire. Le 18 mars 1998, onze Maliens sont interpellés lors d’une occupation de l’église Saint-Jean de Montmartre par un groupe de sans- papiers. A l’époque, cette occupation, destinée à attirer l’attention sur la régularisation très problématique des sans-papiers célibataires en vertu de la circulaire Chevènement promulguée l’été précédent, est loin de faire l’unanimité au sein des collectifs.

Parmi les sans-papiers entraînés dans l’aventure, figurent en effet des Africains, vivant en paix depuis de longues années dans des foyers du 18e arrondissement parisien. Donc théoriquement régularisables. Mais exposés à une reconduite en cas de «rencontre» avec la police. Ce sera le cas.

Pugilat. Parmi les occupants, onze Maliens sont arrêtés, placés en rétention et reconduits à la frontière. Une reconduite qui tourne au pugilat entre policiers et sans-papiers. Et à la controverse. Selon les sans-papiers et quelques témoins, passagers payants sur ce vol, les policiers emploient la force, quelques coups bas et des coussins sur le visage des reconduits, pour les contraindre au calme. Selon Stéphane Maugendre, avocat des Maliens et vice-président du Gisti (Groupement d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), les passagers auraient alors pris le parti des sans-papiers, rapidement débarqués du vol, le pilote ne voulant pas décoller dans ces conditions. Un rapport des Renseignements généraux fait, au contraire, état de la résistance musclée des Maliens. C’est ce rapport, basé sur des témoignages indirects, qui a été pris en considération par l’accusation depuis le début de l’affaire.

Le 8 juin 1998, le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint- Denis), estimant que ce rapport ne prouve rien, relaxe les Maliens. Le 26 novembre, à la surprise générale, l’un d’entre eux, Cheikne Diawara, est condamné en appel à un an de prison ferme et cinq ans d’interdiction du territoire pour refus d’embarquer. Il s’est pourvu en cassation.

Mouvement effiloché. La condamnation de ses neuf camarades était donc attendue sans illusions, ce 18 mars. Ce troisième anniversaire de l’occupation de l’église Saint-Ambroise et le début du mouvement des sans-papiers a confirmé l’effilochement de ce mouvement, qui n’arrive pas à surmonter ses divisions internes et le manque d’appuis extérieurs. Parmi ces derniers, le Parti communiste, qui a saisi l’occasion pour développer son programme sur l’immigration: respect du droit d’asile, droit de vote aux élections locales et européennes pour les immigrés en France depuis plus de cinq ans, suppression de la double peine et arrêt des expulsions.

Sur le parvis de l’église Saint- Ambroise, les représentants du PCF ont été pris à partie par des anciens de Saint-Bernard. «Nous n’acceptons pas que vous parliez à notre place», leur ont-ils lancé, rappelant aux communistes qu’ils ont longtemps traités les sans-papiers de «manipulés» par l’extrême gauche. Un nouvel éclat qui laisse mal augurer de la manifestation «unitaire» et européenne de soutien aux sans- papiers, le 27 mars à Paris.

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Avocat