, Entretien réalisé par Alexandre Fache, 24/06/ 2008
Archives de catégorie : reconduite à la frontière et OQTF
Le président confirme les quotas d’étrangers
A.-C.J. et P.É., 09/01/2008
LE MINISTRE de l’Immigration et de l’Identité nationale a beau marteler que sa mission ne se réduit « ni à des chiffres ni à des lettres » (allusions à ses objectifs de reconduites à la frontière et aux tests ADN), hier le message de Nicolas Sarkozy à son adresse tendait plutôt à prouver le contraire.
Il a réaffirmé sa politique de contrôle de l’immigration et d’expulsion des sans-papiers, demandant à Brice Hortefeux d’aller « jusqu’au bout d’une politique fondée sur les quotas ».
« Cela fait trop longtemps qu’on en parle. Tout le monde sait que c’est la seule solution. Eh bien, il faut franchir le pas et arrêter de vouloir protéger les uns, ne pas choquer les autres », a poursuivi le président de la République, invoquant l’exemple de l’Espagne et de l’Italie en termes de reconduites massives aux frontières.
Rome a expressément démenti les propos de Nicolas Sarkozy concernant des expulsions groupées entre les trois pays.
Des « concepts réactionnaires »
L’idée des quotas est toujours jugée inacceptable par les organisations de défense des droits de l’homme. Pierre Henry, le président de France Terre d’Asile, fait valoir que le respect des engagements de la France au niveau international et le texte même de la Constitution française empêchent légalement de pouvoir recourir aux quotas dans 85 % des cas. La députée PS Delphine Batho dénonce de son côté les « concepts réactionnaires » du président, qui viseraient uniquement à « enrayer sa chute dans les sondages ». Mais pour l’Elysée, l’« immigration choisie » passe par ces objectifs quantitatifs, qui désormais devront être débattus au Parlement. En 2007, ce ne sont non pas 25 000 personnes qui ont été reconduites à la frontière, comme le prévoyaient les objectifs annuels, mais plutôt
23 000.
Par ailleurs, Nicolas Sarkozy souhaite la création d’une juridiction particulière, entièrement dédiée au droit des étrangers. Jusqu’ici, ce sont les juges administratifs et judiciaires qui statuent sur le sujet. Selon le ministère de l’Immigration, sollicité à la suite de la conférence
de presse du président, il s’agirait seulement de choisir l’une ou l’autre de ces juridictions, avec pour objectif de « simplifier les procédures ». Les syndicats de magistrats, SM (gauche) et USM (majoritaire), ont immédiatement réagi, avançant qu’une juridiction de ce type remettrait en question la Constitution même, puisque c’est le Conseil constitutionnel qui exige cette dualité.
« On ne peut pas s’affranchir de la sorte des grands principes du droit français, notamment en matière de libertés individuelles, selon Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti, le Groupe d’information et de soutien des immigrés. C’est une manière de dire
Laissez-nous expulser tranquillement, sans contrôle judiciaire.»
« Une atteinte aux libertés individuelles »
08/01/2008
Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers
Nicolas Sarkozy vient de l’annoncer dans sa conférence de presse: une juridiction spécialisée dans le droit des étrangers va être créée. Une mesure qui inquiète au plus haut point Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers.
« On est en plein délire ! »
Interview de S.Maugendre par F.Miguet 24/11/2007
Pourquoi l’enfant, Angolais tout comme son père, ne fait-il pas, lui aussi, l’objet d’un éloignement du territoire ?
– La justice relative à l’enfance est gérée par l’ordonnance de février 1945 relative à la protection de l’enfance. Celle-ci dispose clairement l’interdiction de tout éloignement d’un enfant du territoire français jusqu’à sa majorité.
Deux droits s’opposent ici : d’un côté celui des étrangers, de l’autre le droit qui s’applique aux mineurs. C’est ce dernier qui prime. Un mineur ne peut en aucun cas être éloigné du territoire français. C’est le principe.
Peut-on légalement éloigner du territoire français un parent sans son enfant ?
– C’est une question compliquée. Si l’on prend la décision d’éloigner une femme ou un homme du territoire français, on ne peut pas, en principe, faire éclater une famille. Il faudrait donc que l’enfant soit éloigné aussi. Comme ce dernier ne peut l’être, du fait de l’ordonnance de 1945, son droit devrait primer, et interdire la reconduite de ses parents. Actuellement, en pratique, il y a très peu de reconduites à la frontière qui concernent des sans-papiers parents d’enfants résidant sur le territoire français.
D’ailleurs, les juridictions judiciaires et administratives ont pour habitude de sanctionner de telles pratiques. Quand il y en a cependant, il s’agit de cas à la marge, et cela ne concerne qu’un seul des deux parents. En l’espèce, la mère de l’enfant est décédée.
Il s’agit là de choix politiques. Dans la mesure où l’on veut faire primer la chasse à l’étranger sur la vie des enfants, on peut se permettre d’éloigner le majeur, avec ou sans son enfant.
Mais, si l’on considère, au contraire, que l’on doit faire primer la vie du mineur, on interdit, dans ce cas, de faire exploser les familles.
C’est une situation scandaleuse !
On se focalise sur un cas particulier, comme si cela représentait l’ensemble des étrangers sur le territoire français. Là, l’enfant est scolarisé, il a des amis, qui peuvent très bien être nos enfants. C’est toute une cohérence sociale qui est touchée, pas seulement l’enfant, mais aussi ceux qui l’entourent. Au nom de quoi ? D’une politique de fermeté ?
La Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France, dit qu’un enfant doit être protégé. Il y a ici une ingérence du politique contre l’enfant. L’argumentation juridique existe, mais, ici, l’on fait face à un choix politique.
Si l’on choisit que les parents d’enfants domiciliés sur le territoire français peuvent être reconduits à la frontière, alors on se désengage des obligations internationales.
Cela existe depuis la circulaire Sarkozy de 2006, qui annonçait qu’elle allait régulariser des parents d’enfants présents sur le territoire français. 60.000 personnes sont allées se dénoncer aux préfectures sur la base de critères qui paraissaient souples. Mais, une circulaire n’a aucun effet en droit. Entre 6.000 et 10.000 personnes ont été régularisées. Mais les autres ?
Elles ont été fichées. La situation à laquelle nous faisons face à présent a été préparée depuis longtemps. En ce moment on parle de régularisation par le travail avec la loi Hortefeux. Mais rien n’est clair. De nombreux employés et employeurs en situation irrégulières vont se livrer en pâture sans garantie précises. On les fiche, eux aussi. Le cas de cet Angolais est symptomatique. Qu’est-ce que cela change si on le laisse avec son enfant ? Rien du tout. On est en plein délire !
Que risque-t-il d’advenir de l’enfant ? L’Etat n’a-t-il pas une obligation d’aide ou de protection le concernant ?
– L’Etat a une obligation de protection sous réserve qu’il n’y ait pas d’autre membre de la famille. Un juge pour enfant doit être saisit, afin que le mineur soit placé auprès d’un tiers digne de confiance. Ce peut être une tante, un oncle, mais aussi l’ASE (Aide sociale à l’enfance). Savez-vous combien coûte une reconduite à la frontière, grosso modo ?
On parle de 50.000 euros. C’est énorme ! Là, on va devoir ajouter la saisine du juge pour enfant, qui a sûrement beaucoup mieux à faire. Imaginez l’argent que cela coûte. On tombe sur la tête !
Appuyer sur cet accélérateur là pour obtenir 25.000 reconduites à la frontière, c’est du chiffre, pour faire de l’annonce. Et cela au détriment du travail de la police et de la gendarmerie. Lorsque l’on en discute avec eux, on constate que policiers et gendarmes en ont pardessus la tête. Pendant ce temps, ils ne peuvent pas lutter contre la vraie délinquance. Aujourd’hui, être sans-papiers, c’est un délit puni d’un an d’emprisonnement et de trois ans d’interdiction du territoire. Et on préfère s’arcbouter là-dessus.
Mais ces gens ne sont pas des voyous. Ils viennent en France pour travailler, parce qu’il ya du boulot en France. Il y a, aujourd’hui, 500.000 postes non pourvus dans le monde du travail, dont 70.000 dans le bâtiment. On nous dit: « Régulariser des gens, ça fait des appels d’air ». Mais l’appel d’air c’est qu’il y a du travail non pourvu en France, et que ces gens veulent le faire. J’ai des clients sans-papiers qui travaillent entre 35 et 70 heures par semaines. Et lorsqu’il faut présenter un titre de séjour pour obtenir un CDI, il se barre. C’est ça la vérité. Ces gens ne sont pas responsables des émeutes dans les banlieues, ils ne viennent pas pour faire du trafic, mais pour travailler.
Sans-papiers : « La mobilisation va au-delà des habituels militants »
Parmi les éléments examinés par les préfectures : la maîtrise de la langue française, l’absence de lien avec le pays d’origine, et la scolarisation des enfants depuis au moins deux ans. Les familles disposaient de deux mois pour déposer leur dossier à une administration vite débordée, tant les critères semblaient s’appliquer à des milliers d’entre elles. Sur environ 30000 dossiers déposés, il y a eu 7000 régularisations. Que deviennent les familles déboutées ? Questions à Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés).
Quel bilan peut-on tirer de la circulaire du 13 juin 2006 ?
Elle a permis de régulariser des familles, dans le plus grand arbitraire, puisque des situations identiques ont reçu des réponses opposées, selon les préfectures et l’interprétation du texte. Du coup, des dizaines de milliers de personnes sont sorties du bois. Elles sont désormais fichées avec l’imprimatur d’Arno Klarsfeld. Ce qui fait un vivier considérable de gens facilement interpellables. Ces fichiers pourront servir pour respecter les chiffres de 25000 éloignements et 130000 mises en cause dans des affaires de séjour irrégulier, par an, annoncés par M. Hortefeux. De fait, le traitement informatique des dossiers permet de classer les sans-papiers selon les nationalités. Ce qui est un moyen simple de préparer des charters.
Quelles sont les conséquences juridiques d’une « mise en cause » ?
C’est un terme très vague sans réelle consistance juridique, utilisé pour englober les employeurs et les réseaux mafieux, et les soutiens aux sans-papiers. Selon Hortefeux, les seconds sont les alliés objectifs des premiers. On sait qu’apporter de l’aide à un sans-papier est un délit, mais de là à le punir d’une peine de prison… On observe cependant que les mises en examen de soutien sont de plus en plus nombreuses.
Comment vivent les familles sorties de l’ombre ?
Dans la terreur. Le réflexe, c’est de retourner à la clandestinité. Elles déménagent quand elles le peuvent. Ce qui les oblige à rompre les liens qu’elles avaient tissés au moment de la constitution de leur dossier. La mobilisation a provoqué la rencontre entre des mondes étanches, et pour certaines familles exclues, c’était les prémisses d’une insertion, ne serait-ce que dans la vie de l’école. Aujourd’hui, elles sont dans la méfiance. Une simple visite médicale devient un drame. Elles sont à la merci de n’importe quel employeur.
Comment mener une vie clandestine quand on a des enfants scolarisés ?
C’est impossible et c’est le paradoxe de certaines familles refoulées par la circulaire, qui parlent le français et sont si « intégrées » , qu’elles ne peuvent se volatiliser du jour au lendemain. Leur intégration même les transforme en cibles pour la police. Mais en même temps, leur arrestation provoque à chaque fois une mobilisation énorme. À l’inverse, un célibataire sans papiers logeant dans un foyer est plus aisément invisible et mobile, mais lorsqu’il est sur le point d’être expulsé, ça ne provoque aucun remous. Dans ce contexte, l’établissement scolaire est devenu un lieu particulier, le seul où les parents sans papiers peuvent se sentir en sécurité. La loi interdit qu’on demande aux parents qui y inscrivent leurs enfants leurs papiers. Elle tient un rôle d’asile. Mais les parents qui viennent chercher leurs enfants à la sortie peuvent être interceptés en famille. En centre de rétention, ils n’ont plus que 48 heures pour trouver un avocat et faire un recours. Sauf exception, ils en sortent à condition de laisser leur passeport et sont alors assignés à résidence, en attendant qu’une place dans un avion leur soit trouvée. Deux solutions : soit ils acceptent de quitter la France, soit ils disparaissent dans la nature.
Comment explique-t-on que ces derniers mois, plusieurs couples aient été incarcérés tandis que les enfants étaient sans nouvelles d’eux, parfois pendant plusieurs jours ?
Certaines familles ont donné l’adresse de leur employeur dans le dossier qu’elles ont déposé l’été dernier. Fourni en preuves d’intégration, il contenait des attestations de travail ou des promesses d’embauche, parfois des avis d’imposition, car même lorsqu’on travaille au noir, on doit déclarer ses revenus. D’autres part, le mode d’arrestation a changé, notamment à Belleville. Après quelques scandales médiatisés, elles se font moins au faciès, dans la rue, mais plus discrètement dans les ateliers ou restaurants où les parents travaillent souvent ensemble. Du coup, ils sont également embarqués ensemble. Le comble, ce sont les familles cueillies le 13 juin dernier à la sortie du métro Belleville. Elles revenaient du dépôt collectif de demandes de rendez-vous organisé symboliquement par RESF, un an après la parution de la circulaire.
Étant donné l’absence d’issue et le peu de régularisations, ne serait-ce pas normal que les soutiens se découragent ?
Si les étrangers ont toujours intérêt à conserver précieusement les preuves de leur présence en France, il est impossible aujourd’hui de donner de véritable conseil sur l’intérêt de déposer un dossier, même aux personnes qui entrent dans le cadre du Cesa. Cependant, les populations d’un quartier ou d’une école, qui peuvent sembler endormies, surprennent toujours par la force de leur réaction lorsqu’une personne est en danger.
Il y a une semaine, une grève a été votée dans une école du XXe pour protester contre la « mise en rétention » d’une mère chinoise, expulsable à tout moment. Lorsque les parents Pan ont été mis en centre de rétention, laissant pendant quatre jours sans nouvelles leurs enfants en maternelle, deux cent cinquante parisiens ont fait le trajet jusqu’à Rouen, pour être présents lors de l’audience. Une salle pleine, ça impressionne, et non seulement les Pan ont été relâchés, mais l’arrêté de reconduite à la frontière a été levé.
Non seulement la mobilisation reste forte, mais elle s’étend bien au-delà du militantisme habituel. Il n’est pas rare que les salles d’audience des tribunaux administratifs soient pleines. Le gouvernement est dans une position intenable. Selon un rapport parlementaire, il y a entre 400000 et 500000 sans-papiers en France. À supposer que ce chiffre reste stable, il lui faudrait vingt ans pour expulser tout ce monde.
En 2006, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy a dû, sous la pression des associations, régulariser deux fois plus de monde qu’en 2005. Rien ne dit que malgré ses discours, Hortefeux ne soit pas obligé de mener une politique plus souple que celle qu’il promet. De fait, grâce à la vigilance de RESF.
A lire : A Paris, une école du XXe mobilisée contre une expulsion
La mère thaïlandaise d’un jeune garçon tente un ultime recours.
Quel avenir pour la famille Raba ?
Lorsqu’on les avait rencontrés au Kosovo, en février dernier, Jousef, Shpresa Raba et leurs trois enfants ne pensaient qu’à ça : rentrer en France. Expulsés en novembre à grand bruit, ils sont devenus malgré eux un symbole de la lutte des sans-papiers intégrés à la vie française mais qui ne parviennent pas à être régularisés. Pour autant, que peuvent-ils espérer en étant revenus illégalement sur le territoire ? Au ministère de l’Intérieur, on a annoncé que toute nouvelle demande d’asile serait infondée.
Pour Stéphane Maugendre, spécialisé dans le droit des immigrés, « Il est clair qu’aucune décision ne sera prise avant la constitution du nouveau gouvernement. La famille Raba a déjà déposé deux fois une demande d’asile devant l’Ofpra, je ne suis pas certain que la troisième fois sera la bonne s’il n’y a aucun élément nouveau. » A moins qu’elle ne mise sur le changement de gouvernement. Stéphane Maugendre ajoute : « Régulariser la famille Raba, cela permettrait, même à un ministère de l’Intérieur de droite, de sortir du mauvais pas dans lequel il s’est mis et de ne pas apparaître trop rigide. »
Condamné après la mort d’un expulsé éthiopien
C.S., 24 Nov. 2006
UN CHEF D’ESCORTE de la police aux frontières (PAF), Axel Dallier, 26 ans, a été condamné hier à six mois de prison avec sursis pour la mort involontaire de Mariame Getu Hagos, un Ethiopien de 24 ans débouté de l’asile politique, qu’il était chargé d’escorter dans un avion à Roissy, le 16 janvier 2003.
Le tribunal correctionnel de Bobigny a reconnu la culpabilité du policier, en raison d’un « manquement à une obligation de prudence et de sécurité », considérant que le « pliage de la tête sur le cou et le thorax » prolongé de Mariame qui se débattait pour ne pas être expulsé « ne correspondait pas à un usage nécessaire strictement proportionné », comme le prévoit le Code de déontologie de la police.
Les deux autres policiers coprévenus ont été relaxés, la causalité entre leur intervention et le décès du passager entravé n’étant pas établie. Le parquet avait demandé une peine de principe contre deux policiers, avec sursis et d’une durée laissée au choix des juges.
Un étranger mort, la police condamnée
« Technique du pliage »
Les policiers ont reconnu à l’audience l’avoir menotté et entravé aux genoux et aux chevilles avec du scotch pour le faire monter dans l’appareil, car il se rebellait. Axel Dallier l’a maintenu en position penchée alors que les autres passagers embarquaient, technique policière dite du « pliage », officiellement interdite depuis l’affaire.
Le tribunal estime que la mort résulte non de maladresses comme le disaient les prévenus mais de gestes qui n’étaient pas strictement nécessaires au maintien de l’étranger dans l’avion et constituent donc « un manquement aux rêgles de prudence ».
Me Stéphane Maugendre, avocat de la famille de la victime, s’est dit satisfait du jugement. « Une responsabilité est reconnue et c’est ce qui nous intéresse », a-t-il déclaré.
Pour une éventuelle indemnisation, il devra se tourner vers la tribunal administratif. A l’audience, le parquet avait requis des peines de prison avec sursis contre Axel Dallier et Merwan Khelladi et la relaxe de David Tarbouriech.
Depuis cette affaire, le ministère de l’Intérieur a publié des recommandations stipulant à la police de l’air et des frontières de limiter l’usage de la force et de faire marche arrière si la personne apparaît être dans une situation de panique. Des formations ont été mises sur pied.
Un agent de la police aux frontières condamné pour la mort d’un sans-papiers
Le tribunal correctionnel de Bobigny a condamné, jeudi 23 novembre, à six mois de prison avec sursis pour « homicide involontaire » un agent de la police aux frontières (PAF), pour la mort d’un Ethiopien qu’il était chargé d’escorter lors de son expulsion en janvier 2003 à Roissy (Val-d’Oise). Le 18 janvier, Getu Hagos Mariame, un Ethiopien de 24 ans, devait être reconduit à bord d’un avion en direction de l’Afrique du Sud. Ses protestations ont incité les policiers à utiliser ce qu’ils nomment les « gestes techniques d’intervention », afin de le maîtriser et de le réduire au silence : ils l’ont maintenu compressé, assis, le visage contre les genoux. Trop longtemps. M. Hagos Mariame a fait un malaise. Hospitalisé dans le coma, il est mort le lendemain. Pour le tenir plié sur son siège, M. Dallier s’était assis sur lui, selon des témoins, ce qu’il a toujours nié.
« MANQUEMENT À UNE OBLIGATION DE PRUDENCE ET DE SÉCURITÉ »
Le tribunal a reconnu la culpabilité d’Axel Dallier, 26 ans, le chef d’escorte, pour « homicide involontaire » en raison d’un « manquement à une obligation de prudence et de sécurité ». Dans ses motivations, le tribunal a considéré que le « pliage » prolongé, qui avait entraîné le malaise du jeune homme, « ne correspondait pas à un usage nécessaire et strictement proportionné de la violence », ainsi que le préconise le code de déontologie de la police. Les deux collègues d’Axel Dallier ont été relaxés, le tribunal estimant que dans leur cas, la causalité entre les gestes exercés sur la victime avant le décollage de l’avion, dans la nuit du 16 au 17 janvier 2003, et la mort, n’était pas clairement établie.
Lors de l’audience, le 28 septembre, la procureure, Nadine Perrin, avait demandé la condamnation de principe d’Axel Dallier et de son collègue Merwan Khelladi, 32 ans, sans demander de peine précise. Elle avait estimé toutefois « qu’ils n’avaient pas transgressé le règlement » et n’avait pas demandé la condamnation de David Tarbouriech, 28 ans, le dernier agent.
Depuis ce drame, la commission nationale de déontologie de la sécurité a recommandé l’abandon du geste technique de compression qui était alors enseigné à l’école de police. Et la formation des policiers d’escorte, qualifiée de « lacunaire » par la procureure, a été améliorée. Me Stéphane Maugendre, l’avocat de la famille de la victime, a estimé ce jugement « motivé et clair », réaffirmant que « le désir de la famille et des associations était d’obtenir une condamnation forte de certaines pratiques d’éloignement des étrangers, et notamment de la technique du pliage ». Suspendus pendant dix mois, les trois policiers avaient ensuite été réintégrés dans un autre service de la PAF.
Peine de principe requise contre les policiers de la PAF
Elodie Soulié , 29/09/2006
GETU HAGOS serait mort de n’avoir pas supporté une « technique d’usage ». La « technique du pliage », une prise dûment décrite dans le très réglementaire Guide des techniques policières d’intervention (GTPI), afin de maîtriser les rebelles particulièrement virulents.
Le 16 janvier 2003, Getu Hagos, jeune Ethiopien de 23 ans plutôt athlétique, mais surtout prêt à tout pour échapper à l’expulsion qu’il redoutait, est mort d’avoir passé vingt longues minutes le torse plié sous la pression de ses épaules, la tête touchant les cuisses, maintenu de force et menotté dans un siège d’avion à la ceinture serrée.
Hier après-midi, les trois policiers de la PAF qui devait assurer l’embarquement du « non admis sur le sol français » étaient jugés au tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis), poursuivis pour un homicide involontaire. Hagos n’a pas reçu de coups, n’a fait les frais d’aucune violence gratuite, mais les experts ont clairement désigné la cause du malaise auquel il a succombé, à quelques minutes du décollage : un « arrêt cardio-respiratoire dû à un appui marqué et la flexion de la tête sur le cou ». Entre les termes cliniques et ceux des règlements policiers, le point commun fut que la force, peut-être nécessaire pour maîtriser cet homme si virulent, fut sans doute aussi démesurée. Les magistrats rendront leur jugement le 23 novembre.
La substitut du procureur Nadine Perrin a demandé une peine de principe, avec sursis et d’une durée laissée au choix des juges pour les deux policiers qui maintenaient au plus près Getu Hagos. Le troisième, physiquement séparé par une rangée de sièges, n’aurait pu pratiquement « participer aux gestes qui ont causé la mort de Getu Hagos », a estimé Mme Perrin en l’épargnant de toute réquisition.
Droits, debout, affirmatifs, les trois policiers contestent les témoignages des personnels de bord évoquant que deux d’entre eux s’étaient littéralement assis sur le dos du jeune homme. Une telle pratique serait autrement moins légale que la pression « fréquemment employée lorsque les gens sont très virulents », a répété l’un d’eux. En janvier 2003, le jeune gardien de la paix de 23 ans avait le statut de chef d’escorte ; avant Getu Hagos il avait escorté plus de 60 expulsés réputés difficiles.
La « technique du pliage » interdite
Et depuis le début de soirée, celui-ci avait donné pas mal de fil à retordre aux policiers : d’abord en faisant un malaise, spectaculaire mais dont le médecin, par deux fois, a estimé qu’il n’était que simulation. Puis en se débattant, au point de faire passer l’escorte de deux à trois policiers, de le menotter dans le dos, de l’entraver de bandes Velcro, de le porter couché, homme-brancard désespéré mais « hurlant et gesticulant », diront les policiers, entre le fourgon et la passerelle. Puis de l’asseoir, selon cette « technique du pliage ». Depuis cet « accident », ladite technique est interdite. Le ministère de l’Intérieur a suivi les conseils de la Commission nationale de déontologie policière et édicté de nouvelles règles, des fiches techniques reprenant les « atteintes traumatiques possibles », institué des « superviseurs », une formation de deux jours des policiers d’escorte, enrichi l’équipement de ceintures de contention, autorisé la vidéo… En janvier 2003, rien de cela n’existait.
Le procès de trois policiers du commissariat de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), accusés d’avoir commis des violences sur des habitants de la ville, en 2001, a été renvoyé pour la quatrième fois par le tribunal correctionnel de Bobigny, en raison d’une erreur de ce dernier.
Une magistrate a avoué « sa honte et sa désolation devant les dysfonctionnements récurrents » qui ont affecté ce dossier, trois fois depuis novembre 2005, rejoignant ainsi les avocats des parties civiles.