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Les conditions contestées d’une des expulsions vers le Zaïre

logo-liberation-311x113 Dominique Simonnot

 

Mercredi matin, un «charter européen» au départ d’Allemagne, des Pays-Bas et de France renvoyait sous escorte à Kinshasa 44 Zaïrois déboutés du droit d’asile ou en situation irrégulière. Parmi eux, se trouvait Wumba Nzaki, marié à une Française et père d’un enfant français de 2 ans.

C’était une première, tout s’est déroulé en parfaite coordination entre les trois pays européens, et, à chaque escale, le gros Airbus hollandais de la Martinair chargeait son lot d’indésirables zaïrois. Si on ignorait encore hier l’exacte situation de 43 des 44 passagers de l’avion, celle de Wumba Nzaki, 34 ans, met encore une fois en relief de bien étranges pratiques. Malgré un arrêté de reconduite à la frontière prononcé en août 1992, Nzaki faisait normalement partie des étrangers protégés de l’éloignement du territoire. A double titre. Joris, son fils, est né le 30 juin 1993 et, trois mois auparavant, Nzaki s’était marié avec Dominique, de nationalité française. Elle raconte: «J’ai accompagné mon mari à la préfecture de police lundi, nous espérions faire régulariser sa situation. On nous a dit de revenir le lendemain. Il y est allé avec Joris…» Dans l’après-midi de mardi, un coup de fil de la préfecture prévient le chef du personnel de la banque où travaille Dominique. «Ils ont dit que ce n’était pas grave, il fallait que je vienne récupérer mon mari. Mais quand je suis arrivée là-bas, on m’a mis mon fils dans les bras en me disant que mon mari était en rétention administrative et qu’il passerait le lendemain devant un magistrat.» Pieux mensonge en réalité, puisque les policiers savent déjà que Nzaki embarquera dans le charter pour Kinshasa à 5 heures du matin. Ce dont la préfecture, d’ailleurs, ne se cache pas: «Nous l’avions convoqué mardi en raison de l’opération Batave.»

Il faut en effet faire vite. Éviter que ne s’écoule le délai de 24 heures au-delà duquel Nzaki aurait obligatoirement dû être présenté au magistrat chargé de statuer sur sa rétention. Les policiers savent qu’au vu du dossier, même le plus sévère des juges l’aurait remis en liberté. D’autant qu’un jugement du tribunal administratif avait fustigé en décembre dernier l’attitude de la préfecture à l’égard de la famille Nzaki.

«Comme une andouille», raconte Dominique, elle s’est présentée mercredi matin au dépôt des étrangers pour voir son mari mais «il n’était pas sur la liste». En effet, il vole déjà pour le Zaïre. A la préfecture, on explique que «des événements d’ordre privé tels qu’un mariage et une paternité ne peuvent battre en brèche les principes du droit public. L’arrêté de reconduite à la frontière de 1992 était toujours en vigueur. A monsieur Nzaki de suivre la procédure en demandant un visa pour revenir et on lui déroulera le tapis rouge de la carte de séjour en vertu de sa situation familiale.» Sans autre précision sur le coût financier de l’opération.

Cependant ni sa femme ni ses avocats n’ont l’intention d’en rester là. Ils parlent «d’une sinistre manière d’inaugurer la prochaine entrée en vigueur des accords de Schengen». Hier, Mes Sylvain Dreyfus et Daniel Voguet pour Nzaki et Stéphane Maugendre pour la Cimade ont saisi en urgence la Commission européenne des droits de l’homme, entre autres, pour de «graves violations» de l’article 8 de la Convention européenne qui stipule le droit à vivre en famille. Les avocats prient donc le président de la commission «de demander au gouvernement français qu’il autorise au plus vite le retour de monsieur Nzaki sur le territoire français auprès de son épouse et de son enfant».

⇒ Voir l’article

procédure «en urgence absolue»

images fig Marie-amélie Lombard, 01/09/1994

La procédure «en urgence absolue» utilisée par le ministère de l’Intérieur avait fait l’objet de recours judiciaires de la part des avocats des intégristes présumés

Des profondeurs de l’Aisne à l’exotisme de Ouagadougou : ce fut hier un aller simple pour vingt des vingt-six assignés à résidence de la caserne de Folembray. Sous le coup d’un arrêté d’expulsion, les sympathisants ou militants présumés du Front Islamique du salut ont été embarqués à bord d’un Boeing 737 affrété par le gouvernement, qui a décollé à 9 h 40 de la base militaire de Reims. Destination, un temps gardée secrète par les autorités mais vite éventée : le Burkina Faso, ancienne colonie française d’Afrique, où l’islam est la confession dominante, et qui entretient de très bonnes relations avec l’Algérie.

Les six autres hommes sont restés en France, sous surveillance. Ainsi, Saïd Magri, en grève de la faim, a-t-il été assigné à résidence à Lille. Quant à Larbi Kechat, imam de la mosquée parisienne de la rue de Tanger, qui avait reçu le soutien de diverses personnalités, il est revenu hier à Paris. Un troisième, Abdeslam Ouili, a été assigné à résidence au Blanc, dans l’Indre. Un quatrième, Sara Ramani, un étudiant en électronique de 29 ans, a été assigné à résidence dans un petit bourg de Seissan, à une vingtaine de kilomètres d’Auch, dans le Gers.

Pour tous prenait donc fin un séjour forcé et parfois mouvementé à Folembray. Il avait commencé au lendemain de l’assassinat de trois gendarmes et deux agents consulaires français, le 3 août dernier, à Alger. L’opération avait été comprise comme la réplique de Charles Pasqua aux islamistes. Très vite, les avocats des assignés avaient engagé une polémique avec le ministère de l’Intérieur. Leurs critiques portaient à la fois sur les conditions de l’assignation à résidence (surveillance policière, liberté de mouvement toute relative) et sur le silence observé par les autorités pour expliquer les motivations de cette mesure.

Le mois d’août était sur le point de s’achever ainsi. Entre grève de la faim, protestation des habitants appréciant modérément ce nouveau voisinage, et mise en garde contre la France lancée par le porte- parole improvisé des assignés, Djaffar el-Houari, président de la Fraternité algérienne en France. Deux « rendez-vous » avaient cependant été fixés dans la bataille juridique engagée entre avocats et ministère de l’Intérieur.

« Fait du prince »

Le premier était pris pour aujourd’hui devant le tribunal des référés, à Laon, où Charles Pasqua avait été assigné pour voie de fait, l’objectif des avocats étant de démontrer que l’assignation à résidence s’apparentait à une « détention illégale ». Hier, après l’expulsion, les avocats étaient, semble-t-il, décidés à se rendre malgré tout à Laon. Il paraissait cependant peu probable que le tribunal statue aujourd’hui sur une situation déjà dépassée.

La seconde procédure était engagée devant le tribunal administratif d’Amiens, en principe amené à se prononcer dans la première quinzaine de septembre. L’expulsion sur¬prise d’hier a donc permis à Charles Pasqua de court-circuiter ces voies judiciaires. Le régime de l’expulsion lui en laissait la possibilité. « C’est en effet une des rares mesures relevant encore du « fait du prince » », note Me Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des étrangers, qui critique toutefois « l’usage qui en est fait aujourd’hui, où la simple suspicion devient un élément à charge ».

C’est une ordonnance de 1945 qui régit « l’expulsion en urgence absolue ». Une telle mesure, administrative, doit remplir deux conditions (non cumulatives depuis la loi Pasqua de 1993) : une urgence absolue et une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique. Par; ailleurs, si l’étranger frappé d’une mesure d’expulsion établit « qu’il ne peut ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans aucun autre pays », il « peut être astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés ».

C’est en théorie le cas de figure de Folembray. Dès le début, le ministère de l’Intérieur avait déclaré que les occupants de la caserne, sous le coup d’un arrêté d’expulsion, devaient eux-mêmes chercher un pays d’accueil, et que, dans l’Intervalle, ils étaient assignés à résidence. Version aussitôt réfutée par les avocats, qui indiquaient que les assignés ne pouvaient guère communiquer avec l’extérieur, et encore moins se dénicher une « Invitation » à l’étranger. Dialogue de sourds, donc, que les tribunaux n’auront sans doute pas le loisir de trancher. Au-delà des questions de procédure et de forme, les critiques s’élevaient hier sur l’opacité observée par les autorités depuis le début de l’affaire. Avec une question récurrente : que reprochait-on exactement à ces vingt-six personnes ? En la matière, le ministère de l’Intérieur n’avait pas, juridiquement, l’obligation d’apporter des précisions sur ses soupçons ou griefs à l’égard des assignés. Au cours du mois, les arrivées successives de ces 26 personnes – 25 Algériens, 1 Marocain – à Folembray avaient été justifiées par « leurs activités en relation avec un mouvement qui prône et pratique la violence et le terrorisme ».

Hier, après l’expulsion, le communiqué du ministère indiquait qu’ils avaient été « signa-lés par les services de police comme se livrant à des activités susceptibles de présenter des dangers pour la sécurité de nos compatriotes ». Ce genre de formule fait inévitablement bondir les avocats. « On a tapé au pif ! » lance Me Philippe Petillault. « Cela a des relents de ratonnade », estime pour sa part Me Dupond-Moretti.

La plupart des occupants de la caserne avaient une « façade » relativement anodine. Des étudiants, des commerçants, un imam, etc. Sept d’entre eux avaient déjà fait l’objet d’une précédente assignation à résidence, à l’automne 1993, lors de l’opération « Chrysanthème ». Cette « rafle » dans les milieux supposés islamistes avait été organisée après l’enlèvement d’un couple de Français, les époux Thévenot, en Algérie.

« Façade » anodine

De leurs clients, les avocats ne possèdent souvent qu’un curriculum vitae relativement succinct. Et seraient fondés, selon eux, à connaître les éléments retenus contre eux par les pouvoirs publics. De son côté, le ministère de l’Intérieur observe un mutisme complet sur le sujet. Conclusion des avocats : si des charges sérieuses avaient existé, des poursuites auraient été engagées. Ce qui n’a jamais été le cas – aucun des assignés de Folembray n’avait fait l’objet de poursuites judiciaires, et ce qui tendrait à prouver, disent, les conseils, que les dossiers sont vides.

En un mois, peu d’informations sont finalement parvenues sur ces vingt-six hommes. Voici le portrait rapide fait par Me Petillault d’un de ses clients : « Ali Amar, la trentaine, marié, trois enfants. Cet étudiant, en cours de thèse dans un domaine scientifique, habitait à Orléans avec sa famille. Depuis l’automne dernier, il avait été assigné à résidence dans le Cantal. Il se déclare lui-même sympathisant de la Fraternité algérienne en France et du FIS, mais il n’est membre d’aucune de ces organisations. Il était arrivé en France il y a quatre ans pour poursuivre ses études. » Biographie incomplète, mais qui le restera sans doute.

Par ailleurs, les conseils soulignent les « problèmes humains » soulevés par l’expulsion : des familles restées en France, des professions ou des études brusquement inter¬rompues. Les expulsés seront « libres de leur mouvement et pourront aller là où ils veulent quand ils le souhaitent », indiquait hier le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso. Tout au long de la journée, un léger malentendu semblait planer sur le nombre exact de passagers à bord du Boeing 737 parti de Reims : 20 pour la France, 19 pour le Burkina. Hier matin, dans un ministère de l’Intérieur visiblement satisfait du tour pris par les opérations, ne répondait-on pas que l’avion avait pris la direction du «triangle des Bermudes» ?

Des assises contre l’expulsion

La_République_du_Centre_Logo,15/03/1988

Le M.R.A.P. a permis à de multiples associations de se rassembler pour une large concertation. Des témoignages vécus en présence d’un public nombreux.

CHARTRES. — Les première « assises départementales » organisées par le M.R.A.P. (mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples) se tenaient samedi dernier au Forum de la Madeleine, en présence d’un auditoire composé d’associations et de représentants de divers organismes, ainsi que d’individuels, dont certains étaient venus directement témoigner de leur cas.

La thème abordé tout au long de cet après-midi devant la menace d’expulsion, quels sont les droits des étrangers en France ? aura permis aux parties prenantes de confronter expérience et témoignages tout en répondant en direct aux questions du public grâce aux juristes présents pour la circonstance. (La loi Pasqua s’est trouvée très souvent au cœur des problèmes).

Patrice Alliot, président de la fédération du M.R.A.P. d’Eure- et-Loir, avait réuni autour de lui Stéphane Meyer, avocat et membre du secrétariat national du M.R.A.P. ; Fadila Amrani, membre du secrétariat national Terre d’asile ; Abderazah Bouazizi, avocat et membre du C.A.I.F. ; Stéphane Maugendre, avocat et membre du G.I.S.T.I., ainsi que Jean-Marie Boutiflat, membre du collectif A leurs côtés, diverses associations (association des travailleurs turcs. Ligue des droits de l’homme, représentants du syndicat de la magistrature ; l’évéque de Dreux, les prêtres de Rechèvre étaient venues entendre ou témoigner de la situation actuelle en France en matière d’expulsions ou reconductions a la frontière.

Car la notion de situation régulière couvre des réalités bien différentes. Comme le montre le cas de Nzolani N’ Dofunsu, étudiant zaïrois, menacé d’expulsion pour le 24 mars prochain. Son changement d’adresse ne lui a pas permis de recevoir la copie du jugement de l’O.F.P.R.A, (Office français de protection des réfugiés et apatride qui est chargé d’instruire les dossiers de demande d’asile et d’y répondre.

Nzolani est en France depuis6 ans comme étudiant et ce statut ne lui permet pas de terminer sa dernière d’étude ni d’obtenir le statut de réfugié politique. En opposition avec la politique actuelle du Zaïre, quelle liberté de choix lui reste-t-il ? M. Charleston est Haïtien d’origine et s’est enfui des prisons des tontons Macoutes. En France, il rencontre une femme, ils ont un enfant et il trouve du travail. Sa demande d’asile est rejeté, ainsi que sa demande de recours. Il n’a plus de papiers donc plus de travail bien que son avis d’expulsion n’ait pas été prononcé.

Autant de témoignages qui ont par la suite débouché sur un projet de concertation communal et la mise en place dans le département d’un collectif qui recenserait toutes les personnes, pouvant Intervenir rapidement! dès qu’un cas d’expulsion ou de| menace expulsion est signalé.

Les juristes, à ce titre, seront un atout très précieux au côté de tous tes bénévoles qui consacrent la majeure partie de leur temps à défendre «l’indéfendable». A suivre donc…