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Le « procès Chalabi » se poursuit devant des bancs vides

index Acacio Pereira, 06/09/1998

Le tribunal a examiné, vendredi, en moins d’une heure, les faits reprochés à trois prévenus, en leur absence.Les avocats continuent de dénoncer « un procès inéquitable et honteux »

A son quatrième jour, le procès du « réseau Chalabi » de soutien aux maquis algériens a continué dans un contexte surprenant. Alors que 138 personnes sont prévenues, seuls 3 détenus, 3 avocats et une trentaine de prévenus libres étaient présents, vendredi, dans le gymnase de l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire de Fleury-Mérogis (Essonne) spécialement aménagé. Le bras de fer se poursuit entre le président du tribunal,Bruno Steinmann, et la plupart des avocats qui ont déserté le procès, pour en dénoncer le caractère « de masse ». Ils appellent les pouvoirs publics à « faire cesser cette injustice ». De son côté, le président a fait procéder à des aménagements matériels réclamée par les avocats. Il espère que ceux qui boycottent le procès reviendront bientôt sur leur décision. Sinon, il pourrait accélérer le rythme du procès.

PLUS LES JOURS passent, plus la durée des audiences du « procès Chalabi » se réduit. Record battu, vendredi 4 septembre : en moins d’une heure, le tribunal a examiné les faits reprochés à trois des cent trente-huit prévenus soupçonnés d’avoir participé à un réseau de soutien logistique aux maquis islamistes algériens. La veille, avec vingt-trois autres prévenus détenus, ils avaient quitté les box dans la confusion la plus totale. Ils ne sont pas revenus. Un seul est représenté par son avocat, bien désœuvré.

Le planning initial ne devrait pas être bouleversé dans l’immédiat. Le président Bruno Steinmann espère toujours que les prévenus qui ne veulent plus comparaître et les avocats qui ont décidé de boycotter le procès reviendront bientôt sur leurs décisions. A défaut, il pourrait être tenté d’accélérer le mouvement en examinant chaque jour le cas d’un plus grand nombre de prévenus. Quoi de pire, en effet, pour un président de tribunal que de mener des débats virtuels faute de participants ?

A l’ouverture de l’audience, M. Steinmann s’offre un petit préambule en forme de pique contre les avocats absents. Mardi, au premier jour du procès, ces derniers avaient réclamé de pouvoir s’asseoir plus près du tribunal et de pouvoir communiquer avec leurs clients prévenus. Bruno Steinmann avait alors promis de faire le maximum avant la fin de la semaine. «Des ouvertures ont été pratiquées dans les vitres pare- balles », indique-t-il. Avec une pointe d’ironie, il ajoute : « Des chaises, installées à la demande des avocats, se trouvent depuis deux jours en face de moi. » Vides, naturellement

Le président fait ensuite part au tribunal des faits reprochés aux trois prévenus du jour. Après chaque lecture, s’efforçant de maintenir une apparence de normalité, il pose la question rituelle au représentant du ministère public, Bernard Fos : «Avez-vous des observations à formuler?» «Je regrette simplement de ne pas pouvoir poser de questions au prévenu », répond, désolé, M. Fos. La scène est presque drôle. Pour le reste, le procès semble tourner à vide, au point que dans la salle, un prévenu libre ne cache plus son ennui en bâillant ostensiblement

PROTESTATION COLLECTIVE

Avant la levée de l’audience jus¬qu’à lundi, Ismaïl Debboub, l’un des trois prévenus détenus présents, demande à prendre la parole. «Je voulais préciser que, concernant les armes retrouvées dans le pavillon que j’habitais à Villeneuve-Saint-Georges, elles n’ont en aucun cas appartenu à un autre réseau que le nôtre, à savoir celui du FIS. » La veille, Mohamed Chalabi, présenté comme l’un des chefs du réseau démantelé, avait pris la responsabilité de l’ensemble des armes retrouvées par les policiers (Le Monde du 5 septembre). « Pourquoi vous démarquer?, interroge le président. – Parce que je n’ai jamais fait partie du réseau Chalabi », lâche le prévenu.

A l’extérieur du gymnase de Fleury-Mérogis où se déroule le procès, Mes Nathalie Jaudel et Mathilde Jouanneau, au nom du collectif des avocats contestataires, réclamant à nouveau « l’arrêt de ce procès inéquitable et honteux, indigne d’un État démocratique ». Dans ce texte bref, les avocats appellent «solennellement les pouvoirs publics et les démocrates de ce pays à [les] soutenir pour faire cesser cette injustice». Enfin, selon nos informations, tous les avocats commis d’office dans ce procès sont convoqués, lundi matin 7 septembre, par la bâtonnière dei l’ordre des avocats, Me Dominique de La Garanderie. Le texte de la convocation ne précise pas l’ordre du jour.

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Les audiences surréalistes du « procès Chalabi » à Fleury-Mérogis

index Acacio Pereira,

Le chef présumé du réseau a dénoncé une « cabale policière, un simulacre d’instruction et une mascarade de procès ». Le box des accusés s’est tour à tour rempli puis vidé devant un tribunal médusé

II n’y avait plus grand monde, jeudi 3 sep­tembre, au gymnase de Fleury-Mérogis, pour la troisième journée du procès du « réseau Chalabi », un réseau de soutien logistique aux maquis algériens. La quasi-totalité des avocats boycottent les audiences afin de dé­noncer ce « procès de masse » -138 prévenus -tandis que les trois quarts des 107 prévenus libres ne se sont pas présentés. Le chef pré­sumé du réseau, Mohamed Chalabi, a lon­guement pris la parole pour dénoncer cette « cabale policière, ce simulacre d’instruction et cette mascarade de procès ». « Qu’on ar­rête de dépenser l’argent du contribuable, a- t-il lancé. Et ces vitres blindées… Qui va me tirer dessus ? La sécurité militaire ? Quand mon jour viendra, il viendra. » Les avocats ont déposé jeudi une requête en suspicion légitime contre le tribunal auprès de la Cour de cassation.

SURRÉALISTE. Il n’y a sans doute pas d’autre mot pour qualifier ce qu’il reste du procès des 138 membres présumés d’un réseau de soutien logistique aux maquis islamistes algériens. Au troisième jour d’audience, jeudi 3 septembre, la quasi-totalité des prévenus a quitté dans une confusion indescriptible le gymnase de l’École nationale de l’administration pénitentiaire de Fleury-Mérogis où ont lieu les débats.

Après le coup d’éclat des avocats qui, dès le début du procès, ont décidé de boycotter les débats afin de dénoncer les conditions de son organisation, le président Bruno Steinmann s’apprête à entendre quatre prévenus, mais seuls deux avocats sont présents. Deux avocats commis d’office qui réclament un renvoi du procès pour avoir le temps de rencontrer leurs clients et d’étudier le dossier. Le président décide de joindre l’examen de la demande au fond. Les deux avocats quittent immédiatement la salle. Le président Steinmann ne se laisse pas démonter. « Nous allons maintenant examiner le cas d’Ahmed Djellal », annonce-t-il. Le prévenu est dans le box, mais il n’a pas d’avocat. Il n’en veut pas. Il ne veut pas s’expliquer. « Je n’ai rien à vous dire », lâche-t-il avant de se rasseoir. « C’était déjà le cas pendant l’instruction, répond le président. Vous aviez même refusé de signer la plupart des PV. » Il attend une réponse. Mohamed Chalabi, le chef présumé du réseau, se lève et s’empare du micro. « Il n’y a plus rien à dire, lance-t-il. C’est quoi cette association de malfaiteurs dont on nous accuse ? Ça a commencé par une cabale policière, puis un simulacre d’instruction et maintenant une mas­carade judiciaire. »

L’homme est visiblement en co­lère. Il annonce que, pour la troi­sième fois en trois jours, un préve­nu détenu a été victime, le matin même, de coups portés par ses gar­diens. «Mourad Tacine, ils l’ont massacré à Fresnes et il est au mitard. A quoi vous jouez ? Vous voulez faire comme avec les martyrs chré­tiens, nous mettre dans l’arène avec les lions?» Mohamed Chalabi s’adresse ensuite au substitut Ber­nard Fos. « Vous êtes le représentant du ministère public, c’est vous qui ac­cusez et vous n’avez aucune question à nous poser! Vous nous parlez de justice mais on a déjà casqué de toute façon. Moi, ça fait bientôt quatre ans que je suis à l’isolement Alors, vous nous reprochez quoi ? Des détentions d’armes ? »

« RELÂCHEZ-LES »

Pointant les scellés, il poursuit: «Toutes ces armes, elles sont à moi, je prends tout pour moi. Les autres prévenus détenus n’ont rien à voir avec ça, relachez-les. Ceux qui sont libres, laissez-les rentrer chez eux».

Le président l’interrompt et de­mande à la greffière de noter la déclaration du prévenu. Mais Moha­med Chalabi continue. «Qu’on arrête de dépenser l’argent du contri­buable. Et ces vitres blindées… Qui va me tirer dessus ? La sécurité mili­taire ? Quand mon jour viendra, il viendra. » Pendant près d’une de­mi-heure, Mohamed Chalabi mo­nopolise la parole. Avec son phy­sique de moudjahidin afghan et son accent de titi parisien, il harangue ses coprévenus, prend le public à témoin, dénonce les conditions du procès et toute l’instruction qui l’a précédé. « Quand j’ai rencontré ce bouffon de Bruguière, cette truffe, il m’appelait « Momo le caïd ». Qu’est- ce que ça veut dire ça ? »

C’est l’un des rares moments où le président Bruno Steinmann intervient pour demander au prévenu de mesurer ses propos, mais il en faut plus pour l’arrêter. « On se sert de vous pour nous condamner et on va tous partir. Les avocats, qu’ils fassent ce qu’ils veulent, de toute fa­çon, on n’a jamais cru en eux. Il n’y en a pas un qui a trouvé une irrégu­larité, une faute de procédure dans ce dossier de plusieurs dizaines de milliers de pages. Qui s’est occupé de nous?» Joignant le geste à la pa­role, le prévenu se lève et s’apprête à quitter le box. Les gardiens l’en­tourent Le président lui demande de se rasseoir. Mohamed Chalabi crie à ses coprévenus «debout» en arabe. Tous se lèvent Les gardiens leur passent les menottes. Un mou­vement s’esquisse vers la sortie. Le tribunal est médusé.

Quelques instants plus tard, cha­cun retrouve sa place dans le box mais Mohamed Chalabi ne dé­sarme pas. « Nous sommes des ado­rateurs de Dieu, nous ne sommes soumis qu’à lui. On va partir et on ne vient plus. » « Le tribunal a entendu votre déclaration, asseyez-vous s’il vous plaît », répond le président  Steinmann. « Laissez-nous partir et  je jure devant Dieu qu’il n’y aura pas  d’incidents », répond le prévenu.

« Je m’en vais moi aussi », s’exclame  Ahmed Djellal. Un prévenu, désireux lui aussi de quitter le procès, en vient aux mains avec ses gardiens. « Nous sommes solidaires »,  lance une voix dans l’autre box. Le président suspend l’audience.

Au retour du tribunal, le prétoire est pratiquement vide : pas un seul avocat et un seul prévenu détenu dans un box. Quinze prévenus I libres sont dans la salle. Bruno Steinmann, imperturbable en appa­rence, commence l’examen des i faits reprochés à Ahmed Djellal et à trois coprévenus, mais en l’absence des personnes concernées et de leurs avocats, l’examen se résume à I la lecture de leurs curriculum vitae I et des faits retenus contre eux. Les avocats qui ont quitté le procès ont déposé, jeudi 3 septembre, une re­quête en suspicion légitime contre le tribunal auprès de la Cour de cassation.

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Grand flop d’un « grand procès »

logo france soir Arnaud Levy, 05/09/1998

RÉSEAU CHALABI • Avocats déserteurs, prévenus boudeurs

IMG_2039Ce qui devait être le procès exemplaire d“un réseau terroriste reliant islamisme et banditisme en France va-t-il tourner au procès de la justice antiterroriste? Déserté par les avocats puis par les prévenus, rythmé par les incidents, plongé dans la confusion, mais poursuivi mordicus dans un gymnase dont le vide souligne la démesure de l’entreprise, au terme d’une semaine d’audience le procès Chalabi a versé dans l’irréel.

Ce qui est aujourd’hui en cause, du moins aux yeux, de la défense, c’est moins la symbolique et l’éventuel inconfort du lieu retenu pour les débats, un gymnase réaménagé à grands frais en face de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis), que la nature même du dossier qui a imposé ce « procès de masse » (74 volumes et 35 000 côtes pour 138 prévenus). Bref tout ce qu’on a appelé la «méthode Bruguière», celle, en réalité, du pool d*instruction qu’il chapeaute et de la 14ème section antiterroriste. Faite d’une « logique de rafle » pour Me Dominique Tricaud, de « procédures d’amalgame » selon Me Irène Terel. « Il y a 3 réseaux distincts avec un maximum de 20 personnes impliquées à des degrés très divers dans chacun » avance le premier Le résultat, estime la seconde, rend « impossible tout examen individualisé des charges par le tribunal qui n’est pas en mesure de rendre une justice sereine. »

Boycott

Le boycott concerté des avocats n’arrange certes rien. « Mais la moins mauvaise défense consiste à dire quand il n’y a pas de défense possible. 70 avocats unanimes dans une telle affaire c’est exceptionnel et significatif », résume M* Tricaud. Jusqu’à quand ? » Aucune position n’est figée observe-t-on prudemment. La défense, qui réclame un renvoi du procès et une division du dossier, a déjà déposé une requête en suspicion légitime contre le tribunal correctionnel et devait déposer un recours devant la Cour européenne des Droits de l’homme. Lundi soir les avocats réexamineront la situation. Mais d’ici là, la tactique du banc vide risquant de trouver rapidement ses limites, ils espèrent que le débat aura quitté le domaine juridique pour le terrain politique.

La Ligue des droits de l’homme est déjà montée au créneau. Jeudi, l’Ordre des avocats parisiens avait renouvelé sa dénonciation d’un procès « incompatible avec les droits de la défense ». Dans un autre registre, au crédit limité, la Fraternité algérienne en France (proche de l’ex-Front islamique du salut) a également profité de la tournure du procès pour en demander le renvoi. Pour relayer leurs protestations, les avocats s’activaient hier à élaborer pour le week-end un appel de « personnalités ». En comptant sur le soutien conjoint des « démocrates », de politiques éventuellement revanchards, voire de la neutralité bienveillante de la Chancellerie. « Car ce procès, selon Me Françoise Cotta est l’aboutissement d’une tentative politique mise en place en 1986 quand on a institué une 14ème section antiterroriste qui vise à mettre sous coupe l’institution judiciaire. Aux politiques de dire si elle a sa place dans un état républicain »,

Reste qu’en dépit d’une hypothétique « politisation » du dossier (qui a mis au jour des structures organisées de trafic d’armes, de matériel médical et de faux papiers), seul le tribunal présidé par Bruno Steinmann pourrait décider d’un renvoi. Plus qu’improbable au regard de sa conduite des débats. « Cela voudrait dire que les procès sont laissés à la discrétion des parties », estime un magistrat au Parquet de Paris où les critiques de la défense sont jugées au mieux « pas sérieuse », au pire « irresponsables ».

Délais

« C’est absurde de dire que c’est un procès digne d’un pays totalitaire. Ce n’est pas un tribunal d’exception, et les audiences se déroulent selon les règles du code de procédure pénale ». Un temps envisagé le « découpage » du dossier a été rejeté. « Car il y a bien un réseau unique avec des strates distinctes et des responsabilités diverses, des « têtes » aux « fourmis ». Entre plusieurs maux nous avons choisi le moindre. Il fallait juger dans des délais raisonnables et conserver sa cohérence au dossier ». Le problème est qu’à ce jour toute « cohérence » a déserté le gymnase de Fleury.

Requête en suspicion légitime contre le tribunal

Dans un gymnase déserté, pratiquement sans avocats ni prévenus, le procès Chalabi a tourné au procès-fantôme, hier une situation qui n’est pas illégale, à laquelle le tribunal ne peut plus rien, mais qui donne une image irréaliste de la justice française, comme l’a souligné l’un des avocats qui prônent le boycott de ce procès et son renvoi.

En fin de matinée Mes Nathalie Jaudel et Mathilde Jouanneay ont, distribué un communiqué des défenseurs, critiquant à nouveau « un procès de masse et d’amalgame artificiellement construit dans le seul but de mettre en scène une justice spectacle ».

Si spectacle il y avait, il a été hier singulièrement limité. L’audience de l’après-midi n’a cette fois duré qu’une heure, consacrée à la lecture par le président Bruno Steinmann des faits reprochés à trois personnes, qui ne se sont pas défendues : pour la simple raison qu’elles n’étaient pas dans le box, ayant refusé de venir.

Il n’y avait que trois prévenus détenus – et neuf gendarmes pour les encadrer — ainsi que quelques dizaines de prévenus libres dans la salle, disséminés par petits groupes d’amis, dont certains hésitaient entre le rire et les bâillements. L’un des trois détenus (sur 27) présents, Ismaïl Debboub, a pour sa part repris la parole pour se démarquer du réseau Chalabi.

Les avocats de la moitié environ des prévenus ont carrément demandé à la Cour de cassation d’examiner dès la semaine prochaine une requête en suspicion légitime contre le tribunal afin d’obtenir la suspension du procès. Les juristes relèvent qu’un tel cas n’a jamais été évoqué devant la Cour de cassation et doutent du succès de la démarche.

La situation est donc étrange, mais, juridiquement légale. Dès lors que le président Steinmann a décidé de ne pas suspendre le procès, celui-ci doit aller à son terme, quelle que soit l’attitude des prévenus et de leurs défenseurs. Le tribunal pourrait encore pendant quelques audiences n’évoquer que quelques dossiers par jour, le rythme pouvant devenir plus soutenu si les prévenus ne se décident pas à revenir. D’autre part, ceux qui se représenteraient devraient pouvoir s’exprimer, même si le tribunal a déjà traité leur cas en leur absence. Le procès reprendra lundi à 13 h 30.

Justice à l’abattage

index édito , 03/09/1998

Le procès du réseau Chalabi, qui s’est ouvert mardi 1e septembre à Fleury-Mérogis, constitue un précédent dangereux. La justice y tourne le dos aux principes qui, en théorie, l’autorisent à être rendue « au nom du peuple français ». Durant des audiences prévues pour une durée d’au moins deux mois, cent trente-huit prévenus dont vingt-sept comparaissent détenus seront parqués dans un gymnase de l’administration pénitentiaire, jugés à l’abattage non loin de l’enceinte d’une maison d’arrêt.

Comment juger sereinement quand la mise en scène judi­ciaire, dès le départ, vaut accusa­tion? Car, si elle est exception­nelle, hors du droit commun, sans précédent connu, c’est donc bien que l’on tient pour acquis que les prévenus sont eux aussi exceptionnels, forcément liés les uns aux autres, imbriqués, complices, formant un « réseau » qui ne pourrait être jugé qu’en vrac, sans faire de détail. Com­ment juger tranquillement, dis­tinguer les responsabilités, déli­miter les degrés d’implication, quand le dossier d’instruction est un monstre procédural, comptant soixante-quatorze tomes et plus de 30 000 cotes ? Comment res­pecter la présomption d’inno­cence quand certains prévenus sont en détention provisoire – donc sans que leur culpabilité ait été établie par un tribunal – de­puis près de quatre ans ?

Cette parodie de justice, concé­dée par les plus hautes autorités judiciaires du pays, est l’aboutis­sement d’un système discutable, à l’œuvre depuis plus de dix ans.

Après la vague d’attentats de 1986, une loi a centralisé les dos­siers terroristes au sein de la 14e section du parquet de Paris et les a confiés à une escouade de juges antiterroristes. Il fallait « terroriser les terroristes », n’hési­tait pas à proclamer le discours officiel, et pour cela, la fin allait justifier les moyens. Depuis,-aussi bien sur le front islamiste qu’en Corse ou au Pays Basque, des juges aux pouvoirs considérables traquent l’ennemi, n’hésitant pas à recourir à la tactique du ratis­sage au plus large, fût-ce au prix de dizaines de mises en détention provisoire injustifiées.

Une telle centralisation du sys­tème judiciaire antiterroriste n’est pas critiquable en soi et elle ne manque pas d’efficacité. Mais à condition de s’en tenir au droit et de s’assurer que pourront être établies, en bonne justice, les res­ponsabilités individuelles des personnes poursuivies. A l’évi­dence, tel n’est pas le cas du pro­cès du réseau Chalabi. Il est im­possible de juger conjointement autant de personnes, au cours d’un même procès. Il ne sera guère possible de les entendre, de leur donner le temps de s’expli­quer, de se défendre. Une telle mise en scène n’a aucun sens, si­non celui de vouloir, à tout prix, donner l’illusion à l’opinion pu­blique que la lutte antiterroriste « à la française » porte ses fruits.

Un « petit peuple », composé pour l’essentiel de travailleurs immigrés, sera donc ainsi mal ju­gé. Pendant ce temps, les pour­fendeurs de la justice française restent silencieux, décidément plus prompts à s’indigner des mises en examen des puissants de notre monde.

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La plupart des avocats du réseau Chalabi ont quitté le gymnase qui sert de salle d’audience

index Acacio Pereira, 03/09/1998

Dénonçant un « procès de masse », ils menacent de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Le procès des 138 prévenus du «réseau Chalabi», un réseau de soutien logistique aux maquis a débuté mardi 1er septembre dans une ambiance extrêmement chaotique. Dénonçant une « justice-spectacle », la plupart des avocats ont quitté le gymnase de Fleury-Mérogis, où ont lieu les audiences. Ils menacent de saisir la Cour européenne des droits de l’homme algériens (lire aussi notre éditorial page 14).

LA PREMIÈRE JOURNÉE d’audience du procès de cent trente-huit membres présumés d’un réseau de soutien logistique aux maquis islamistes algériens s’est déroulée dans une ambiance quelque peu pagailleuse, mardi 1e septembre. Comme si prévenus et avocats s’étaient passé le mot pour mettre leurs comportements en adéquation avec l’image qu’ils ont de l’endroit choisi pour la tenue de ce procès : le gymnase de l’École nationale d’administration pénitentiaire de Fleury-Mérogis, à quelques mètres de la maison d’arrêt. Un lieu « symbole » qu’ils jugent bien peu conforme à l’idée d’une justice sereine et équitable.

Avant l’ouverture des débats, des avocats avaient fait part de leur colère, criant au « procès de masse », dénonçant une « justice d’exception » (Le Monde du 1e septembre). Qu’à cela ne tienne donc : à justice d’exception, audience d’exception, et rien n’a été épargné au président, Bruno Steinmann. Les rites judiciaires, qui, avec le décorum, contribuent à l’image d’une justice solennelle, ont été malmenés. A l’arrivée des juges dans la salle d’audience, des prévenus refusent de se lever, comme le veut pourtant la tradition. Paraissant indifférents aux échanges qui se déroulent, à quelques mètres d’eux, entre les avocats et le tribunal, les prévenus libres discutent, rient parfois, vont et viennent dans le prétoire, font des signes de la main à leurs co-prévenus détenus, assis derrière des box pare-balles.

Certains avocats jouent aux indisciplinés, restant debout quand le président leur demande de s’asseoir sur les chaises réservées. « Trop loin, disent-ils. Trop loin du tribunal, trop loin de nos clients. » Des avocats qui parfois interrompent le président de manière intempestive, jusqu’à ce que celui- ci les rappelle à l’ordre, puisqu’il faut bien rentrer dans le vif du sujet. Ou plutôt commencer l’appel des prévenus. Cette obligation, rapidement expédiée en temps normal, réclame ici près de trois heures. Tour à tour, les prévenus se lèvent, se présentent au tribunal, se voient rappeler les faits qui leur sont reprochés. Certains parfois osent une question, «j’ai un travail, je commence tous les jours à 17 heures, mais je veux assister au procès. Serait-ce possible de quitter l’audience vers 16heures?», demande l’un, «je suis cardiaque, j’habite à 900 kilomètres, je ne peux pas venir tous les jours », indique un autre. Le président Steinmann reste inflexible : « Vous êtes prévenu de certains faits, il faut que vous soyez présent »

Pendant ce temps, la colère des avocats n’est pas retombée. Non, décidément, ils ne veulent pas s’asseoir « au fond de la salle, près du public», et réclament des places proches du prétoire. Ils exigent de pouvoir communiquer avec leurs clients détenus, ce qu’interdisent les vitres pare-balles munies seulement de quelques petits trous. «Comment voulez-vous que l’on ait une discussion confidentielle, interroge Me Nathalie Jodel. Mon client est là, au fond du box, je n’ai pas pu le voir avant je ne peux pas lui parler içi » Le président Steinmann se dit conscient du problème. « J’avais demandé que l’on élargisse les trous, explique-t-il, mais ce n’est pas possible parce que les vitres sont recouvertes d’un revêtement spécial qu’on ne peut percer au risque de briser le verre. » Une solution est finalement trouvée : des chaises vont être ajoutées, et des vitres du box retirées.

Dans la salle, l’ambiance est surchauffée. Les  rayons du soleil traversent le Plexiglas de la toiture et la climatisation, louée spécialement pour le procès, est en panne. La litanie des noms se poursuit malgré tout. Voilà près d’une heure que l’appel a commencé, et le président en est encore à la lettre « C ». « C » comme Chalabi, comme Mohamed Chalabi. C’est lui qui a donné son nom au groupe que doit juger le tribunal. II est présenté par l’accusation comme l’un des principaux instigateurs du réseau. Comme d’autres prévenus détenus, il s’est laissé pousser la barbe en prison. « Vous êtes de nationalité algérienne », demande Bruno Steinmann. «Non, répond Mohamed Chalabi, je suis de nationalité musulmane, je n’ai rien à voir avec la junte militaire. » Le président ne relève pas et passe au suivant.

« TOI, TAIS-TOI, RENTRE CHEZ TOI »

Sur les cent trente-huit prévenus cités à comparaître, quatre sont sous le coup d’un mandat d’arrêt qui n’a pas été exécuté. La quasi¬totalité des prévenus libres sont présents. Quatre des vingt-sept prévenus détenus ont refusé de quitter leur maison d’arrêt respective pour se rendre au procès, notamment un homme très attendu : Mohamed Kerrouche, celui que l’accusation présente comme le chef et l’idéologue du réseau. Par¬mi ceux qui ont accepté de se rendre à l’audience, certains ne veulent pas de défenseur, comme Rachid Merad. Son avocat tente bien une intervention, mais il l’arrête : « Toi, tais-toi, rentre chez toi. » D’autres, au contraire, réclament un avocat commis d’office parce que celui qu’ils avaient choisi n’est pas venu à l’audience. D’autres, enfin, profitant de ne pas avoir reçu leur citation à comparaître, dénient au tribunal le droit de les juger. « J’ai déjà passé deux ans et demi en prison, c’est déjà une condamnation », lance Mustapha Daouadji, surnommé « le docteur », poursuivi notamment pour «recel de docu¬ments administratifs ».

Après une suspension d’audience, Me Jean-Jacques de Felice prend la parole au nom des avocats présents. Évoquant «une mascarade, une imposture, une injustice absolue », il réclame un renvoi pur et simple du procès, où « aucune défense individuelle n’est possible ». «Nous n’accepterons pas de cautionner ce procès, d’être des avocats alibis, taisant, acceptant, car c’est la règle dans les régimes autoritaires. » A peine son intervention terminée, la quasi-totalité des avocats – environ soixante-dix – quittent la salle, suivis d’une centaine de prévenus libres. Le président Steinmann cache sa colère devant ce nouvel accroc à la règle.

Les avocats n’ont attendu ni la réponse de Bernard Fos, le substitut du procureur, ni la décision du tribunal, qui renvoie l’examen de la demande au jugement sur le fond. Le procès devait donc se pour¬suivre, mercredi 2 septembre, sans que l’on sache si le départ des contestataires était définitif ou pas. A l’extérieur du gymnase – salle d’audience, certains d’entre eux annonçaient déjà leur intention de déposer une requête en suspicion légitime contre le tribunal et de saisir la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

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Un réseau islamiste en procès à Fleury-Mérogis.

logo-liberation-311x113   Franck Johannes

Il y avait jusque-là une ambiance bonne enfant, chacun papotait avec son voisin dans un aimable brouhaha. Le président Bruno Steinmann joue certes méticuleusement son rôle, mais dès la première journée, hier, du procès du réseau Chalabi, l’audience lui a échappé. On n’entasse pas sans menus inconvénients cent trente-huit prévenus du plus grand procès islamiste de tous les temps dans un gymnase de Fleury-Mérogis (Essonne). La moitié des prévenus ne se lève pas à l’entrée du tribunal, les avocats rigolent dès que le ministère public ouvre la bouche, et toute la salle applaudit à la première pique de la défense.

Hier soir, une soixantaine d’avocats ont demandé le renvoi sine die du procès, la libération des détenus et la levée des contrôles judiciaires. Puis ils ont quitté la salle avec la centaine de prévenus qui comparaissaient libres. Le procès continue, mais dans des conditions acrobatiques. C’est Me Jean-Jacques de Felice qui a porté le fer, au nom de ses collègues, mais si l’élan était noble, le souffle était court. «Non, non, non, a théâtralement attaqué le vieux routier des droits de l’homme. Jamais! Nous n’accepterons jamais cette mascarade, cette imposture, cette injustice, cette impossibilité de défendre dignement nos clients.» Tous les avocats se sont levés, en cercle autour de lui, avec la moitié de la salle debout, dans un silence religieux: on aurait entendu plaider Me de Felice.

«Les jeux sont faits». Le gymnase de Fleury, d’abord. «Est-ce un stade? Est-ce une prison? C’est une honte, a murmuré l’avocat. Qui est responsable? Pas vous, monsieur le président, qui n’êtes plus rien. L’affaire a déjà été jugée depuis la rafle de 1994, depuis le premier jour, le premier mois, la première année. Les jeux sont faits. Mais nous n’accepterons pas de cautionner, d’être des avocats alibis, des avocats taisant, des avocats acceptant». Parce que, pour Me de Felice, c’est comme ça que ça se passe dans les régimes totalitaires. Le vieux monsieur, après quelques apartés émouvants et inaudibles, a conclu sous un tonnerre d’applaudissements et toute la salle a levé le camp.

Convention européenne. En droit, les avocats s’appuient sur des bases fragiles, quoique honorables, et notamment la Convention européenne des droit de l’homme. Elle dispose que «toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial». Pour la défense, un procès équitable ne «saurait se tenir dans un espace non judiciaire», en l’occurrence une salle de gymnastique, «sous la pression d’un dispositif sécuritaire». Le cas avait été prévu, une loi toute particulière a été votée le 29 décembre dernier pour délocaliser à Fleury la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Par ailleurs, les deux mois d’audience constituent, pour les prévenus libres, une «ingérence de l’autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale», de la même convention européenne. Ils dénoncent dans la foulée «les lois d’exception qui gouvernent de multiples violations du droit commun» et les viols répétés des droits de la défense dans cette gigantesque procédure.

Quatre avocats ont fait bande à part. Mes Bruel et Cohen-Saban, qui n’ont rien dit, Me Chevais, qui ne s’associe pas «aux combats d’arrière-garde», et Me Lev Forster, qui assure que ceux qui souhaitent être défendus doivent pouvoir l’être.

Contrôle judiciaire. Après un bref délibéré, le tribunal a décidé de joindre l’incident au fond, c’est-à-dire de décider au moment du jugement s’il renvoie toute l’affaire: une façon courtoise d’envoyer promener les avocats. En attendant, il maintient les détenus en détention, les prévenus sous contrôle judiciaire et attend tout son petit monde cet après-midi à 13 h 30. La riposte est classique, le collectif d’avocats a déjà prévu de déposer aujourd’hui une requête en suspicion légitime, pour que le président soit chassé de l’affaire à son corps défendant.

Conditions pénibles. Le procès, bien sûr, va continuer. Mais dans des conditions qui s’annoncent pénibles.Il a fallu près de trois heures pour faire l’appel des 138 prévenus, il va falloir «trouver un miroitier compétent» pour faire des ouvertures dans les cages vitrées pour que les avocats puissent discuter cinq minutes avec leurs clients, et installer d’autres sièges au fond du tribunal.

Evidemment, les accusés sont un peu remontés. Rachid Merad envoie à son avocate, «rentre chez toi, je t’ai écrit une lettre, tu n’as même pas répondu». Un autre explique au président qu’il a payé son avocat mais qu’il n’est pas là, et qu’il veut qu’on le rembourse. Un prévenu répond au président que ce qu’on lui reproche est «archiment faux», mais c’est Mohamed Chalabi qui cadre le débat quand le président lui demande de confirmer qu’il est de nationalité algérienne. «Musulmane. Je n’ai rien à voir avec la junte algérienne.»

Histoire de corser un peu les débats, Me Eric Plouvier, qui défend des seconds couteaux, a demandé hier au tribunal de faire citer un magistrat et un ancien ministre de l’Intérieur, le juge Bruguière et Charles Pasqua.

Lire aussi page 6 le texte de Jean-Jacques de Felice et de Stéphane Maugendre, avocats.

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Procès Chalabi: pourquoi nous refusons de défendre. Justice d’exception.

logo-liberation-311x113  J.J De Félice et Stéphane Maugendre

Hier a commencé le procès de Chalabi, un simulacre de procès, aboutissement d’une parodie de justice, auquel nous ne voulons apporter aucune caution. Pourquoi refusons-nous d’assister nos clients, alors que notre rôle est d’assurer leur défense? Parce que nous estimons que, si nous apportons notre soutien à ce procès inéquitable dans une affaire particulièrement sensible, nous acceptons qu’une porte s’ouvre. Cette porte, c’est celle des procédures d’exception pour des «sections spéciales» qu’aucun pays démocratique ne pourra envier à la France. En effet, près de 140 personnes vont être jugées ensemble, deux mois durant, à trois pas de la prison de Fleury-Mérogis, dans le gymnase réaménagé des surveillants de l’administration pénitentiaire, en résumé, dans une prison. Au-delà du lieu, symbole indigne d’une justice qui se confond avec celle des stades d’Amérique latine, des camps militaires turcs ou des geôles de la guerre d’Algérie, c’est le nombre des prévenus qui stigmatise une justice collective au cours de laquelle l’individu est écrasé par la nécessité de l’exemplarité.

Rappelons l’histoire de ce dossier: le risque du terrorisme, soutien d’une campagne politique, embrase un ministère de l’Intérieur, qui, à grand renfort de déclarations, annonce l’arrestation collective de terroristes et des prises d’armes, le démantèlement d’un réseau. La nécessité est née de remodeler une section de juges «antiterroristes», qualifiant ainsi non seulement les juges d’instruction d’«anti» n’instruisant plus qu’à charge, mais aussi, derechef, les personnes prises dans leur filet de présumées terroristes. Cela n’étant à l’évidence pas suffisant, le plus représentatif de ces juges était, fait inconnu dans l’histoire de la magistrature, nommé vice-président de tribunal, devenant de ce fait «le plus puissant des plus puissants hommes» de France. La machine ainsi lancée se double d’une «complicité» avec le pouvoir exécutif de notre pays. Mais la perversion du système créé ne s’arrête pas là, puisqu’il a écarté les avocats, ces empêcheurs de tourner en rond. Le discrédit est d’abord jeté sur eux, avant de les noyer dans un dossier de 50 000 pages, qu’ils ne peuvent consulter que par bribes, en fonction du calendrier du juge, sur un minuscule bureau dans un couloir, dont la copie (au cours de l’instruction) n’est établie que trois mois après la demande (à 3 francs la page, soit 150 000 francs pour la totalité du dossier, sauf si l’avocat est commis d’office). On les noie ensuite dans les méandres d’un prétendu réseau, alors que chacun s’accorde à penser que ce dossier est composé de trois dossiers, dont les connexions sont arbitraires. Ils sont ensuite noyés dans un procès-fleuve, auquel ils ne pourront assister en son intégralité.

Le machiavélisme judiciaire ne s’achève point là, puisque pour juger 140 personnes (dont 27 seulement sont détenues) pour des infractions sensibles, il faut un lieu d’exception fixé selon une procédure particulière dans le cadre d’une loi tout aussi exceptionnelle. Alors, pris au piège de cette mécanique, le législateur vote en catimini une loi d’exception l’avant-veille du 1er janvier 1998. Et, comme nous sommes à quelques mois du procès, seul Fleury-Mérogis est disponible. Le tour est joué, la loi est formellement respectée. Formellement, les droits de la défense peuvent être exercés, réellement, ils sont ignorés. Formellement, le juge d’instruction a instruit, réellement, il a accusé. Formellement, le tribunal jugera, réellement, et malgré toute sa volonté, il sera inéquitable. Lorsque les acteurs de la justice, procureur, juge d’instruction, tribunal ne sont pas à leur place, c’est la justice qui est bafouée.

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Les avocats du procès Chalabi contestent le gymnase-prétoire

images fig Alexandrine Bouilhet, 31/08/1998

Ils estiment que la tenue des audiences à Fleury-Mérogis ne permettra pas à la justice d’être impartiale

IMG_2036C’est dans la plus grande  confusion que débutera de­main, dans un gymnase de Fleury-Mérogis (Essonne), le procès fleuve des 138 isla­mistes, membres présumés du réseau des « frères Chalabi ». Une trentaine d’avocats envisagent déjà de ne pas assurer la défense de leurs clients. D’autres pensent demander un renvoi du procès. Les déclara­tions de principe et dépôts de [conclusions vont se multiplier. Le sujet de discorde concerne  toujours le choix du site arrêté par le premier président de la cour d’appel de Paris : un gym­nase de l’École nationale de l’administration pénitentiaire,  transformé, pour l’occasion, en tribunal correctionnel (nos édi­tions du 25 août).

La métamorphose de cette salle de sports en salle d’au­dience ultra-surveillée a coûté 10 millions de francs à la Chancellerie. Le lieu a été choisi en application d’une loi  spécialement votée en dé­cembre dernier, à la demande du ministre de la Justice. Ce texte permet, pour des motifs de sécurité, de tenir les procès à caractère terroriste hors du palais de justice de Paris, tout en restant dans le ressort de la cour d’appel.

« Grand show de la rentrée »

Furieux d’avoir été mis de­vant le fait accompli, les avocats sont entrés en rébellion. Ils critiquent le choix d’un site situé à proximité d’une en­ceinte pénitentiaire, qui reflète, selon eux, les « dérives idéolo­giques » de la justice antiterro­riste, représentée en l’occur­rence par les juges Jean-Louis Bruguière et Gilbert Thiel. « Le problème, ce n’est pas seule­ment le gymnase de Fleury. C’est cette méthode des juges antiterroristes qui décident de réunir quatre dossiers totale­ment Indépendants en un seul. Et on se retrouve avec 138 prévenus », tempête Me Françoise Cotta, qui défend Mohamed Kerouche, chef pré­sumé du réseau.

« Je n’emmènerai jamais ma robe là-bas », prévient Me Mourad Oussedik, avocat désigné par trois prévenus ac­tuellement placés en liberté surveillée. « Mes clients sont avertis. Ils se débrouilleront sans moi, poursuit-il. Je ne participerai pas à ce grand show de la rentrée organisé par la section antiterroriste du Palais de justice de Paris. Si on accepte qu’un tribunal siège dans une enceinte péniten­tiaire, on pérennise cette juri­diction d’exception. »

Cette politique de la chaise vide ne sera pas une attitude majoritaire, mais elle ne man­quera pas de compliquer l’or­ganisation du procès. Plu­sieurs prévenus risquent de se retrouver sans défenseur alors qu’ils risquent dix ans de pri­son. Deux représentants du conseil de l’Ordre, Mes Benoît Chabert et Jean-Paul Lévy, se rendront à la première journée d’audience pour régler les pro­blèmes qui se poseront avec les avocats commis d’office. « Dans ce contexte, plusieurs avocats vont demander le ren­voi du procès et, personnelle­ment, je trouve cela légitime », indique Me Jean-Paul Lévy.

Politique de la chaise vide

Tous les avocats ne sont pas d’accord pour demander un renvoi. « Je comprends bien la protestation de mes confrères, mais la défense n’a pas à être absente. La poli­tique de la chaise vide n’a ja­mais permis une meilleure dé­fense, estime Me Lev Forster. Je ne soutiendrai pas plus une demande de renvoi car mon client est en détention depuis trois ans et je trouverais inac­ceptable qu’il fasse six mois de plus. »

La position des 35 signa­taires de la pétition du mois de juillet refusant de cautionner ce « simulacre de justice » reste également à définir. Une réunion doit se tenir ce soir dans les bureaux de Me Cotta.

« Nous allons nous décider sur les conclusions à déposer, les déclarations que l’on va faire », explique-t-elle. Parmi les signataires, Me William Bourdon a finalement décidé d’assurer la défense de sa cliente, « car elle me demande de le faire. Mais l’impartialité du procès n’est pas garantie et nous allons déposer des conclusions dans ce sens

Bannir la double peine

default 04/06/1998

Lorsqu’il est question de « double peine », les gouvernements passent mais l’attitude reste la même : on ne légifère que dans l’urgence. En avril 1981, pendant la campagne présidentielle et près de Lyon déjà, le père Christian Delorme, le Pasteur Jean Costil et Hamis Boukrouma, lui-même victime, avaient suivi un jeûne de vingt- neuf jours. «L’expulsion de délinquants étran­gers a toujours été prévue dans la loi. Que l’on reconduise un trafiquant de drogue colombien qui serait venu passer quelques mois en France est légitime, reconnaît Christian Delorme, aujour­d’hui membre du Haut Conseil à l’Intégration. Ce qui est en cause, dest lorsque l’on considère que des gens qui ont toute leur vie en France sont des étrangers comme les autres alors qu’ils sont, en quelque sorte, des étrangers compa­triotes».

La spirale répressive en matière de double peine remonte à la fin des années 70, sous le gouvernement de Raymond Barre : la question de l’immigration irrégulière n’est pas encore posée comme un « problème » mais les reconduites à la frontières sont déjà massives et concer­nent alors presque exclusivement les délin­quants étrangers. L’une des dix premières mesures du gouvernement Mauroy marque l’arrêt des expulsions de jeunes de la deuxiè­me génération. Un répit éphémère. La loi Pasqua de 1986 remet en place une logique répressive. La loi Sapin du 31 décembre 1995 ouvre une période plus heureuse. Les catégo­ries protégées d’étrangers non expulsables sont élargies à ceux qui résident habituelle­ment en France depuis l’âge de 10 ans, depuis quinze années, aux parents d’enfants français, aux étrangers mariés avec un Français. Mais la deuxième loi Pasqua, en 1993, permet de contourner cette protection, bafouant la Convention européenne des droits de l’hom­me qui protège le droit de vivre en famille, en autorisant « une expulsion en urgence abso­lue pour atteinte à la sûreté de l’Etat ». Cette notion juridique, aux contours flous, a été maintenue dans la loi Chevènement

« Le nouveau code pénal cautionné par Robert Badinter a aussi élargi en 1994 à plus de deux cents délits les cas où l’on peut recourir à l’inter­diction de territoire français, souligne Maître Stéphane Maugendre (avocat). Ces peines dites complémentaires ont toujours été présentées comme des procédures d’exception. Dans la réalité, elles concernent beaucoup trop de monde ». Sept cents dossiers urgents selon Christian Delorme, près de vingt-mille non résolus selon l’associa­tion Jeunes arabes de Lyon et banlieue (Jalb) qui accueillait dans ses locaux les grévistes. Car entre les arrêtés ministériels d’expulsion (déci­sion administrative) et les interdictions du ter­ritoire national (décision judiciaire), une « double- peine » demeure souvent un fardeau que l’on peut traîner toute sa vie. Les recours sont longs et non suspensifs. L’assignation à résidence que l’administration accorde parfois pour éviter une expulsion, c’est-à-dire l’obligation de demeurer dans le département de son domicile souvent sans avoir le droit de travailler, peut s’éterniser. « La  plupart des expulsés revien­nent en France, leur véri­table pays, et vivent ensui­te dans la clandestinité », déplore Djida Tazdaït, pré­sidente des Jalb et ancienne député européenne. La  double peine est un appel d’air à tous les mondes parallèles. Elle dégrade la situation des banlieues et obscurcit leur ave­nir. Elizabeth Cuigou vient de promettre une com­mission interministérielle et va envoyer une cir­culaire au Parquet pour qu’ils tiennent vérita­blement compte des attaches familiales. Mais il faut maintenir la pression ».

Dans les locaux parisiens du Comité contre la double peine, créé il y a 18 ans, on n’at­tend plus grand-chose des tables rondes avec les ministères. Mariée à un « double-peine », Fatia Damiche a appris à se battre et à connaître le droit pour aider tous ceux que la justice et l’administration rejettent * En aucu­ne manière on ne légitime l’acte délictueux, je suis mère et grand-mère, souligne-t-elle. Mais les pouvoirs publics devront comprendre que la délinquance des « double-peine » est made in France, apprise ici à l’école de la rue et de la misère ». Sur son bureau, elle montre les lettres de détenus qui craignent une reconduite à la frontière. « La prison, est une horreur, explique-t-elle. Mais au moins, à travers les barreaux, on peut toucher et embrasser l’être qui vous est cher. Tout vaut mieux que le bannissement.

Sans-papiers : des associations protestent contre les déclarations de M. Chevènement

index  Ariane Chemin,  03/04/1998

Le ministre de l’intérieur critique «les petits groupes d’extrême gauche»

LES PROPOS tenus par le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, sur les personnes qui se sont opposées, le 2 mars, à Roissy, à l’expulsion de seize sans-papiers africains pour Bamako et Cotonou, ont provoqué, mercredi 2 avril, de vives réactions d’une partie de la gauche politique, syndicale et associative. Les Verts ont décidé de « parrainer » cinq cents sans-papiers, samedi, lors de leur conseil national.

Dans L’Humanité du 2 avril, Aline Pailler, député apparentée communiste au Parle­ment européen, se dit «scandali­sée».

La colère est montée dans la journée alors que M. Chevènement affinait ses accusations de la veille. A l’issue du conseil des ministres, il a d’abord dénoncé «l’intervention de petits groupes d’extrême gauche, souvent d’ailleurs instrumentés par des formations étrangères». Puis, devant le Sénat, le ministre de l’intérieur a expliqué que « la myo­pie de ceux qui soutiennent de tels comportements (…)fait le lit de l’extrême droite ». « fl est facile de faire appel à la sensibilité », a pour­suivi le ministre. «On a parfaite­ment le droit d’être trotskiste mais non de bafouer la loi ni d’inciter à la rébellion », a-t-il ajouté.

Chevènement a indiqué que « toutes les mesures » étaient prises «pour identifier les fauteurs de troubles». Soulignant que les « délits » ont été commis non seu­lement par «les distributeurs de tracts, mais par un certain nombre de passagers qui se sont interposés », M. Chevènement a aussi déclaré « possible » l’inscription de ces personnes au fichier de l’espace Schengen et leur interdiction de séjour dans ses pays membres. «Il y a beaucoup de moyens qui nous permettent de réagir, nous les étu­dions de manière détaillée», a-t-il menacé.

« LOGIQUE DE SUSPICION »

Les seize sans-papiers qui ont comparu, lundi 30 mars, devant le tribunal correctionnel de Bobigny, pour refus d’embarquement, ont été remis en liberté, après que leurs avocats eurent souligné qu’ils n’avaient pas refusé d’embarquer. Mardi, les expulsions se sont pour­suivies. Dans L’Humanité du 2 avril, Francine Bajande, photo­graphe du quotidien communiste, rapporte que «quelques militants (…) intervenaient auprès des passa­gers, sans distribuer de tracts» quand des « CRS et des policiers des renseignements généraux» ont arrêté vingt-six personnes, des militants associatifs, deux photo­graphes, et elle-même.

« Vous savez très bien que vous avez été arrêtée comme sympathi­sante », a-t-on répondu à Mme Bajande, titulaire d’une carte de presse, qui, retenue pendant trois heures à la direction du contrôle de l’immigration pour trouble à l’ordre public, demandait à exercer ses fonctions. Pierre Zarka, directeur du journal, a adressé une lettre de protestation à M. Chevènement Alain Krivine, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (troskiste), estime, mercredi, dans un communiqué, que « Jean-Pierre Chevènement perd les pédales »;

« la LCR (…) ne s’arrêtera pas devant les menaces d’un ministre qui oublie qui l’a élu ». Le député André Gérin, porte-parole du groupe communiste sur le projet de loi sur l’immigration, remarque que « l’on est toujours dans la logique de suspicion, de défiance, de répression et loin de l’abrogation des lois Pasqua-Debré ».

La fédération SUD-PTT a écrit au ministre « pour lui faire part de son indignation »; la CGT rappelle «les valeurs fondamentales (…) qui ont toujours fait l’honneur de la France ». L’association Droits devant ! ! s’insurge contre la « nou­velle facette de la politique d’immi­gration » de M. Chevènement. Enfin, la Coordination nationale des sans-papiers estime que « l’inquiétude qui se répand parmi les sans-papiers à l’approche du 30 avril -fin de l’opération de régu­larisation – ne saurait être calmée par les coups de matraque ».

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