Argenteuil, février 2015. Luc Decaster, cinéaste, a réalisé le film « Qui a tué Ali Ziri ? ». Pour finaliser ce documentaire, il avait lancé en février dernier une collecte participative sur le site Kisskissbankbank. Au total, 17 000 € avaient été donnés. (LP/M.G.)
Deux corps se dessinent. L’un de face, l’autre de dos. Dessus des tâches : ce sont des hématomes. Entre les deux silhouettes se pose la question, en rouge et lettres capitales : « Qui a tué Ali Ziri ? » L’affiche du film de Luc Decaster, réalisateur habitant Argenteuil interpelle.
Ce mercredi, ce long-métrage, financé en partie par une collecte participative et tourné pendant cinq ans, sort en salles. D’abord à Paris, à l’espace Saint-Michel, puis en province*.
Tout au long de ce film de 90 minutes, produit par Zeugma films, le spectateur est plongé dans l’affaire Ziri. Du nom de ce retraité algérien, mort le 11 juin 2009, deux jours après son arrestation mouvementée dans le centre-ville d’Argenteuil. Après un malaise au commissariat, il est emmené à l’hôpital où il s’éteint. Le collectif Vérité et justice pour Ali Ziri se crée. C’est là que commence le film de Luc Decaster.
Ici, à Argenteuil, l’affaire est connue. Elle est suivie depuis bientôt sept ans. Mais pour le réalisateur engagé, il fallait aller plus loin. « Je suis très content que ce film tourne dans des salles de province. Les gens vont pouvoir s’interroger sur ce qui s’est passé dans cette histoire, et dans d’autres… »
Caméra à l’épaule, le réalisateur capture des moments de vie. Les scènes se déroulent au marché, à la gare, dans les foyers Adoma où Ali Ziri vivait. Mais aussi au palais de justice, dans les locaux du collectif. Les visages sont souvent graves, en colère face aux décisions de justice accueillies sans filtre. Les réflexions se construisent tout au long du documentaire. « Je laisse la place à la parole », insiste-t-il.
Manifestation pour Ali Ziri organisée en 2009. (LP/D.P.)
Est-ce un film anti-police ? « Non. C’est un documentaire sur les violences policières. » Incontestablement, c’est le regard de Luc Decaster, « fils de résistants pour qui la liberté d’égalitéest importante », qui transparaît. Pas étonnant, donc, que ce long-métrage montre « la vie d’une banlieue ordinaire ». « On fait souvent l’apologie des grands. Moi, je voulais montrer que des gens humbles se mobilisent, tiennent parole… » Le « combat » dure depuis bientôt sept ans pour le collectif. Et, il n’est pas prêt de s’arrêter. L’avocat de la famille Ziri vient de saisir, pour la deuxième fois, la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Depuis le début de cette affaire, les policiers eux aussi soutiennent leur collègue. « On n’a pas changé. Les policiers d’Argenteuil n’y sont pour rien dans la mort d’Ali Ziri, insiste ce mardi, Ludovic Collignon, du syndicat Alliance. Ce qui s’est passé est dramatique. Je comprends la famille Ziri. » Aujourd’hui, les policiers veulent « tourner la page ». « Ça a été difficile pour les collègues de ce dossier. La justice a tranché. » Le non-lieu prononcé en 2012 a été confirmé par deux fois. Si l’occasion se présente, le syndicaliste « ira voir le film. Ça pourrait être intéressant, après, je ne suis pas sûr que ce soit objectif. »
L’équipe du film espère une diffusion qui soit la plus large possible. « Certains cinémas ont peur de perdre leur subvention municipale en le programmant », confie toutefois Luc Decaster. Le principal, pour lui, reste que ce film existe.
* Argenteuil, samedi, 20 h 30,16, rue Grégoire Colas. Le film sera aussi projeté à Toulouse, Nantes, Bordeaux, Rouen, Lille, Clermont-Ferrand, Montpellier…
Chronologie
9 juin 2009 : Ali Ziri, 69 ans, est interpellé par la police après un contrôle routier à Argenteuil.
11 juin 2009 : L’homme décède à l’hôpital. Le collectif Vérité et justice pour Ali Ziri se crée. La première autopsie conclut à une « fragilité cardiaque » et confirme la « forte alcoolémie » du sexagénaire. Une contre-expertise révèle finalement la présence de 27 « hématomes de 12 à 17 cm » sur le corps d’Ali Ziri.
Octobre 2012 : le juge d’instruction de Pontoise rend une ordonnance de non-lieu à l’encontre des policiers mis en cause.
Février 2013 : la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles confirme la décision de Pontoise. Stéphane Maugendre, avocat de la famille Ziri, est mandaté pour se pourvoir en cassation.
Décembre 2014 : la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes (Ille-et-Vilaine) confirme le non-lieu.
Octobre 2015 : Stéphane Maugendre a saisi pour la deuxième fois la Cour de cassation. « Si nous n’obtenons satisfaction, nous irons à la Cour européenne des droits de l’Homme », indique le conseil.