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Zones de transit: l’État condamné à payer des dommages et intérêts.

logo-liberation-311x113 Marie-Laure Colson, 26/03/1992

Le tribunal de grande instance de Paris a estimé qu ’en retenant six étrangers, cinq Haïtiens et une Zaïroise, à l’hôtel Arcade de Roissy, le ministère de l’Intérieur avait affecté leur liberté individuelle.

Devant le Parlement ou le tribunal, Philippe Marchand a décidément bien du mal à faire valoir sa conception de la zone de transit. Alors que le ministre de l’Intérieur s’apprête à présenter un nouveau projet de loi —le précédent ayant été rejeté par le Conseil constitutionnel — définissant les conditions sous lesquelles certains étrangers arrivant par avion pourraient être retenus à proximité des aéroports, le tribunal de grande instance de Paris (TGI) vient de condamner l’État français à verser un total de 33000 francs de dommages et intérêts à six étrangers qui avaient fait l’expérience, en novembre 1991, de ce qui n’est pour l’instant qu’une pratique administrative.

La décision rendue par la présidente du TGI, Jacqueline Cochard est exemplaire en ce qu’elle juge pour la première fois sur le fond, au travers de ce procès, d’une question difficile: le traitement des quelque 10 000 voyageurs bloqués chaque année aux frontières aériennes, soit qu’ils ne disposent pas de papiers en règle, soit que la police de l’air et des frontières juge qu’ils cherchent à détourner la procédure de la demande d’asile. En attendant que chaque dossier soit étudié et que le ministère de l’Intérieur décide d’autoriser ou non l’entrée sur le territoire, les étrangers sont actuellement retenus dans un hôtel à proximité de l’aéroport d’arrivée. Les six étrangers dont l’affaire était jugée hier, cinq Haïtiens et une Zaïroise, ont ainsi passé plusieurs jours, voire plusieurs semaines, à l’hôtel Arcade de Roissy, considéré pour l’occasion comme zone de transit. Considérant qu’il s’agissait d’une séquestration arbitraire, ils ont, sur les conseils de leurs avocats et du Gisti, une association de défense des droits des étrangers, assigné le ministre de l’Intérieur pour voie de fait. A noter en passant que sur ces six demandeurs d’asile, à qui l’on a commencé par refuser l’entrée en France, trois ont été depuis officiellement reconnus comme réfugiés politiques.

Le ministre n’est certes pas directement condamné, la plainte à son encontre ayant été jugée irrecevable. C’est l’agent judiciaire du Trésor, l’agent payeur de l’État, qui assurera la réparation financière de l’injustice faite aux plaignants. Car injustice il y a, et, le tribunal est clair sur ce point, elle est de la responsabilité du ministre de l’Intérieur : s’il est de son pouvoir I de refuser l’entrée sur le territoire, écrit Jacqueline Cochard pour motiver son jugement, ces étrangers ont été retenus hors des conditions définies par la loi. pour une durée indéterminée, avec pour seuls droits « ceux qui leur sont octroyés, à sa discrétion, par l’autorité administrative ».

La présidente rappelle, non sans une certaine malice, que le ministre lui-même avait jugé, dans une note relative à la nécessité d’instituer une zone de transit, que les conditions y sont essentiellement «précaires et incertaines». Le tribunal pose un premier principe : « En l’état, cette zone qui constitue une fiction juridique ne saurait être soustraite aux principes fondamentaux de la liberté individuelle. »

Reprenant le descriptif des avocats de l’accusation, le tribunal a jugé que retenir des étrangers dans des chambres « dont les fenêtres sont condamnées », avec l’interdiction de quitter le premier étage de l’hôtel Arcade dont le couloir est fermé par une porte verrouillée et «gardée par la police qui empêche toute entrée ou sortie non autorisée par l’administration», constituait bien une voie de fait. Cette rétention s’exerce « sans le moindre contrôle judiciaire » et «a pour conséquence d’affecter la liberté individuelle de la personne qui en fait l’objet».

Cette liberté, inscrite dans la Constitution, ne peut être entravée qu’à titre exceptionnel, rappelle le juge, qui renvoie le ministre à l’ordonnance de 1945 sur l’entrée et le séjour des étrangers: l’intervention du président du TGI est obligatoire pour autoriser la prolongation d’une rétention au-delà de vingt-quatre heures. Ce qui n’est pas le cas actuellement, le ministre de l’Intérieur arguant qu’il n’y a pas rétention puisque les étrangers en zone de transit sont libres de reprendre l’avion… Se réservant le droit de faire appel, Philippe Marchand a estimé hier que ce jugement venait justifier «a posteriori» son «projet de légiférer sur la zone de transit pour mettre fin à cette situation de non-droit ».

Les zones de transit en procès

logo-liberation-311x113 Marie-Laure Colson, 27/02/1992

La Justice examinait hier les plaintes de six étrangers contre le ministère de l’Intérieur. Après le rejet par les Sages de l’amendement Marchand.

L’avocat Christian Bourguet considère ses pieds d’un air perplexe. Il fait un pas en direction de la présidente du tribunal de grande instance de Paris, qui assurait hier l’audience de deux affaires concernant des étrangers retenus par la police de l’air et des frontières à l’hôtel Arcade de Paris: «Je ne comprends pas. Dans ce sens, je suis sur le territoire français… » Ses pieds virevoltent sous la robe…et dans celui-là, je suis en zone internationale. Comment un même territoire peut-il avoir deux statuts différents, selon que l’on en sorte ou que l’on y entre?»

C’est la question de fond de ce procès qui oppose six étrangers, cinq Haïtiens et une Zaïroise, au ministère de l’Intérieur, et Christian Bourguet vient de mimer les deux thèses qui font toute l’ambiguïté du problème. Puisqu’aucun texte ne légalise cette zone et que le Conseil constitutionnel vient tout juste de rejeter l’amendement Marchand, faut-il aujourd’hui s’appuyer sur l’arrêt Eksir rendu en 1984 par le Conseil d’État (la zone de transit n’appartient pas au territoire national) ou sur l’arrêt Youssef rendu en 1987 par la cour de cassation (la zone de transit appartient au territoire national) ?

Bien évidemment, la décision rendue la veille par le Conseil constitutionnel a largement été utilisée par l’avocat de la défense comme par ceux de l’accusation. Me Farthouat, qui représentait le ministère de l’Intérieur, s’est dit « singulièrement conforté » par le texte des Sages, qui rappelle que l’État est souverain pour apprécier le droit d’entrée des étrangers sur son territoire. Il a fait valoir que l’hôtel Arcade n’était certes pas «le paradis», mais que c’était toujours mieux qu’un centre de rétention, ce que souligne d’ailleurs le Conseil constitutionnel.

Mais mardi, les Sages ont également renvoyé le ministère de l’Intérieur l’article 66 de la Constitution, qui garantit les libertés individuelles. Or, il existe des textes (articles 5 et 35bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 conformes à ce principe, dont les avocats de l’accusation se demandent pourquoi on rechigne tant à les utiliser. L’un d’entre eux, Sylvia Lausinotte a rappelé que ces mesures contenues dans l’article 35bis avaient été prises à la suite de l’émotion soulevé par la découverte du centre de détention clandestin d’Arenc, près de Marseille, et a fait le parallèle avec l’hôtel Arcade. L’accusation a d’ailleurs conseillé à la présidente Cochard d’aller vérifier sur les lieux mêmes que le conditions faites aux étrangers a l’hôtel Arcade relevaient tout simplement de la détention.

Pour eux, il y à l’évidence « séquestration arbitraire », donc voie de fait. Mais il y a également violation du droit d’asile. Me Simon Foreman a rappelé à cet égard que la Convention de Genève comme la Convention européenne des droits de l’homme, ratifiées par la France, imposaient aux États signataires de ne pas refouler les demandeurs d’asile vers un pays ils courraient des risques. Ce principe a été bafoué, a-t-il affirme hier, puisque chacun des six plaignants aurait été, sans l’intervention des avocats et celle du Gisti, une association de défense du droit des étrangers, mis dans un avion à destination de Port-au-Prince ou de Kinshasa. L’affaire est d’autant plus grave, souligne-t-il, que depuis lors, deux d’entre eux ont déjà obtenu le statut de réfugié.

Plus largement, c’est donc la pratique du droit d’asile en France qui est mise en cause par l’accusation dans ces deux affaires, et notamment l’importance que prend progressivement le premier « tri » effectué par la police dés qu’un demandeur d’asile met le pied hors de l’avion. Mais quel que soit le jugement que rendront les magistrats le 25 mars prochain, le Conseil constitutionnel a bel et bien confirmé le droit qu’a le ministère de l’Intérieur depuis 1982 de vérifier que les demandes d’asile ne sont « manifestement pat infondées». Un droit qui n’est pat négligeable puisqu’il lui permet de refouler, avant même qu’ils ne déposent leurs dossiers à l’OFPRA, 45 % des demandeurs d’asile.

Des Avocats…..

Accueil, 23/01/1992

Des Avocats parisiens (maîtres Christian Bourguet, Sylvia Laussinotte, Stéphane Maugendre et Simon Foreman) défendront, le 26 février prochain, cinq demandeurs d’asile (quatre Haïtiens et une Zaïroise) qui ont été retenus, pour l’un d’entre eux jusqu’à un mois, en zone de transit au mois de novembre. Ils estiment que l’amendement présenté par le ministre Philippe Marchand, dans la nuit du 19 au 20 novembre, était «destiné à modifier la loi avant que le procès n’ait lieu». Selon ces avocats, l’affaire judiciaire en cours est un prétexte pour justifier la procédure législative expéditive choisie.

L’ « amendement Marchand » à nouveau devant les parlementaires

index  Philippe Bernard, 21/01/1992

Plusieurs affaires judiciaires récentes, opposant en particulier des demandeurs d’asile haïtiens à l’administration française, illustrent l’ambiguïté de la « zone internationale » que le gouvernement souhaite légaliser dans les aéroports parisiens. Cette disposition est prévue dans l’amendement qui doit être examiné, mardi 21 janvier, par la commission mixte paritaire réunissant députés et sénateurs (le Monde du 18 janvier).

M. D., chauffeur de « tap tap», le taxi collectif de Port-au-Prince, ne retournera pas en Haïti. La qualité de réfugié politique lui a été reconnue par la France, le 31 décembre dernier, dans un délai record. Quelques jours après le coup d’État qui a renversé, en septembre dernier, le Père Aristide, le jeune frère de M. D., qui conduit son taxi, est frappé à mort par des «tontons macoutes» qui refusent de le paver.

M. D. ose porter plainte. La même mésaventure lui arrive trois jours plus tard, mais il parvient à s’enfuir. II décide alors de se réfugier en France, d’où des parents lui envoient l’argent du billet. Arrivé à Roissy, le 4 décembre dernier, par un vol de la Swissair, il se voit passer les menottes à sa descente d’avion et est maintenu deux jours durant dans une salle de l’aéroport.

M. D. ne sait toujours pas qui était l’homme – probablement un agent de l’Office de protection des réfugiés, l’OFPRA – qui lui a suggéré de formuler une demande d’asile. Il est finalement reçu par un policier auquel il demande l’asile en France. Il est ensuite conduit à l’hôtel Arcade, dont deux étages, loués à l’année par le ministère de
l’intérieur, sont considérés par la police comme « zone internationale», et où la législation française ne s’applique pas.

«Séquestration arbitraire»

Le prochain avion pour Port-au- Prince quitte Paris quatre jours plus tard, et M. D. n’a toujours pas pu formuler sa demande d’asile sous procès-verbal, seule forme valable, inquiet, il téléphone à sa famille qui prend contact avec un avocat. Ce n’est qu’après une intervention, auprès du cabinet du ministère de l’intérieur, du GISTI, groupe de juristes militants en faveur des immigrés, que le Haïtien finit par être entendu, le 9 décembre, par un agent de la police de l’air et des frontières qui dresse procès-verbal.

Ce document enregistre la demande d’asile cinq jours après l’arrivée de M. D., mais envisage son «réacheminement» par le prochain avion d’Air-France pour Haïti. Le ministère de l’intérieur, après avis favorable du Quai d’Orsay, admet finalement le chauffeur de taxi sur le territoire le 11 décembre. Le lendemain, soit une semaine après son arrivée à Roissy, M. D. sort libre de l’hôtel Arcade.

J. L., un autre Haïtien passé dans la clandestinité après l’arrestation de ses parents, a vécu une aventure comparable à Roissy où il débarque le 6 novembre dernier. La police lui refuse l’entrée sur le territoire et le maintien en «zone internationale» en l’informant qu’il sera mis dans le prochain avion pour Port-au-Prince.

Se croyant en possession de tous les papiers nécessaires pour entrer en France, il n’a pas formulé de demande d’asile. Mais un avocat, M° Christian Bourguet, alerté par sa famille, formalise la demande. L’homme de loi va plus loin : il saisit en référé le tribunal de grande instance de Paris qui, le 22 novembre, rend une ordonnance sans précèdent.

Les juges autorisent J. L. à assigner le ministère de l’intérieur pour «séquestration arbitraire », alors même que le ministère, alarmé par le référé, a fini par l’admettre sur le territoire. L’audience, fixée au 26 février prochain, permettra de statuer sur le cas similaire de quatre autres demandeurs d’asile, trois Haïtiens et une Zaïroise, arrivés à Roissy le 19 novembre, dont les avocats, Mes Maugendre et Foreman, ont également été autorisés à poursuivre le ministère de l’intérieur.

La crainte de jugements défavorables dans de telles affaires est le principal argument avancé par le ministère de l’intérieur pour justifier son empressement à faire adopter l’amendement légalisant la «zone internationale» sous le nom de «zone de transit». En effet, le gouvernement estime qu’une décision de justice condamnant le ministère de l’intérieur sonnerait le glas des contrôles aux frontières. Mais les avocats des demandeurs d’asile affirment que la «zone internationale» n’est qu’une fiction policière. Celle-ci aurait été inventée pour empêcher l’application de la loi française qui permet de placer en rétention un étranger non admis sur le territoire, mais oblige la police à saisir un juge au-delà vingt-quatre heures. La question concerne les 10 000 voyageurs chaque année, sont bloqués à la douane dans les aéroports, faute de papiers en règle.

Moins de I % d’entre eux font l’objet d’une mesure légale de rétention administrative, tandis que d’autres séjournent, plus ou moins longuement, dans la fameuse «zone internationale ». Les demandes d’asile formulées dans les aéroports constituent d’ailleurs une part infime du total de celles qui sont enregistrées sur le territoire (86 pour 50000 demandes en 1991). La majorité des demandeurs à la frontière sont admis sur le territoire, selon les statistiques du ministère de l’intérieur. Celui-ci précise que les soixante demandeurs d’asile haïtiens enregistrés à Roissy depuis le renversement du Père Aristide ont tous été admis sur le territoire. Mais qui sait combien n’ont pu faire authentifier leur demande?

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