Ariane Chemin, 03/04/1998
Le ministre de l’intérieur critique «les petits groupes d’extrême gauche»
LES PROPOS tenus par le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, sur les personnes qui se sont opposées, le 2 mars, à Roissy, à l’expulsion de seize sans-papiers africains pour Bamako et Cotonou, ont provoqué, mercredi 2 avril, de vives réactions d’une partie de la gauche politique, syndicale et associative. Les Verts ont décidé de « parrainer » cinq cents sans-papiers, samedi, lors de leur conseil national.
Dans L’Humanité du 2 avril, Aline Pailler, député apparentée communiste au Parlement européen, se dit «scandalisée».
La colère est montée dans la journée alors que M. Chevènement affinait ses accusations de la veille. A l’issue du conseil des ministres, il a d’abord dénoncé «l’intervention de petits groupes d’extrême gauche, souvent d’ailleurs instrumentés par des formations étrangères». Puis, devant le Sénat, le ministre de l’intérieur a expliqué que « la myopie de ceux qui soutiennent de tels comportements (…)fait le lit de l’extrême droite ». « fl est facile de faire appel à la sensibilité », a poursuivi le ministre. «On a parfaitement le droit d’être trotskiste mais non de bafouer la loi ni d’inciter à la rébellion », a-t-il ajouté.
Chevènement a indiqué que « toutes les mesures » étaient prises «pour identifier les fauteurs de troubles». Soulignant que les « délits » ont été commis non seulement par «les distributeurs de tracts, mais par un certain nombre de passagers qui se sont interposés », M. Chevènement a aussi déclaré « possible » l’inscription de ces personnes au fichier de l’espace Schengen et leur interdiction de séjour dans ses pays membres. «Il y a beaucoup de moyens qui nous permettent de réagir, nous les étudions de manière détaillée», a-t-il menacé.
« LOGIQUE DE SUSPICION »
Les seize sans-papiers qui ont comparu, lundi 30 mars, devant le tribunal correctionnel de Bobigny, pour refus d’embarquement, ont été remis en liberté, après que leurs avocats eurent souligné qu’ils n’avaient pas refusé d’embarquer. Mardi, les expulsions se sont poursuivies. Dans L’Humanité du 2 avril, Francine Bajande, photographe du quotidien communiste, rapporte que «quelques militants (…) intervenaient auprès des passagers, sans distribuer de tracts» quand des « CRS et des policiers des renseignements généraux» ont arrêté vingt-six personnes, des militants associatifs, deux photographes, et elle-même.
« Vous savez très bien que vous avez été arrêtée comme sympathisante », a-t-on répondu à Mme Bajande, titulaire d’une carte de presse, qui, retenue pendant trois heures à la direction du contrôle de l’immigration pour trouble à l’ordre public, demandait à exercer ses fonctions. Pierre Zarka, directeur du journal, a adressé une lettre de protestation à M. Chevènement Alain Krivine, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (troskiste), estime, mercredi, dans un communiqué, que « Jean-Pierre Chevènement perd les pédales »;
« la LCR (…) ne s’arrêtera pas devant les menaces d’un ministre qui oublie qui l’a élu ». Le député André Gérin, porte-parole du groupe communiste sur le projet de loi sur l’immigration, remarque que « l’on est toujours dans la logique de suspicion, de défiance, de répression et loin de l’abrogation des lois Pasqua-Debré ».
La fédération SUD-PTT a écrit au ministre « pour lui faire part de son indignation »; la CGT rappelle «les valeurs fondamentales (…) qui ont toujours fait l’honneur de la France ». L’association Droits devant ! ! s’insurge contre la « nouvelle facette de la politique d’immigration » de M. Chevènement. Enfin, la Coordination nationale des sans-papiers estime que « l’inquiétude qui se répand parmi les sans-papiers à l’approche du 30 avril -fin de l’opération de régularisation – ne saurait être calmée par les coups de matraque ».