Des associations manifesteront demain à Paris contre le délit dit de solidarité qui pénalise ceux qui aident les clandestins. Invité de ce journal, l’avocat Stéphane Maugendre, président d’honneur du Gisti, le Groupement d’information et de soutien des immigrés. ( Stéphane Maugendre définit ce qu’est un « délinquant solidaire », France-Culture, Stanislas Vasak, 08/02/2017).
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Immigration : où en est le « délit de solidarité » ?
Le Monde, Syrine Attia,
Pierre-Alain Mannoni, Cédric Herrou : en une semaine, deux affaires ont rouvert le débat sur l’aide que peuvent porter des particuliers aux migrants.
C’est finalement une relaxe qui a été prononcée, vendredi 6 janvier, à l’égard du professeur du CNRS Pierre-Alain Mannoni. Il était poursuivi pour avoir tenté de transporter trois Erythréennes, de la vallée de Roya à la gare de Nice, afin qu’elles se fassent soigner à Marseille. Le procureur du tribunal correctionnel de Nice avait pourtant requis six mois de prison avec sursis.
Une autre affaire, celle de Cédric Herrou, agriculteur vivant à la frontière franco-italienne et poursuivi pour avoir aidé et hébergé deux cents migrants, connaîtra son verdict le 10 février. Deux cas qui relancent la polémique sur le « délit de solidarité ».
Lire aussi : Le soutien aux migrants devant le tribunal de Nice
Qu’est-ce que le « délit de solidarité » ?
Le « délit de solidarité » n’existe pas en tant que tel, c’est un slogan politique qui résume une situation, sans exister juridiquement à proprement parler. Aucun texte de loi ne mentionne ce terme. Il fait toutefois référence à l’article L 622-1 du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui date de 1945. Il dispose que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France » encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Si ce texte est censé lutter contre les réseaux clandestins de passeurs et de trafic humain, son utilisation contre des bénévoles et des citoyens venant en aide à des migrants lui a valu cette appellation.
L’expression « délit de solidarité » est apparue en 1995, lorsque le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), une association qui « milite pour l’égal accès aux droits et à la citoyenneté sans considération de nationalité et pour la liberté de circulation » a initié un « manifeste des délinquants de la solidarité » à la suite de la multiplication de procès contre des Français ayant aidé des sans-papiers.
Plusieurs mobilisations ultérieures ont permis l’introduction d’un certain nombre d’immunités (immunité familiale, dans le cas d’un lien de parenté ou d’un lien conjugal avec le sans-papiers, avec les lois Toubon du 22 juillet 1996 et Chevènement du 11 mai 1998). Mais ce n’est qu’en 2003, qu’une exception à ce délit a été ajoutée au texte de loi, le « danger actuel ou imminent » pesant sur l’étranger et pouvant justifier de lui venir en aide.
Après l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, et lorsque les associations de sans-papiers ont dénoncé un usage de plus en plus fréquent de cet article contre leurs membres ou d’autres citoyens venant en aide aux migrants, la polémique sur le « délit de solidarité » a été relancée. Au cours de l’année 2009, en seulement trois mois, une quinzaine de responsables de centre Emmaüs avaient été inquiétés par la police. Face à la politique du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, menée par Eric Besson, des milliers de personnes se sont déclarées « délinquants solidaires » et ont appelé à la suppression de ce délit.
Une proposition de loi présentée par le Parti socialiste, en mars 2009, pour dépénaliser toute aide faite à un migrant lorsque la sauvegarde de sa vie ou de son intégrité physique est en jeu, a été rejetée par l’Assemblée nationale. En juillet de la même année, le ministre Eric Besson a tout de même reçu les associations pour des négociations. S’il a refusé de toucher à l’article L 622-1, il a dans une circulaire demandé aux procureurs d’interpréter largement les conditions dans lesquelles le soutien aux immigrés clandestins est justifié, sans interdire toutefois le contrôle d’identité dans les locaux des associations.
Le « délit de solidarité » a-t-il été abrogé par la gauche ?
Après la victoire de François Hollande, en 2012, Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, avait promis qu’il mettrait fin au « délit de solidarité », c’est-à-dire, selon lui, à l’ambiguïté du texte de loi qui sanctionne l’aide désintéressée apportée à des étrangers en situation irrégulière. Il n’y a toutefois pas eu abrogation de la loi au sens où l’entendaient les associations.
La loi du 31 décembre 2012, tout en conservant le fameux article L 622-1, a élargi les clauses d’immunité à ce délit, en établissant une distinction claire entre des réseaux de trafic et les bénévoles et membres des associations, ainsi que les autres citoyens. Le texte précise ainsi qu’aucune poursuite ne peut être engagée si l’acte « n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien tout autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».
Cette réécriture n’a pas convaincu les associations, le président du Gisti évoquant même une « réformette cosmétique pour faire plaisir aux associations » et un texte visant, selon lui, à « noyer le poisson par la formulation ». De plus, le texte évoque l’aide au séjour mais n’évoque pas l’aide à l’entrée ou la circulation au sein du territoire français, ce qui met encore en danger les personnes transportant des migrants. Parler d’une suppression du « délit de solidarité » reste délicat étant donné qu’aucun texte de loi portant ce nom n’existe réellement.
Les derniers procès relevant du « délit de solidarité »
Des cas récents montrent, cependant, que les modifications faites par Manuel Valls n’ont pas empêché la poursuite de bénévoles ayant aidé des migrants. Plus de quatre procès ont eu lieu sous le quinquennat Hollande, démontrant un décalage entre la position du parquet et la volonté affichée par Manuel Valls (qui a déclaré notamment devant la commission du Sénat le 25 juillet 2012 : « Notre loi ne saurait punir ceux qui, en toute bonne foi, veulent tendre une main secourable. »)
En avril 2016, Fernand Bosson, conseiller municipal et ancien maire de la commune d’Onnion (Haute-Savoie), a été jugé par le tribunal correctionnel de Bonneville pour avoir hébergé pendant deux ans une famille kosovare déboutée du droit d’asile. Il a finalement été déclaré coupable mais dispensé de peine – le procureur avait pourtant requis une amende de 1 500 euros.
C’est le 23 novembre 2016, que s’est tenu le procès de Pierre-Alain Mannoni, professeur à l’université de Nice Sophia-Antipolis et chercheur au CNRS. Niçois, il avait transporté trois Erythréennes blessées, d’un camp illégal de migrants dans la vallée de Roya à la gare de Nice, afin qu’elles rejoignent Marseille pour se faire soigner.
Un jugement décisif est également attendu le 10 février 2017 : Cédric Herrou, agriculteur de 37 ans, a été jugé le 4 janvier pour avoir facilité l’entrée sur le territoire national, la circulation et la présence de deux cents étrangers en situation irrégulière, qu’il a hébergés chez lui et dans un camp. Le procureur a requis huit mois de prison avec sursis et une mise à l’épreuve. Habitant de Roya, une zone montagneuse située entre l’Italie et la France, où de nombreux migrants incapables de passer la frontière, restent bloqués, un collectif d’habitants s’est même créé dans la région pour leur venir en aide. Ces épisodes juridiques pourraient encourager le législateur à lever le flou sur les limites du « délit de solidarité ».
L’aide aux migrants : une bonne action à risque
, Éric Joux, 05/01/2017.
Même sans “ délit de solidarité ”, l’aide aux personnes en situation irrégulière reste très encadrée. En témoignent les récents procès visant des bénévoles.
« Notre rôle, c’est d’aider les gens à surmonter les dangers » : en entrant mercredi dans le palais de justice de Nice où il est poursuivi pour avoir aidé des migrants en situation irrégulière (lire ci-dessous), Cédric Herrou, agriculteur dans les Alpes-Maritimes, justifiait son action, au risque d’une condamnation.
Tout comme l’enseignant-chercheur niçois Pierre-Alain Mannoni, qui attend ce vendredi la sentence de son procès où ont été requis six mois de prison avec sursis. Tous deux sont intervenus en faveur de personnes entrées irrégulièrement sur le territoire français depuis la frontière franco-italienne de Vintimille. Mais des procédures à l’encontre des aidants, il y en a eu et il y a actuellement un peu partout en France.
La loi « clandestinise » les aidants
En 2010, dans les Deux-Sèvres, c’est par exemple le prêtre-ouvrier de Cerizay (Deux-Sèvres) Roger Godet, 72 ans à l’époque, qui était mis en garde à vue pour être venu en aide à un sans-papiers. Avant d’écoper d’un rappel à la loi, il s’était enchaîné pour protester, comme bien d’autres, contre la loi L622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) qui sanctionnait ce que les associations ont nommé « le délit de solidarité ».
En décembre 2012, la loi Valls amendait le texte, dépénalisant l’apport « des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes » à la personne étrangère ainsi que « tout autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique » de celle-ci.
Un texte précis, qui ne laisse pas de place pour les autres actions en faveur des migrants. Ainsi en est-il notamment des prises en charge en véhicule. Si la personne est en détresse au bord de la route – mais tout mineur en situation isolée n’est-il pas considéré comme tel ? – pas de problème. En revanche, « on tombe sous le coup de la loi si on emmène » des personnes en situation irrégulière dans sa voiture jusqu’à une gare « pour continuer leur périple », a rappelé Jean-Michel Prêtre, le procureur de Nice qui a requis dans le procès Cédric Herrou. C’est ce qui est reproché aussi à Pierre-Alain Mannoni, interpellé avec trois migrantes érythréennes dans son véhicule. « On peut porter secours, c’est un devoir, mais pas aider au séjour (l’accès au territoire, NDLR) et à la circulation », avait dit le procureur lors du procès, en novembre.
Alors, bien sûr, les peines prononcées ont été jusqu’à présent pour la plupart symboliques. Mais, comme le souligne Stéphane Maugendre, le président du Gitsi, le Groupe d’information et de soutien des immigrés, le traumatisme de la procédure policière et juridique, lui, ne l’est pas.
Sécuriser l’action des milliers de bénévoles qui œuvrent un partout en France, voilà le message que les associations envoient en ce début d’année aux candidats à l’élection présidentielle.
“Le délit existe encore”
Pour Stéphane Maugendre, « le délit de solidarité existe encore », estimant sur le texte actuel « va clandestiniser » l’aide aux migrants par la peur qu’il inspire. Il est vrai que cinq ans de prison et 30.000 € d’amende pour avoir « facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France », c’est beaucoup, même si la sanction est destinée dans l’esprit de la loi à dissuader les passeurs. Pour Mireille Damiano, avocate au barreau de Nice, « le message politique est : attention aux citoyens qui pourraient venir en aide ».
Attention, il faut effectivement faire, et ne pas oublier non plus que l’article L622-4 interdit toute « contrepartie directe ou indirecte ». Même accepter que les migrants accueillis fassent le ménage.
Les demandes d’asile en hausse
Les chiffres de l’immigration en France ne seront officiellement dévoilés que le lundi 16 janvier. Mais Le Figaro a eu accès à des premiers chiffres qui montrent une augmentation du nombre des demandeurs d’asile. Près de 88.000 demandes de statut de réfugié (réexamens compris) auraient été déposées auprès de l’Ofra (Office) l’an passé, contre 80.000 en 2015, soit plus 10 %. La progression entre 2014 et 2015 avait été beaucoup plus importante, avec près de 24 %. Mais compte tenu des clandestins, on estime entre 200.000 et 400.000 le nombre d’étrangers en situation irrégulière ou d’attente en France.
Sur le territoire, l’État a assuré ou contribué à assurer actuellement « plus de 35.000 » places en centres d’accueil pour demandeur d’asile (Cada) et 12.000 en centre d’accueil et d’orientation (CAO), selon la Direction des étrangers en France. Des chiffres qui laissent malheureusement beaucoup de place pour l’indispensable action des bénévoles.
Dans l’Indre, la capacité est actuellement de 218 personnes en Cada et 96 en CAO ; en Loir-et-Cher, près de 320 et une centaine, en Indre-et-Loire, 240 et 150, dans les Deux-Sèvres, 154 et une cinquantaine, dans la Vienne 240 et 90. Plus, dans chaque département, les accueils de mineurs isolés par l’aide sociale à l’enfance.
« Le délit existe encore »
Pour Stéphane Maugendre, « le délit de solidarité existe encore », estimant sur le texte actuel « va clandestiniser » l’aide aux migrants par la peur qu’il inspire. Il est vrai que cinq ans de prison et 30.000 € d’amende pour avoir « facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France », c’est beaucoup, même si la sanction est destinée dans l’esprit de la loi à dissuader les passeurs. Pour Mireille Damiano, avocate au barreau de Nice, « le message politique est : attention aux citoyens qui pourraient venir en aide ».
Attention, il faut effectivement faire, et ne pas oublier non plus que l’article L622-4 interdit toute « contrepartie directe ou indirecte ». Même accepter que les migrants accueillis fassent le ménage.
Jugé pour avoir aidé des réfugiés : « C’est un véritable procès politique »
Huit mois de prison avec sursis ont été requis contre Cédric Herrou, agriculteur de la vallée de la Roya, jugé ce mercredi à Nice pour avoir aidé des réfugiés. L’analyse de l’avocat spécialisé en droit des étrangers et ex-président du Gisti Stéphane Maugendre.
« Si on est obligé de se mettre en infraction pour soutenir les gens, allons-y ! », s’est exclamé Cédric Herrou, ce mercredi 4 janvier.
Comme d’autres habitants de la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, le jeune agriculteur vient en aide aux réfugiés. Déjà inquiété par la justice en août 2015 pour avoir transporté certains d’entre eux – le parquet avait ensuite classé l’affaire sans suite –, il est cette fois poursuivi pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière, et occupation illicite de propriété privée. Huit mois de prison avec sursis ont été requis à son encontre.
Fin novembre, six mois de prison ont été requis, à Nice toujours, à l’encontre d’un enseignant-chercheur poursuivi, lui aussi, pour avoir convoyé des réfugiés venus d’Italie.
Qu’en pense l’avocat spécialisé en droit des étrangers, et ancien président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) Stéphane Maugendre ? « L’Obs » l’a questionné.
Qu’a réellement changé la loi du 31 décembre 2012 en matière d’aide aux étrangers ? Le délit de solidarité n’a-t-il pas été abrogé ?
Le délit de solidarité est extrêmement large. Le fait de donner un euro à quelqu’un faisant une quête pour les sans-papiers a été punissable ! Son abrogation est une vieille histoire. Cela fait des années qu’elle est demandée : sous Chevènement, sous Sarkozy. Sans compter l’affaire Besson, en 2009, quand le ministre avait affirmé que jamais « personne en France n’avait été condamné pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière ». Le Gisti avait démontré que c’était faux. La loi de 2012 est venue juste un peu amoindrir le délit, mais il existe toujours.
Qu’est-ce qui a changé ?
Le fait qu’il soit précisé que l’aide doit être apportée « sans contrepartie directe ou indirecte ». Et elle doit concerner des conseils juridiques, de la restauration, un hébergement, des soins médicaux destinés à assurer des conditions de vie digne et décentes à l’étranger, ou bien tout autre aide visant à préserver sa dignité ou son intégrité physique.
Cela dit, dans une affaire que nous avons suivie à Perpignan, les policiers ont dit à la personne : « Etes-vous sûr que la personne que vous aidez ne vous aide même pas un peu au ménage ? » Ça aurait pu être considéré comme une contrepartie. Donc bon… C’est une « immunité humanitaire » qui ne couvre que le séjour.
Cédric Herrou, lui, est justement poursuivi notamment pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière.
Ce délit a toujours existé et existe toujours. On oublie souvent, par ailleurs, qu’avant d’arriver au procès, la personne poursuivie a d’abord été interpellée, menottée, placée en garde à vue, que des perquisitions ont pu être menées. Bref, tout le processus policier qui est tout de même relativement traumatisant !
L’homme jugé aujourd’hui à Nice est poursuivi pour ces infractions. Mais quand les personnes qui aident ne sont pas poursuivies pour cela, on peut trouver un autre motif. Certaines sont poursuivies, par exemple, pour faux et usages et faux car ils font des attestations d’hébergement pour des personnes en situation irrégulière.
Selon le procureur de Nice, Jean-Michel Prêtre, interrogé par « La Croix« , la démarche de Cédric Herrou ne relève pas de l’humanitaire.
Je ne connais pas le dossier, mais il est poursuivi car il circule avec des réfugiés. Il est en quelque sorte poursuivi comme s’il était un trafiquant.
Quel regard portez-vous sur ce procès ?
Je trouve simplement un peu scandaleux qu’on poursuive cet homme alors qu’il y a de véritables carences autant de l’Etat français que de l’Europe en matière d’accueil des réfugiés. Sans parler des mineurs…
Cédric Herrou insiste notamment sur ce point : les mineurs qui devraient être pris en charge par l’Etat et ne le sont pas.
Il a raison ! C’est comme si on avait bien vite oublié la photo du petit Aylan sur la plage. C’est aussi des gens comme cela qu’il tente de sauver !
La loi est on ne peut plus claire : un enfant est avant tout un enfant, pas un « étranger enfant ».
L’obligation d’un Etat comme la France -les conventions internationales l’obligent également-, est de considérer un mineur avant tout comme tel, indépendamment de sa couleur de peau, sa nationalité, son lieu de naissance… Concernant les mineurs, la carence de l’Etat français est d’autant plus flagrante. On les laisse dans des situations où ils sont véritablement en danger, pas soignés, pas suivis, pas logés.
Que faire ?
Abroger purement, simplement et réellement ce délit de solidarité. L’effet d’annonce de 2012 sur le délit de solidarité quand Manuel Valls était ministre de l’Intérieur est identique à celui sur l’abrogation de la double peine quand Nicolas Sarkozy était au même poste. Ça n’a pas été aboli, ça existe toujours.
Quelle est, le plus souvent, l’issue des procédures ?
Un certain nombre de personnes sont reconnues coupables, dispensées de peine ou condamnées à payer des amendes avec sursis. Mais peu importe.
L’effet sur la population est là, le message passe : « Attention à ce que vous faites ! »
Le choix des poursuites est politique. Ce n’est pas un hasard si elles ont lieu dans le nord ou dans le sud, dans des lieux où un certain nombre de personnes se mobilisent pour aider les réfugiés et où des élus locaux disent « ça fait des appels d’air, il faut les poursuivre. » Si Eric Ciotti [président du conseil départemental des Alpes-Maritimes, NDLR] dénonce régulièrement des gens de la Roya, ce n’est pas pour rien. Il y a une indéniable pression. Le procès de cet homme, aujourd’hui à Nice, est un véritable procès politique. On juge l’action, humanitaire cette fois, d’un certain nombre de gens engagés auprès des réfugiés.
Migrants : le «délit de solidarité» existe-t-il encore ?
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Depuis l’élection de Hollande, l’immunité pour les personnes qui viennent en aide aux migrants a été élargie. Mais le transport reste répréhensible.
On trouve des choses étonnantes dans les archives d’Internet. Notamment cette intervention de Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, devant la commission des lois du Sénat, le 25 juillet 2012 : «Notre loi ne saurait punir ceux qui, en toute bonne foi, veulent tendre une main secourable.» Valls propose alors de «mettre fin au délit de solidarité qui permet de poursuivre l’aide désintéressée, apportée [par des citoyens ou des associations] à des étrangers en situation irrégulière, sur la même base juridique utilisée pour les filières criminelles d’immigration». Soit, peu ou prou, ce qui est reproché à Cédric Herrou, un agriculteur de la vallée de la Roya, près de Nice, accusé d’avoir aidé des migrants (lire ci-contre). Rien n’aurait donc changé depuis la déclaration de Manuel Valls il y a presque cinq ans ? Pas tout à fait.
Une expression née sous Sarkozy
«C’est un slogan politique, résumant une situation politique et humanitaire, mais qui n’existe pas juridiquement à proprement parler», reconnaît l’avocat Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). L’expression apparaît au grand jour dans le débat public lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy, à mesure que les associations révèlent la recrudescence d’affaires où des militants et bénévoles sont inquiétés pour être venus en aide à des sans-papiers. En 2009, plusieurs milliers de personnes se proclament «délinquants solidaires» et interpellent le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, Eric Besson, pour obtenir la suppression du «délit de solidarité». Dans leur viseur, l’article 622-1 du Ceseda, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Celui-ci prévoit une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende pour «toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France».
La gauche y a-t-elle mis fin ?
Lors de la campagne présidentielle de 2012, les candidats sont interpellés sur le sujet par les associations. Arrivée au pouvoir, la gauche s’engage bien dans une réforme de la législation, mais ne supprime pas pour autant le «délit de solidarité». La loi du 31 décembre 2012 réécrit l’article 622-4 du Ceseda et élargit les clauses d’immunité. Par exemple, les proches du conjoint d’un étranger ne peuvent plus être poursuivis s’ils lui procurent une «aide au séjour irrégulier».
Mais c’est surtout l’alinéa 3 qui assouplit les règles. Ainsi, lorsque l’acte reproché «n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci», aucune poursuite ne peut être engagée. En théorie, ces conditions sont assez larges pour assurer la sérénité de militants associatifs… Sauf que cela ne concerne que l’aide au séjour, et non l’aide à l’entrée et à la circulation sur le territoire français. En bref, transporter gratuitement un exilé est toujours passible de poursuite.
Comment la situation a-t-elle évolué en pratique depuis 2012 ?
«Les poursuites ont diminué après la crise de 2009, mais on observe une recrudescence depuis 2014 et le début de la crise migratoire», remarque Marine De Haas, responsable des questions européennes à la Cimade. C’est notamment dans le Calaisis et les Alpes-Maritimes, où militants et citoyens viennent régulièrement en aide aux migrants. De Haas évoque aussi les poursuites engagées pour des «motifs connexes, comme des outrages à agents, souvent pas avérés», dont le seul but, dit-elle, est d’«intimider» les bénévoles venant en aide aux migrants. Elle réclame l’abrogation du délit de solidarité pour les «aidants qui le font gratuitement», ce qui n’empêcherait pas de continuer à lutter contre les filières de passeurs. «D’autant plus, remarque Stéphane Maugendre, que ces citoyens viennent souvent pallier une carence manifeste de la France et des Etats européens dans l’accueil.»
Huit mois de prison avec sursis requis contre Cédric Herrou pour avoir aidé des migrants dans la vallée de la Roya
04/01/17
Huit mois de prison avec sursis ont été requis ce mercredi contre Cédric Herrou, un agriculteur de 37 ans qui comparaît à Nice pour avoir aidé des migrants dans la vallée de la Roya.
Il est poursuivi pour aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière.
Le jugement doit être rendu le 10 février.
Pour Stéphane Maugendre, avocat spécialisé en droit des étrangers, et ancien président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), « c’est un véritable procès politique ».
Est-ce un délit d’aider des migrants ?
, Nathalie Hernandez, 04/01/2017
Un agriculteur de la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, comparait ce mercredi devant le tribunal correctionnel de Nice pour avoir aidé des migrants venus d’Italie.
Cet homme de 37 ans, qui élève des poules à Saint-Dalmas-de-Tende, est poursuivi pour « aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière ». La justice lui reproche d’avoir hébergé chez lui, en transit, des personnes migrantes : des Érythréens, des Éthiopiens, Soudanais, ou tchadiens.
Est-ce illégal d’aider des migrants, de leur offrir un toit ?
C’est en substance la question que le tribunal doit trancher ce mercredi. Cédric Herrou, lui, pense qu’aider les autres est un devoir. Et après tout, dit-il, le procès offre l’occasion de le dire : « Mes actions, je les fais pour aider les gens et avoir la conscience tranquille. Je ne veux pas dans vingt ans avoir été complice par le silence ou l’inaction, et si je me mets en danger, tant pis. Je préfère être libre en prison plutôt qu’enfermé dans ma tête chez moi, devant ma télé ou mon ordinateur. » Cédric Herrou a donc choisi d’héberger, puis de transporter ces migrants: « C’est vrai que de chez moi je les ai emmenés où ils voulaient aller, parce que c’est des gens à qui je m’attache, ce sont des amis, des gens bien. Je les ai pris dans ma voiture, j’ai contourné des contrôles pour ne pas qu’ils se fassent attraper encore une fois et renvoyer à Vintimille ».
Pour le parquet, Cédric Herrou n’a pas agi à titre humanitaire mais par militantisme. Le procureur Jean-Michel Prêtre a requis à l’encontre de Cédric Herrou huit mois d’emprisonnement avec sursis mise à l’épreuve et la confiscation de son véhicule, ainsi qu’un usage limité de son permis de conduire aux besoins de sa profession. Pour le procureur Cédric Herrou fait usage de procès comme d’une « tribune politique ». « Nous sommes dans la situation d’un procès qui a été voulu, qui procède d’une stratégie générale de communication, de portage militant d’une cause et qui fait que la justice est saisie aujourd’hui de faits reconnus. Ce n’est pas à la justice de décider de changer la loi, ce n’est pas à la justice de donner une leçon de diplomatie à tel ou tel pays ».
Je le fais parce qu’il faut le faire
Devant le tribunal, Cédric Herroua revendiqué son action « Il y a des gens qui sont morts sur l’autoroute, il y a des familles qui souffrent, il y a un Etat qui a mis des frontières en place et qui n’en gère absolument pas les conséquences ». A la présidente qui s’étonne que les deux procédures dont il a fait l’objet n’aient pas mis un coup d’arrêt à ses actions, l’agriculteur répond « Même si vous me condamnez, le problème continuera ».
Quelque 300 personnes, dont de nombreux nombreux membres d’un collectif d’aide aux migrants Roya Citoyenne, s’étaient rassemblées devant le palais de justice pour le soutenir avant le début de l’audience.
Il y a quatre ans Manuel Valls alors ministre de l’Intérieur, avait annoncé l’abrogation du délit dit de solidarité. Pourtant…
« Notre loi ne saurait punir ceux qui en toute bonne foi veulent tendre une main secourable », déclarait Manuel Valls en 2012, en annonçant la fin du délit de solidarité. Cette infraction, qui s’appelle en réalité « délit d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers », a été édulcorée plus qu’abrogée. Le texte reste très restrictif et donne lieu à des dérives selon le Gisti, le groupe d’information et de soutien des immigrés. L’aide ne peut en effet porter que sur des domaines précis, essentiellement humanitaires. Elle doit être accordée sans contrepartie, directe ou indirecte. Ce qui a permis par exemple de poursuivre des aidants, car la famille étrangère qu’ils avaient hébergée avait participé aux tâches ménagères.
Pour le Gisti, il s’agit au final de dissuader et de punir tout forme de soutien, même si les peines prononcées sont le plus souvent symboliques. Car avant un procès les aidants ont subi une interpellation, une garde a vue et même des perquisitions. Depuis deux ans, pas moins d’une quinzaine de dossiers ont été jugés.
La loi Valls a juste un peu atténué le problème explique Stéphane Maugendre, président du Gisti, le Groupe d’information et de soutien des immigrés, invité du journal de 13h
Vendredi, c’est un chercheur niçois qui attend son jugement. Le parquet a réclamé contre lui 6 mois de prison avec sursis.
Relaxé.e.s pour avoir discrédité une décision de Justice.
Jugement de la 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris.
» Le 26 mars 2015, la 6 ème chambre ( Pôle 3) de la cour d’appel de Paris, statuant en chambre du conseil, saisie d’un appel de Mahamadou X contre un jugement rendu le 27 mai 2014 par un juge des enfants de Paris disant n’y avoir lieu à assistance éducative à son égard, confirmait ledit jugement, et ce après avoir ordonné avant-dire droit le 19 décembre 2014 une expertise médicale comportant un examen physique externe et un examen dentaire et osseux par radiographie aux fins de l’estimation de l’âge physiologique de l’appelant.
Cette décision comportait, notamment, la motivation suivante :
« Au vu des pièces du dossier,..Mahamadou S. produit un extrait d’acte de naissance et une carte nationale d’identité. Ces deux documents, établis en pays étranger et rédigés dans les formes usitées dans ce pays, sont considérés comme authentiques par le bureau de la fraude documentaire.
Néanmoins, les éléments sociaux communiqués par l’appelant suscitent des interrogations alors notamment que ses déclarations concernant son propre parcours pour se rendre en France sont floues et que celles selon lesquelles il serait arrivé en France en janvier 2014, ayant quitté son oncle en 201S après être resté 4 années, celui-ci l’ayant recueilli à l’âge de 9 ans, sont contredites par la date de naissance qu’il allègue.
Par ailleurs, si Mahamadou S. ne s’est pas présenté à l’expertise d’âge physiologique ordonnée par le juge des enfants, sans qu’il puisse être déduit des pièces du dossier une volonté délibérée de sa part de s’y soustraire, la cour a ordonné une nouvelle expertise à laquelle Mahamadou S., assisté de son conseil, a expressément consenti, la nécessité de son accompagnement ayant été stipulée dans l’arrêt susvisé.
Il s’est pourtant rendu seul à l’examen en présentant un courrier de l’ADJIE sollicitant du médecin une attestation selon laquelle il se présente seul de sorte que l’expertise ne peut être réalisée, l’ADJlE précisant ne pas être en mesure de l’accompagner, sans plus de précisions. Mahamadou S., assisté d’un conseil dans le cadre de la procédure, n’a pas sollicité ce dernier pour l’y accompagner, de sorte que la mesure d’instruction n’est pas réalisée, sans qu’il puisse légitimement, dans ce contexte, se prétendre étranger à ce défaut d’exécution.
Enfin, son allure et son attitude, telles que constatées par la cour à l’audience, ne corroborent pas sa minorité.
En conséquence, des éléments extérieurs viennent contredire les documents d’état-civil produits, de sorte que la minorité de Mahamadou S. n’est pas établie. Dès lors, il n’y a pas lieu à assistance éducative à son égard. ».
L’arrêt mentionnait que le ministère public s’en était remis à l’appréciation de la cour.
Le 21 mai 2015, le Syndicat de la Magistrature diffusait par courriel un communiqué de presse intitulé « Mineurs étrangers isolés : les apparences pour preuve », co-signé par le Groupe d’information et de Soutien des Immigré-e-s ( GISTI), association ayant pour objet la défense et le soutien des étrangers, et la Ligue des droits de l’Homme, ainsi rédigé :
« MINEURS ISOLES ETRANGERS : LES APPARENCES POUR PREUVE
A un adolescent malien seul en France, porteur d’un acte de naissance et d’une carte d’identité établissant sa minorité, la cour d’appel de Pairs rétorque que « son allure et son attitude ne corroborent pas sa minorité » (décision ci-jointe). Une affirmation lourde de conséquence puisque la cour laisse ce jeune à la rue en refusant sa prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Pour rendre cette invraisemblable décision, la cour n ‘a pas seulement renié toute humanité, elle a dû, aussi, tordre le droit C’est l’article 47 du Code civil qui a fait les frais de l’opération.
L’article prévoit que tout acte d’état civil étranger fait foi sauf si d’autres éléments établissent qu’il est irrégulier ou falsifié. En l’espèce, aucune preuve ni aucun indice d’irrégularité ou de falsification des actes d’état civil du mineur n’étaient joints au dossier : au contraire, le service chargé de traquer la fraude documentaire les avait jugés authentiques ! Peu importe : le récit qu’il a fait de sa vie leur ayant semblé peu cohérent, les magistrats ont imaginé de soumettre cet enfant à une expertise osseuse.
Non contents de lui infliger cette épreuve injustifiée, ils ont prévu qu’il devrait être assisté de son avocat ou « d’un professionnel » d’une association d’aide aux mineurs. Peu importe, encore, que l’ADJIE (Accompagnement et défense des jeunes étrangers isolés qui est en fait un collectif d’associations) ait toujours refusé de cautionner ces examens osseux dont la fiabilité est déniée par les plus hautes autorités médicales. L’enfant s’étant rendu chez le médecin muni d’un courrier de l’ADJIE disant ne pouvoir être présente, les examens n’ont pas été réalisés. Les juges en ont pris prétexte pour le rendre responsable du « défaut d’exécution » de l’expertise.
Le raisonnement est doublement fallacieux. D’abord parce qu’il impose à un jeune en détresse, qui ne parle ni ne lit le français, de coopérer à la démonstration d’une minorité que les juges devait tenir pour acquise. Ensuite parce qu’il le rend comptable du refus légitime d’un collectif associations de s’associer à cet acharnement dans la suspicion. Et ce, pour conclure sans trembler que, quoi qu’en disent ses actes d’état civil, ce jeune aura l’âge qu’il a l’air d’avoir.
« La chronique quotidienne de l’enfance malheureuse rappelle aux pouvoirs publics l’urgente nécessité de renforcer la protection civile des mineurs » affirme le préambule de l’ordonnance de 1958 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger. Aujourd’hui, parce qu ‘ils sont étrangers, certains enfants sont à ce point indésirables que la justice en vient, pour leur refuser cette protection, à dénier leur minorité en utilisant les expédients de pseudo-expertises ou en tenant les apparences pour preuve.
Alors que la communauté scientifique s’accorde pour dénier toute force probante aux tests osseux et dentaires, que les documents d’identité font foi, l’administration et la justice persistent à recourir à cette technique inepte. Il est plus que temps d’y renoncer.
Paris, le 15 mai 2015
Ce document était accompagné d’une note libellée en ces termes:
« Le Sénat va examiner dans les prochaines semaines la proposition relative à la protection de l’enfant, dans le cadre de laquelle sont discutés des amendements relatifs aux lests osseux pratiqués sur les mineurs isolés étrangers, pour déterminer leur âge. Le Syndicat de la magistrature se mobilise fortement pour l’interdiction de cette pratique aussi inefficace qu’indigne.
Vous trouverez ci-joint le communiqué de presse que nous publions en commun avec le GISTI et la Ligue des Droits de l’Homme, en réaction à une décision de la Cour d’appel de Paris, malheureusement représentative d’une certaine jurisprudence, qui, loin des prescriptions du code civil, ordonne des tests osseux même lorsque les mineurs sont en possession de documents authentiques, sur la base de considérations fondées sur leur apparence, pour mieux les exclure de la prise en charge par l’ASE. ».
Le 4 juin 2015, Etienne Madranges, avocat général près la cour d’appel de Paris, représentant du ministère public lors de l’audience où l’affaire susvisée avait été évoquée, appelait par courriel intitulé « demande d’engager des poursuites contre le syndicat de la magistrature » l’attention de sa hiérarchie sur ce communiqué qui, selon lui, « met (tait) violemment en cause » l’arrêt précité, « rendu sur (ses) réquisitions conformes ». Il soutenait que ce document comportait des « affirmations…injurieuses, insultantes et outrageantes pour la cour, ses membres, son ministère public » et « tomb(ait) à l’évidence sous le coup des dispositions de l’article 434-25 du code pénal », estimait qu’ « une organisation professionnelle de magistrats n’a (vait) pas le droit de critiquer ouvertement dans de tels termes une décision souveraine…et encore moins de jeter le discrédit sur notre travail, difficile au quotidien » et demandait, partant, « officiellement, dé faire engager des poursuites contre le Syndicat de la magistrature ».
Après relance de l’intéressé le 25 juin 2015, ce courriel était transmis le 3 juillet 2015 pour compétence au procureur de la République de Paris, lequel faisait diligenter le 13 juillet 2015 une enquête par la Brigade de Répression de la Délinquance contre la Personne.
Etienne Madranges, entendu le 3 août 2015, confirmait ses déclarations, précisant d’une part que tous les magistrats avaient été destinataires du message incriminé, également adressé aux services sociaux et aux avocats, d’autre part qu’il pensait que la présidente de la sixième chambre partageait son avis sur cette affaire, enfin qu’il « croyait se souvenir » qu’une réflexion était déjà engagée sur la légitimité des examens osseux tendant à déterminer l’âge d’un individu, notamment par des radios. Il se réservait le droit de se constituer ultérieurement partie civile si l’affaire était soumise à un tribunal.
Il était par la suite procédé à l’audition des dirigeants des associations co-signataires du communiqué de presse.
Stéphane Maugendre, président du GISTI depuis 2008, confirmait que le GISTI avait participé, de manière collective, à la rédaction du communiqué, qui avait été diffusé à tous ses contacts et publié sur son site. Il contestait à la fois avoir voulu jeter le discrédit sur l’arrêt évoqué et pouvoir être suspecté, ainsi que pouvait le laisser entendre une des questions posées lors de son audition, d’avoir taxé les magistrats concernés de racisme ou de partialité politique, le seul objectif des co-signataires étant de porter un regard critique sur la motivation de l’arrêt. Il rappelait, à cet effet, que son organisation luttait depuis des années, avec d’autres, dont les co-signataires du communiqué et la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, contre la détermination de l’âge sur la base d’un examen osseux, cette méthode étant notamment contestée par l’ensemble du monde médical.
Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des Droits de l’Homme de 2011 au 25 mai 2015, déclarait également que le texte litigieux, diffusé aux différents contacts de cette association ainsi que sur son site et sa page Facebook, était une oeuvre collective, le sujet abordé étant à ses yeux suffisamment préoccupant et important pour justifier une expression commune et l’instauration d’un débat public. Il se disait inquiet de la procédure diligentée, dénonçant « une volonté d’intimidation » et une démarche présentant «quelque chose de dérisoire et de pathétique », qui n’empêcherait en rien la Ligue de continuer à user de sa liberté d’expression et défendre les droits et la dignité de la personne.
Françoise Martres, présidente du Syndicat de la Magistrature lors de la rédaction et de la diffusion du communiqué de presse, expliquait, documents à l’appui, que celui-ci était contemporain au débat au Parlement sur la proposition de loi sur la protection de l’enfance et à des discussions de son organisation avec les cabinets de Mmes Taubira et Rossignol en vue d’introduire un amendement visant à l’inscription dans la loi de l’interdiction des tests osseux aux fins de déterminer l’âge d’une personne. Elle précisait que l’arrêt du 26 mars 2015 avait été mis en exergue car il illustrait précisément les dérives dénoncées par le Syndicat de la Magistrature et nombre d’associations et de professionnels. Elle contestait,enfin, fermement, que le communiqué attaqué puisse être analysé autrement que comme un commentaire d’une décision, certes formulé sur un ton pouvant paraître un peu vif, mais n’excédant en rien la liberté d’expression reconnue en matière syndicale et ne constituant nullement une attaque personnelle contre les magistrats ayant rendu l’arrêt ou ayant participé à l’audience.
Le 26 novembre, la présidente de la sixième chambre ( pôle 3) de la cour d’appel indiquait aux enquêteurs que ni elle, ni ses assesseurs ne souhaitaient être entendus.
A l’issue de l’enquête, Stéphane Maugendre, Pierre Tartakowski et Françoise Martres étaient cités devant le tribunal correctionnel pour y répondre du délit de discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle prévu et réprimé par les articles 434-25 alinéa 1, 434-25 alinéa 3 et 434-44 du code pénal et l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881, et ce à raison plus particulièrement des propos ci-avant surlignés en gras dans le communiqué incriminé.
Lors de l’audience, le ministère public requérait la condamnation des prévenus, soulignant notamment la violence des termes utilisés dans le communiqué, l’atteinte portée à l’institution judiciaire et le fait que ni le caractère polémique du sujet abordé ni la liberté de ton reconnue en matière syndicale ne pouvaient justifier une telle attaque à l’encontre déjugés ne faisant qu’appliquer la loi, et l’appliquer au surplus correctement, le pourvoi formé contre l’arrêt critiqué ayant été rejeté par la Cour de cassation le 11 mai 2016.
Françoise Martres maintenait ses déclarations antérieures, soulignant l’attachement du Syndicat de la Magistrature à la défense des droits des enfants, dont les mineurs isolés, et au combat mené contre le recours aux expertises osseuses et un courant jurisprudentiel qui lui paraissait engendrer des conséquences inhumaines. Elle contestait, par ailleurs, l’idée même qu’un syndicat puisse être soumis à un devoir de réserve, sa liberté d’expression devant demeurer entière.
Stéphane Maugendre, après avoir rappelé les circonstances particulières ayant conduit à la création du GISTI et la nécessité de protéger les mineurs isolés contre certaines dérives, se disait, au nom de cette association, à la fois indigné non seulement par le recours aux expertises osseuses mais aussi par le durcissement jurisprudentiel consistant à exiger des personnes déclarant être mineures, y compris en cas de production de papiers authentifiés par le bureau des fraudes, des documents d’identité comportant des photographies, et convaincu, partant, de la nécessité d’appeler l’attention sur ce point.
Pierre Tartakowsky revendiquait l’attachement qü’il qualifiait de « viscéral » de la Ligue des droits de l’Homme à la liberté de critique, rappelant que la Ligue n’avait « pas été créée ( en 1898) pour critiquer la justice mais était née d’une décision de justice » et qu’il aurait été « honteux » de ne pas signer le texte incriminé, parfaitement conforme aux valeurs, à la mission et à l’histoire de cette association. Il maintenait qu’à son sens, le recours aux expertises osseuses était une erreur qu’il était légitime de dénoncer « haut et fort, surtout quand la nécessité fait droit », à une «époque particulièrement dure pour les faibles, les démunis, les peuples., accidentés de l’histoire ».
Les différents témoins cités par la défense insistaient tous sur la légitimité des critiques exprimées dans le communiqué de presse et faisaient part de leur perplexité quant aux poursuites diligentées à l’encontre des prévenus.
Pierre Joxe, avocat, ancien ministre, magistrat honoraire, mettait notamment l’accent sur la nécessité d’accueillir dans de bonnes conditions les mineurs isolés, tant dans l’intérêt des jeunes concernés que de la société. Il confirmait, par ailleurs, les grandes incertitudes pesant sur la fiabilité des examens osseux et dentaires, et se disait « sidéré » à la fois par l’arrêt rendu par la cour d’appel le 26 mars 2015 et les poursuites diligentées à l’encontre des prévenus.
Nicole Obrego, magistrate retraitée, rappelait son combat pour la reconnaissance du droit des magistrats à se syndiquer et soulignait qu’un syndicat de magistrats avait vocation non seulement à défendre des intérêts corporatistes mais également à s’intéresser aux sujets de société et à veiller à la protection des droits des plus faibles.
Jean-François Martini, chargé d’études au GISTI, évoquait les difficultés croissantes des mineurs isolés, et ce en raison tant de la tendance au durcissement de la jurisprudence que de la saturation des capacités d’accueil des départements, ceux-ci étant par ailleurs de plus en plus réticents à accueillir les personnes concernées, notamment pour des motifs financiers, et multipliant les obstacles, alors que selon lui, il était, en toute hypothèse, préférable d’« avoir un jeune majeur placé qu’un mineur dans la rue ».
Pierre Lyon-Caen, ancien avocat général à la Cour de cassation, membre du syndicat de la magistrature, ancien membre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, s’interrogeait sur les possibles répercussions de la présente procédure sur le syndicalisme judiciaire et l’exercice du droit de critique, conçu jusqu’alors de manière très extensive, notamment par les juridictions administratives. Il déclarait, par ailleurs, trouver la démarche formalisée par le communiqué de presse parfaitement légitime, eu égard à l’unanimité de toutes les instances compétentes, nationales ou internationales – dont I’ Académie nationale de médecine, le Haut Conseil de la médecine et le Comité des droits de l’enfant-pour condamner le recours aux expertises osseuses. Enfin il contestait que les termes employés dans le communiqué, pour vigoureux qu’ils soient, puissent excéder les limites de la liberté d’expression, rappelant que la Cour de cassation elle-même n’hésitait pas à utiliser l’expression « violation de la loi » sans émouvoir quiconque.
Bertrand Chevallier, pédiatre endocrinologue, soulignait les limites des tests osseux, précisant que ce type d’examen, initialement conçu pour évaluer l’opportunité de soumettre à un traitement médical des enfants présentant des anomalies de croissance, n’avait nulle vocation à déterminer à lui seul l’âge chronologique d’une persomie, seule une approche pluridisciplinaire, non nécessairement fondée sur un examen clinique, prenant en compte les origines géographiques des personnes concernées et incluant un questiomiaire sur les habitudes alimentaires et les maladies antérieures paraissant désonnais adaptée.
Les conseils des prévenus plaidaient tous en faveur de la relaxe de leurs clients.
Plaidant pour Pierre Tartakowski, M°Leclerc insistait tout d’abord sur la différence qu’il convenait d’établir entre la critique, légitime, d’une décision de justice rendue, soulignait-il, au nom du peuple, et donc nécessairement soumise au débat public, et le discrédit tel que défini par l’article 434-25 du code pénal, soumis à de strictes conditions non remplies en l’espèce. Il contestait, par ailleurs, que le communiqué litigieux puisse être analysé comme excédant les limites de la liberté d’expression, rappelant à cet égard l’impératif de tenir compte tant du contexte de sa publication que du droit à l’hyperbole et à l’exagération reconnu, notamment, par la Cour européenne des droits de l’homme. Enfin, il soulignait que les poursuites engagées en l’espèce étaient les premières auxquelles la Ligue des droits de l’Homme était confrontée en 118 ans d’existence.
Maître Bouix, conseil de Stéphane Maugendre, mettait l’accent sur* le caractère inédit de l’arrêt critiqué dans le communiqué et ses graves conséquences pour les personnes demandant à bénéficier du statut de mineur isolé. Elle estimait, partant, que cet arrêt, qui s’inscrivait au surplus dans un débat d’intérêt général lors de son prononcé, pouvait légitimement être à la fois relayé et critiqué.
Maître Cessieux, pour Françoise Martres, rappelait que sa cliente, à l’époque responsable du Syndicat de la Magistrature, jouissait de par ce statut d’une très large liberté de parole. Il contestait, par ailleurs, que le communiqué de presse puisse être perçu autrement que comme une démonstration technique des carences dont souffrait, selon ses auteurs, l’arrêt critiqué et s’étonnait du traitement réservé à sa cliente, notamment au regard de l’inertie dont avait fait preuve, selon lui, le ministère public vis-à-vis de déclarations ou de communiqués autrement plus violents, tel celui publié le 26 avril 2012 par le bureau national de SYNERGIE-OFFICIER S, cet organisme se disant « écoeuré par la décision ahurissante d’un juge d’instruction… », parlant d’un tribunal « connu pour receler les pires idéologues de la culture de l’excuse », d’une incrimination étant « avant tout une décision partisane (pour ne pas dire politique…) déguisée en acte juridictionnel », d’une « décision «judiciaire » qui révulse nos concitoyens » ou « d’un nouvel appel à la haine venant de magistrats qui, une fois de plus, ont choisi d’affirmer que pour eux, l’ennemi à combattre par tous les moyens ( y compris les plus vils…) est bel et bien le « flic » et non pas le criminel ».
SUR CE:
L’article 434-25 du code pénal, introduit dans le code pénal ( article 226 de l’ancien code pénal) par l’article 17 de l’ordonnance n° 58-1298 du 23 décembre 1958, dispose :
« Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
Les dispositions de l’alinéa précédent ne s’appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d’une décision.
Lorsque l’infraction est commise par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables,
L’action publique se prescrit par trois mois révolus, à compter du jour où l’infraction définie au présent article a été commise, si dans cet intervalle il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite. ».
Il résulte de ces dispositions que le délit de discrédit suppose, pour être constitué, que son auteur ait voulu, par ses propos, non seulement déconsidérer tel ou tel acte ou décision à caractère juridictionnel, mais également, au travers de cette appréciation, atteindre, plus globalement, dans son autorité ou son indépendance, la justice considérée comme une institution fondamentale de l’Etat, Il ne saurait, ainsi, être confondu avec d’autres infractions, tels l’outrage ou la diffamation envers un magistrat.
Il se déduit par ailleurs de la nature même de cette infraction, expression d’une restriction à la liberté d’expression, et soumise au demeurant, en ses règles d’imputation et de prescription, aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, que toute condamnation de ce chef doit nécessairement s’inscrire dans les conditions et limites posées par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( CEDH) , lequel édicte :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2.L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » .
Dans ce cadre, s’il est constant qu’il convient de tenir compte, dans l’analyse des propos incriminés, de la nécessité de protéger l’autorité de la justice, institution essentielle à toute société démocratique, et de sanctionner, partant, toute attaque gravement préjudiciable à son encontre dépourvue de fondement sérieux, il est tout aussi essentiel de préseiver le droit pour chaque citoyen, sous réserve qu’il dispose d’une base factuelle suffisante et n’use pas de propos outranciers, de s’exprimer, y compris de manière critique, sur des sujets d’intérêt général liés au fonctionnement de la justice.
Ce droit est, enfin, d’autant plus largement entendu, en la forme comme au fond, que les auteurs des propos sont des acteurs considérés comme essentiels à la vie démocratique, qu’il s’agisse, sans que cette liste soit exhaustive, des journalistes, des élus, des avocats, de certaines associations ou de militants politiques ou syndicaux.
Au cas particulier, il ressort du communiqué de presse litigieux, que celui-ci, par-delà les seuls propos ^expressément mentionnés dans les citations délivrées aux prévenus, s’attache pour l’essentiel à développer les raisons ayant conduit ses signataires à le titrer « Mineurs isolés étrangers : les apparences pour preuve », cet intitulé se voulant et étant, évidemment, critique, la méthodologie et le raisonnement évoqués par cette formule se situant aux antipodes de l’orthodoxie juridique en matière de droit de la preuve; qu’il rappelle, à cet effet, les différentes étapes du raisonnement adopté par la cour d’appel, pointant notamment la supposée méconnaissance des dispositions de l’article 47 du code civil; qu’il s’étonne, ainsi, de ce que malgré l’authentification des actes d’état-civil du mineur concerné par le bureau de la fraude documentaire, les magistrats aient jugé nécessaire de soumettre le requérant à une expertise osseuse; qu’il s’émeut, par ailleurs, de ce que les mêmes magistrats aient rendu ledit mineur responsable du défaut d’exécution de 1′ expertise alors que celui-ci n’était lié qu’au refus, justifié pour ses auteurs, d’un collectif d’associations de prêter leur concours à la mise en oeuvre de procédures à la fois infondées, sans aucune fiabilité scientifique et humiliantes.
Pour autant, le document incriminé ne peut être assimilé à un « commentaire technique » au sens de l’alinéa 2 de l’article 434-25, dans la mesure où, nonobstant les différents points de droit qui y sont incontestablement développés, les auteurs étendent leur réflexion à des considérations d’ordre moral ou sociétal qui excèdent les limites d’une analyse technique, notamment en déclarant « la cour n’a pas seulement renié toute humanité », « non contents de lui infliger cette épreuve injustifiée » ou « aujourd’hui, parce qu’ils sont étrangers, certains enfants sont à ce point indésirables que la justice en vient, pour leur refuser cette protection, à dénier leur minorité… », et déplorent de manière plus générale, que tant l’administration que la justice, ces deux entités étant visées dans leur globalité, excipent de critères purement physiques et donc contestables et utilisent « les expédients de pseudo-expertises » pour refuser la protection pourtant due aux enfants et adolescents en danger.
De même, il ne saurait être soutenu que le communiqué de presse puisse relever de la catégorie des « actes… écrits…de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d’une décision » également visée à l’alinéa 2 de l’article 434-25 précité, le fait qu’un pourvoi en cassation soit en cours lors de sa publication ne pouvant suffire à lui conférer cette qualité, le communiqué ne pouvant bien évidemment pas être assimilé à un acte de procédure et ne faisant par ailleurs aucune allusion au dit pourvoi.
Ces différents constats ne peuvent, toutefois, suffire à considérer que l’infraction prévue à l’article 434-25 est constituée, les propos litigieux devant, comme il l’a été indiqué supra, être analysés au regard de l’article 10 de la CEDH.
A cet égard, il convient, tout d’abord, de relever que la question abordée présente, à l’évidence, un caractère d’intérêt général ; que l’accueil des mineurs étrangers fait en effet partie intégrante du débat sur les flux migratoires, dont il paraît superflu de souligner la place centrale qu’il occupe au plan politique comme sociétal ; que la détermination de la majorité ou de la minorité d’un migrant est, en cas d’incertitude sur ce point, nécessairement tributaire de l’analyse effectuée, in fine, par les magistrats ; qu’il est, par conséquent, parfaitement légitime de s’interroger sur l’évolution de la jurisprudence en la matière, et ce d’autant plus pour les associations dirigées par les prévenus, qui ont constamment marqué leur engagement, sous toutes ses formes, en faveur d’une protection accrue des mineurs isolés et peuvent, ainsi, exprimer leurs préoccupations au regard d’une évolution jurisprudentielle leur paraissant à la fois erronée au plan du droit et de nature à amoindrir sensiblement les droits des intéressés.
Il est, par ailleurs, constant, au regard notamment des éléments versés au débat et des témoignages, en particulier celui de Bertrand Chevallier, que les prévenus disposaient d’une base factuelle suffisante pour critiquer la méthode et l’analyse retenues dans l’arrêt litigieux ; qu’il est en effet avéré que le recours à des examens physiques, et tout particulièrement, aux expertises osseuses et dentaires, pour déterminer l’âge d’un mineur, fait largement débat et est même déconseillé par des autorités scientifiques aussi incontestables que l’Académie nationale de médecine ou le Haut Conseil de Santé publique ; que le fait, par ailleurs, d’estimer insuffisants en termes probatoires des documents pourtant authentifiés par le Bureau de la fraude documentaire, organisme spécialisé travaillant en liaison avec les consulats et ambassades des pays d’origine des migrants, pouvait également prêter à discussion, même si, par la suite, la Cour de cassation a estimé, par arrêt publié au bulletin- ce qui atteste l’importance du point soulevé- ne pas devoir accueillir le moyen soulevé sur ce point, au motif que la cour d’appel « afvait) souverainement estimé que l’acte de naissance..était dépourvu de la force probante reconnue par l’article 47 du code civil, en raison de l’incohérence de ses énonciations avec les déclarations de l’intéressé » ; que, de même, pouvait être matière à réflexion le fait que la cour d’appel, alors même que l’ADJIE refuse, au tenue d’une décision de principe antérieure à l’arrêt avant-dire droit, d’accompagner les jeunes étrangers isolés chez les praticiens chargés d’effectuer les examens osseux, confie pourtant cette mission à l’ADJIE et impute, par ailleurs, le défaut d’exécution de la mesure ordonnée au requérant.
Enfin, si le ton et le vocabulaire employés dans le communiqué de presse peuvent, de fait, paraître véhéments – « invraisemblable », « renié toute humanité », « tordre le droit », « les juges en ont pris prétexte », « acharnement dans la suspicion »…-, il convient de rappeler, tout d’abord, que les limites de la critique admissible sont, en l’espèce, d’autant plus larges que les auteurs des propos sont, à des titres divers, via les organismes qu’ils représentent, des militants reconnus et engagés contribuant à la diffusion d’informations et d’opinions susceptibles d’enrichir le débat sur le sujet d’intérêt général abordé ; qu’ainsi la Ligue des droits de l’Homme compte en son sein un groupe spécialement dédié à la situation des mineurs étrangers isolés, celle-ci lui paraissant « particulièrement préoccupante au regard du respect des droits de l’homme »] ; que le Gisti est un acteur de premier plan de la lutte pour les droits des étrangers, étant à l’origine, de par ses actions en justice, de nombreuses décisions de principe et oeuvrant au surplus au quotidien pour assister les personnes concernées ; que le Syndicat de la Magistrature a vocation, en tant que syndicat de magistrats, à défendre non seulement les droits individuels et collectifs de ces professionnels, mais également l’institution judiciaire, cette défense ne pouvant toutefois signifier, sauf à lui faire perdre toute substance et tout intérêt, une approbation inconditionnelle de l’ensemble des actes et décisions de nature juridictionnelle ou la soumission dudit syndicat à un devoir de réserve similaire à celui exigé des magistrats pris individuellement; que, par ailleurs, le communiqué de presse critiqué a été publié dans un contexte où le sujet évoqué présentait une actualité toute particulière, eu égard aux débats parlementaires en cours ; que, dans ces conditions, il y a lieu de considérer que pour tranchés et virulents que soient les propos querellés, leurs auteurs n’ont pas excédé les limites de la liberté d’expression particulièrement étendue dont ils pouvaient exciper, au regard à la fois de leur qualité, du sujet abordé et de la base factuelle dont ils disposaient.
Pierre Tartakowsky, Stéphane Maugendre et Françoise Martres seront, par conséquent, renvoyés des fins de la poursuite.
PCM
contradictoirement
RELAXE »
Le délit d’indignation à la barre
Marie Barbier, 13/10/2016
Le Syndicat de la magistrature, le Gisti et la Ligue des droits de l’homme comparaissaient hier devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir « discrédité » une décision de justice.
Il est des procès qui, à l’heure où le garde des Sceaux lui-même parle de « clochardisation » de la justice devant la misère de ses moyens, posent sérieusement question. Ainsi en est-il de l’audience qui s’est tenue hier devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Le Syndicat de la magistrature (SM), le Gisti et la Ligue des droits de l’homme (LDH) comparaissaient pour avoir « cherché à jeter le discrédit sur une décision juridictionnelle » et ainsi avoir « porté atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance ». Des faits punis de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
À l’origine de l’affaire, une décision de justice étonnante. En mars 2015, la cour d’appel de Paris a refusé une mesure d’assistance éducative à un jeune Malien sous prétexte que sa minorité « n’était pas établie ». Son extrait d’acte de naissance comme sa carte d’identité, certifiés authentiques, l’attestaient pourtant. Les magistrats avaient réclamé des tests osseux. Mais le jeune s’étant présenté sans son avocat, l’examen n’avait pu être effectué. La cour d’appel avait alors prétexté de « son allure et de son attitude » pour justifier sa majorité… Stupéfaites par cet argumentaire, les trois associations avaient rédigé un communiqué de presse où elles dénonçaient un « raisonnement doublement fallacieux » et écrivaient : « Pour rendre cette décision invraisemblable, la cour n’a pas seulement renié toute humanité, elle a dû aussi tordre le droit. » Le sang de l’avocat général du parquet de Paris a tellement tourné quand il a lu ceci qu’il a tenté de se constituer partie civile contre les organisations, avant de se désister, n’en ayant pas le droit, mais les poursuites ont subsisté. Puisque la justice a décidé de consacrer une journée d’audience entière à ces poursuites « dérisoires et pathétiques », comme les a qualifiées Pierre Tartakowsky, ancien président de la LDH, les prévenus ont décidé d’utiliser cette tribune pour parler des mineurs isolés étrangers, des très contestés tests osseux et de la liberté syndicale. Une journée passionnante en somme, aux frais de la justice…
« Dans une société démocratique, la justice ne peut pas être préservée des critiques, commence Françoise Martres, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature et poursuivie à ce titre. Je ne crois pas que l’obligation de réserve s’applique à un syndicat, la liberté syndicale serait réduite, ça n’est pas admissible. »
Pseudo-décisions scientifiques
Pour les trois organisations poursuivies, le sujet de fond est bien la prise en charge des mineurs isolés étrangers, ces « jeunes à la rue, souvent analphabètes et en situation de survie », rappelle Jean-François Martini, du Gisti, cité comme témoin. « Sur la base de pseudo-décisions scientifiques, ils sont déclarés majeurs et condamnés en comparution immédiate à rembourser les frais de leur prise en charge », poursuit Françoise Martres. Le pédiatre Vincent Chevalier explique la création de ces tests osseux « il y a 70 ans » par deux médecins américains, sur un panel « d’enfants caucasiens ». Leur marge d’erreur s’étale jusqu’à deux ans et demi et l’Académie de médecine elle-même juge qu’ils ne peuvent être utilisés pour définir l’âge chronologique. « Il ne s’agit pas simplement d’une radio du poignet, dénonce l’avocat du SM, Maxime Cessieux. On met un enfant nu, on lui pèse les bourses et on lui ausculte les dents. »
« Ce n’est pas la question des tests osseux dont vous êtes saisis, mais celle du délit de discrédit, tente le procureur de la République, Jean Quintard. La violence des propos constitue la frontière entre la critique et le discrédit. » Il réclame 2 000 euros d’amende pour chacun des trois prévenus. Il n’en fallait pas plus pour déclencher toute la colère contenue et la verve de l’avocat de la LDH, Me Henri Leclerc, qui, du haut de ses 82 ans, a livré une réjouissante plaidoirie dont il a le secret. « La LDH existe depuis 118 ans, c’est la première fois qu’elle est poursuivie. Pour avoir utilisé le mot “invraisemblable”. » « Comment dire notre rage en des termes mesurés ? s’interroge le ténor du barreau. C’est cette décision de justice qui jette le discrédit sur la justice. » Et de rappeler que l’article instituant le délit de discrédit, promulgué par de Gaulle en 1958, n’est pas utilisé depuis : les revues de droit, les médias et mêmes les syndicats de police critiquent régulièrement les décisions de justice. « Vos choix de poursuites sont arbitraires », lance-t-il au procureur avant de demander une « relaxe avec éclat ». Le jugement a été mis en délibéré au 23 novembre.