Une plainte de réfugiés qui dérange la Marine

logo-liberation-311x113 Thomas Hofnung, 11/04/2012

Naufrage. En mars 2011, un bateau fuyant la Libye n’a reçu aucun secours des navires présents sur zone.
AFP
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Au moins 38 témoins, et pas une main secourable. Comme dans le récent film de Lucas Belvaux, mais cette fois en mer Méditerranée, une tragédie a eu lieu, il y a un an, sans que personne ne réagisse. Et sans que personne, aujourd’hui encore, n’assume ses responsabilités. Hier, à Paris, quatre ressortissants éthiopiens, soutenus par plusieurs ONG (la FIDH et le Gisti notamment), ont porté plainte contre X pour non-assistance à personne en danger. Ils mettent en cause la passivité, entre autres, de l’armée française, soupçonnée d’avoir eu connaissance du drame qui se jouait en mer pour des dizaines de clandestins sans être intervenue. Une accusation rejetée par le ministère français de la Défense qui parle de «gesticulation».

Dérive. Tout commence dans la nuit du 26 au 27 mars 2011. Cela fait une semaine que les Occidentaux ont lancé leur campagne de raids contre les forces du «Guide» libyen. Un canot pneumatique quitte le port de Tripoli avec à son bord 72 personnes – des migrants issus d’Afrique subsaharienne qui fuient les violences dans une Libye où ils sont assimilés à des auxiliaires du régime. Leur objectif : rallier l’île italienne de Lampedusa. Mais, rapidement à court de carburant, ils perdent le contrôle de l’embarcation. Leur dérive va durer quatorze jours. Privés de nourriture et d’eau, les passagers – dont deux bébés et plusieurs femmes – vont mourir les uns après les autres. Quand le 10 avril, par une tragique ironie de l’histoire, le bateau est rejeté par la tempête sur la plage libyenne de Zliten, seules onze personnes ont survécu. Deux d’entre elles décèdent peu après. Or, cette atroce odyssée s’est déroulée à l’ombre d’une armada de navires : ceux de l’Otan, qui surveillaient étroitement le Golfe de Syrte pour empêcher tout ravitaillement en armes de Kadhafi.

Dès le 24 mars, 38 bateaux de diverses nationalités étaient mobilisés pour mener à bien cette opération. Au début de la traversée du canot pneumatique, un avion – français semble-t-il – survole l’embarcation et prend une photo, transmise aux garde-côtes italiens. «Nous avons effectivement le cliché d’un Zodiac lancé à pleine vitesse, absolument pas en détresse, dit-on à Paris. Mais nous avons dénombré une quarantaine de personnes à bord. S’agit-il du même bateau ?»

Les passagers sont ensuite parvenus à prévenir par téléphone satellitaire un prêtre érythréen à Rome, qui alerte à son tour les garde-côtes, puis l’Otan. Personne ne bouge. Plus tard, un hélicoptère portant l’inscription «Army», selon les rescapés, distribue de l’eau et de la nourriture aux réfugiés. Puis plus rien. Les ONG indiquent qu’aucun gouvernement, pas plus que l’Otan, n’a donné d’information précise sur les positions de leurs navires.

Défaillance. Paris, qui assure que ses navires ne croisaient pas dans la zone où le bateau a dérivé, rappelle qu’«il existe par ailleurs des services maritimes spécialement dédiés au sauvetage en mer». Ni les garde-côtes italiens ni leurs homologues maltais, a priori les plus proches de la zone, ne se sont portés au secours de l’embarcation. Il y a quelques semaines, une enquête menée par des parlementaires du Conseil de l’Europe pointait cette défaillance collective. Sans parvenir à conclure sur l’identité des responsables.

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