Extrait du dossier de presse du film « Qui a tué Ali Ziri ? »
Monsieur Ziri est décédé il y a plus de 6 ans, à ce jour la responsabilité des policiers n’est toujours établie par la justice. Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées au cours de cette affaire ?
On a eu beaucoup de mal à obtenir une enquête effective et donc à prouver les faits que nous avancions. Le juge d’instruction a refusé de nombreuses demandes d’acte d’enquête déposées par les parties civiles. Par exemple, rien qu’au début de l’enquête on a eu énormément de mal à avoir une expertise médicale digne de ce nom. Le premier expert médical désigné par la police n’a pas eu accès au procès-verbal de l’interpellation et ni aux auditions des policiers. Il lui manquait donc beaucoup d’informations cruciales et son analyse fut que l’asphyxie était liée à un défaut de soins. Donc au tout début, l’information s’ouvre contre la direction de l’hôpital !
En effet, la technique de défense des policiers dans l’affaire Ali Ziri, c’est de dire : « il était insultant, il a voulu se battre, il nous a craché dessus, il était ivre et l’hôpital n’a pas fait son boulot ».
Par la suite et toujours très difficilement puisque 4 juges d’instructions vont se succéder, deux autres expertises médicales sont faites et révèlent la présence de nombreux bleus sur le corps de Monsieur Ziri. L’une des expertise explique finalement que bleu le plus important est dû à un maintien, et une forte et longue pression sur la poitrine. Le décès s’ensuit par une absence d’oxygène qui a entraîné l’arrêt cardiaque.
Ceci dit le juge a estimé que les causes du décès étaient toujours très incertaines et que les expertises se contredisaient.
La vidéosurveillance du commissariat qui a filmé la scène d’arrivée de Monsieur Ziri dans ce lieu aurait pu lever cette incertitude. Mais on m’a refusé l’accès à cette vidéo et un non-lieu a été prononcé car le juge d’instruction estimait que les preuves n’étaient pas suffisantes.
Qu’est-ce que tout cela révèle sur le fonctionnement de la justice lorsqu’il s’agit de violences policières?
C’est toujours compliqué de mettre en cause des policiers : ils représentent l’autorité. En plus, il y a une autre difficulté inhérente à la fonction du juge d’instruction dont le travail est étroitement lié à la police. Si un juge d’instruction met en examen des policiers, par voie de conséquence très vite ça se sait et ça peut vite impacter son travail au quotidien. Après une mise en examen d’un policier le juge d’instruction peut être black listé. Et si tu es black listé par un certain nombre de commissariats, le métier de juge devient plus difficile… Alors il y a sûrement des juges d’instruction qui n’ont pas le courage de mettre en examen…
De plus, il y a un esprit de corps très fort dans la police. Souvent à part les témoins qui sont des amis de la victime ou les gens de la rue qui voient les choses, les autres témoins ce sont les collègues policiers. Et avec les collègues, c’est la loi du silence. Un flic qui balance, c’est un flic socialement mort, professionnellement.
Le vrai problème, c’est qu’il n’y ait pas de sanctions et de jugements dignes de ce nom à l’égard des policiers qui commettent des violences. Pour moi c’est un vrai problème, parce que ça ne fait que creuser l’écart entre la police et la population.
Si ces agissements étaient sanctionnés à la hauteur de ce que ça devrait être, c’est à dire exactement au « même tarif », entre guillemets, que pour celui qui cogne sur un flic, je pense qu’il y aurait moins de violences policières.
Je ne suis pas un spécialiste, mais on s’aperçoit que lorsqu’il y a des discours de couvertures totales par le ministère de l’intérieur, le nombre de violences policières augmente, du simple fait que les policiers sont couverts. En ce moment on sait que les syndicats sont sur les dents à cause des attentats de janvier, que les flics sont épuisés, qu’ils font un certain nombre de conneries et ils savent très bien qu’il n’y aura pas de sanctions.
Malgré toutes ces entraves, le combat judiciaire continue notamment sous l’impulsion du collectif ?
La plupart du temps, dans les affaires de violences policières ce sont des jeunes qui subissent les violences, c’est souvent plus compliqué d’avoir un suivi : les témoins partent à droite à gauche, vont et viennent. Pour l’affaire Ali Ziri, il y a un collectif de soutien très engagé. La solidarité des membres du collectif, ça aide et ça pousse aussi l’avocat. C’est plus compliqué quand tu as un interlocuteur absent, ou qui ne donne pas de nouvelles … Il faut aussi prendre en compte que souvent les gens veulent passer à autre chose. Dans le cas d’Ali Ziri, la détermination de la famille et du collectif a été très importante.
Par principe, je préfère ne pas aller en appel. Je pense que plein de choses peuvent être dites et faites dès la première instance. Je trouve dommage qu’on soit dans l’obligation d’aller en appel et de la même manière je trouverai dommage qu’on aille devant la Cour européenne des Droits de l’Homme dans le dossier Ziri. Mais c’est extrêmement important de savoir la vérité. Soit il y a eu violence policière, soit il n’y en a pas eu. C’est le sens de la Cour européenne des Droits de l’Homme. A partir du moment où quelqu’un décède ou est blessé alors qu’il est sous la sauvegarde de la police, il faut que toutes les investigations soient faites pour comprendre ce qu’il s’est passé. C’est de la responsabilité de l’Etat. La France a déjà été condamnée. Dans le dossier où la France a été condamnée, le juge d’instruction a fait un nombre d’actes lui-même, mais ici ça n’a pas été fait jusqu’au bout.