Emilie Rive, 27/11/1998
La cour d’appel de Paris a condamné hier un Malien à un an de prison ferme « pour refus d’embarquement ». Une décision « qui dépasse toute mesure par rapport aux faits » dénonce son avocat. Associations et Syndicat de la magistrature protestent.
LA cour d’appel de Paris a condamné, hier matin, quatre Maliens sans-papiers à des peines de trois mois à un an de prison ferme et cinq ans d’interdiction du territoire pour « refus de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière ». Un mandat d’arrêt a été délivré à l’audience à l’encontre de Sirine Diawara, trente ans, condamné à un an de prison ferme, qui a été immédiatement incarcéré.
Les 26 et 28 mars dernier, à l’aéroport de Roissy, une escorte de plusieurs policiers en civil embarquaient, menottes aux poignets et aux pieds et bâillonnés, douze Maliens dans un appareil d’Air Afrique en partance pour Bamako. Un témoin, à l’époque, racontait: « Les CRS se sont mis à trois, parfois à cinq, pour faire monter chaque expulsé. Le bus des passagers est arrivé un quart d’heure seulement avant l’heure d’envol. Ils sont montés, puis descendus après avoir discuté avec le commandant de bord. Les sans-papiers ont été ensuite redescendus et les passagers sont partis avec plus de trois quarts d’heure de retard. » Les passagers avaient été alertés par des tracts distribués par les associations pour les droits de l’homme.
Les douze Maliens avaient été arrêtés lors de l’évacuation, par les forces de police, des églises Notre-Dame-de-la-Gare et Saint-Jean-de-Montmartre, qu’ils occupaient à Paris pour demander leur régularisation. Ils devaient passer en jugement le lendemain des faits, mais Me Maugendre, l’un de leurs avocats, avait demandé le report. Il remarquait que les dossiers instruits comportaient des questions « bizarres »: « On a fait dire aux gens qu’ils n’ont pas subi de violences policières. Comme si on se protégeait à l’avance contre toute poursuite… » « Il y a des dossiers qui seraient régularisables selon la loi Chevènement, poursuivait l’avocat, leur titulaires ayant travaillé dix, douze ans en France, sans interdiction de territoire ni casier judiciaire pour d’autres faits. »
Au procès, en juin, les Maliens avaient contesté avoir résisté à l’embarquement, indiqué qu’ils ne voulaient pas partir sans bagages et protesté contre les méthodes des policiers. Le tribunal correctionnel de Bobigny, le 8 juin, les avait relaxés pour vice de procédure. En appel, l’avocat général avait requis des peines de quatre mois de prison et d’interdiction du territoire.
Hier, deux d’entre eux ont été condamnés à trois mois de prison ferme, les deux autres à six mois et un an de prison ferme. Concernant ces derniers, la cour d’appel a pris en compte une note des renseignement généraux établie par un fonctionnaire qui n’a pas assisté à l’embarquement, mais fut interrogé après coup par les policiers. Elle fait état de « voies de fait, violences et injures à agents de la force publique ». La salle a été évacuée après les protestations du public. « Je suis outré, s’indigne Me Maugendre. C’est une répression sans commune mesure avec les faits et une volonté contraire à tout apaisement sur ce dossier. C’est la première fois en quinze ans que je vois une condamnation aussi sévère. »
Le MRAP parle de « décision inique » et de » déclaration de guerre juridique contre les sans-papiers et leurs soutiens ». De son côté, le Syndicat de la magistrature exprime sa « plus vive indignation ». Il rappelle que « les faits reprochés aux intéressés ne portaient que sur une situation d’irrégularité sur le sol français (qui ne constituait qu’une contravention jusqu’en 1981) et sur le refus d’embarquer de ces derniers. »