Pierre-Antoine Souchard, 27/11/1998
Le Mrap et les Verts assimilent les peines prononcées à « une provocation »
En quinze ans de barreau, je n’ai Jamais vu ça », commentait hier, abasourdi, Me Stéphane Maugendre, à sa sortie de la 12e chambre de la cour d’appel de Paris.
Son client, Sirine Diawara, 30 ans, un Malien en situation irrégulière, venait d’être condamné pour refus d’embarquement à un an de prison ferme, avec mandat de dépôt à l’audience, et à cinq ans d’inter-diction du territoire français. Trois autres Maliens, poursuivis pour les mêmes charges, étaient condamnés respective¬ment, l’un à six mois de prison et les deux autres à trois mois de prison ferme.
Le 28 mars dernier, douze Maliens, interpellés dix jours plus tôt alors qu’ils occupaient l’église Saint-Jean-de-Mont- martre à Paris (XVIIIe), étaient installés, menottés et ligotés, dans le vol RK 161 d’Air Afrique, au départ de Roissy, à destination de Bamako (Mali).
Devant les méthodes employées par les policiers, une quinzaine de passagers du vol avaient manifesté leur désapprobation et refusé d’embarquer. « Débarqués », les douze Maliens étaient poursuivis pour « refus de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière ».
En première instance, le tribunal correctionnel de Bobigny avait annulé l’ensemble de la procédure et les avait tous relaxés. Le parquet avait immédiatement fait appel. Le 29 octobre, Sirine Diawara, sans avoir reçu de convocation, s’était présenté à l’audience de la cour d’appel. Lors de celle-ci, l’avocat général avait requis à son encontre quatre mois de prison et cinq ans d’interdiction du territoire. Dans l’arrêt rendu hier, les magistrats de la 12e chambre ont expliqué, pour justifier leur lourde sentence, avoir « tenu compte des circonstances dans lesquelles le refus d’embarquement a eu lieu ».
Ces circonstances sont consignées dans un rapport de la 12e section des Renseignements généraux, établi le 28 mars. Concernant Sirine Diawara, on peut y lire : « Il a été un des plus violents. Il a porté des coups aux fonctionnaires d’escorte. Il a proféré une kyrielle de propos outrageants et insultants envers l’État français. Lorsque les passagers sont montés, il a appelé à l’émeute afin qu’ils lui portent assistance pour se libérer. »
Sans précédent
Selon Mes Dominique Noguères et Stéphane Maugendre, le commissaire, auteur de ce rapport, n’était pas présent dans l’avion d’Air Afrique, mais a simplement repris les propos de ses confrères qui auraient exagéré la gravité des faits.
Devant la cour d’appel, M. Diawara a nié avoir porté des coups et précisé qu’il voulait récupérer ses affaires avant d’embarquer.
Les réactions ne se sont guère fait attendre après cet arrêt. « Cette décision s’apparente à une déclaration de guerre juridique contre les sans-papiers et leurs soutiens (…), cette condamnation est une provocation », déclarait, hier après-midi, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap). « La cour d’appel s’est, de toute évidence, inscrite dans une logique d’exemplarité où la sévérité le dispute à la démesure », a jugé le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche). Les Verts ont qualifié les condamnations de « peines sans précédent ». « Une ré pression accrue à l’encontre des sans-papiers ne saurait tenir lieu de politique d’immigration », ont-ils estimé.
De l’aveu même d’un magistrat de la cour d’appel de Paris une peine d’un an de prison as sortie d’un mandat de dépôt à l’audience est « très rare », en ce qui concerne le séjour irrégulier et le refus d’embarquement.
La 12e chambre de la cour d’appel a dû être évacuée à l’annonce de l’arrêt. M. Diawara, immédiatement placé au dépôt du Palais de Justice de Paris, n’a pas été autorisé à rencontrer ses avocats. Ceux-ci ont décidé de se pourvoir en cassation. Ils ont cinq jours pour le faire.