Elodie Soulié , 29/09/2006
GETU HAGOS serait mort de n’avoir pas supporté une « technique d’usage ». La « technique du pliage », une prise dûment décrite dans le très réglementaire Guide des techniques policières d’intervention (GTPI), afin de maîtriser les rebelles particulièrement virulents.
Le 16 janvier 2003, Getu Hagos, jeune Ethiopien de 23 ans plutôt athlétique, mais surtout prêt à tout pour échapper à l’expulsion qu’il redoutait, est mort d’avoir passé vingt longues minutes le torse plié sous la pression de ses épaules, la tête touchant les cuisses, maintenu de force et menotté dans un siège d’avion à la ceinture serrée.
Hier après-midi, les trois policiers de la PAF qui devait assurer l’embarquement du « non admis sur le sol français » étaient jugés au tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis), poursuivis pour un homicide involontaire. Hagos n’a pas reçu de coups, n’a fait les frais d’aucune violence gratuite, mais les experts ont clairement désigné la cause du malaise auquel il a succombé, à quelques minutes du décollage : un « arrêt cardio-respiratoire dû à un appui marqué et la flexion de la tête sur le cou ». Entre les termes cliniques et ceux des règlements policiers, le point commun fut que la force, peut-être nécessaire pour maîtriser cet homme si virulent, fut sans doute aussi démesurée. Les magistrats rendront leur jugement le 23 novembre.
La substitut du procureur Nadine Perrin a demandé une peine de principe, avec sursis et d’une durée laissée au choix des juges pour les deux policiers qui maintenaient au plus près Getu Hagos. Le troisième, physiquement séparé par une rangée de sièges, n’aurait pu pratiquement « participer aux gestes qui ont causé la mort de Getu Hagos », a estimé Mme Perrin en l’épargnant de toute réquisition.
Droits, debout, affirmatifs, les trois policiers contestent les témoignages des personnels de bord évoquant que deux d’entre eux s’étaient littéralement assis sur le dos du jeune homme. Une telle pratique serait autrement moins légale que la pression « fréquemment employée lorsque les gens sont très virulents », a répété l’un d’eux. En janvier 2003, le jeune gardien de la paix de 23 ans avait le statut de chef d’escorte ; avant Getu Hagos il avait escorté plus de 60 expulsés réputés difficiles.
La « technique du pliage » interdite
Et depuis le début de soirée, celui-ci avait donné pas mal de fil à retordre aux policiers : d’abord en faisant un malaise, spectaculaire mais dont le médecin, par deux fois, a estimé qu’il n’était que simulation. Puis en se débattant, au point de faire passer l’escorte de deux à trois policiers, de le menotter dans le dos, de l’entraver de bandes Velcro, de le porter couché, homme-brancard désespéré mais « hurlant et gesticulant », diront les policiers, entre le fourgon et la passerelle. Puis de l’asseoir, selon cette « technique du pliage ». Depuis cet « accident », ladite technique est interdite. Le ministère de l’Intérieur a suivi les conseils de la Commission nationale de déontologie policière et édicté de nouvelles règles, des fiches techniques reprenant les « atteintes traumatiques possibles », institué des « superviseurs », une formation de deux jours des policiers d’escorte, enrichi l’équipement de ceintures de contention, autorisé la vidéo… En janvier 2003, rien de cela n’existait.
Le procès de trois policiers du commissariat de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), accusés d’avoir commis des violences sur des habitants de la ville, en 2001, a été renvoyé pour la quatrième fois par le tribunal correctionnel de Bobigny, en raison d’une erreur de ce dernier.
Une magistrate a avoué « sa honte et sa désolation devant les dysfonctionnements récurrents » qui ont affecté ce dossier, trois fois depuis novembre 2005, rejoignant ainsi les avocats des parties civiles.