La Cour de cassation a décidé jeudi que le séjour irrégulier d’un étranger ne pouvait plus suffire à son placement en garde à vue, ce qui va obliger le gouvernement à créer un nouveau dispositif pour les sans-papiers susceptibles d’être soumis à une procédure d’expulsion. La première chambre civile de la haute juridiction avait été saisie de plusieurs pourvois formés par des étrangers qui avaient été placés en garde à vue pour le seul motif qu’ils étaient en situation irrégulière. Dans des arrêts rendus publics par son président Christian Charruault, elle leur a donné raison, suivant en cela un avis de la chambre criminelle rendu il y a un mois.
Me Patrice Spinosi, avocat de l’association d’aide aux étrangers Cimade, s’est réjoui devant la presse de cette décision qui concerne 60 000 personnes par an. Elle est à ses yeux « absolument fondamentale », car elle signifie que « le regard de l’ensemble de la société française a vocation à changer pour les sans-papiers : il a été affirmé clairement qu’ils ne peuvent plus être assimilés à des délinquants ».
Décisions contradictoires
La pratique de la garde à vue était plus que jamais remise en cause par les associations de défense des étrangers, depuis que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait rendu, en avril puis en décembre 2011, deux arrêts affirmant qu’un étranger en séjour irrégulier ne pouvait être emprisonné sur ce seul motif. Or, la réforme entrée en vigueur en France au printemps 2011 limite le recours à la garde à vue aux seuls cas où une personne est soupçonnée d’une infraction punie d’une peine d’emprisonnement.
Le précédent gouvernement avait jugé l’arrêt de la CJUE compatible avec la pratique de la garde à vue. Mais, sur le terrain, les tribunaux rendaient des décisions contradictoires, tantôt favorables aux étrangers, tantôt non. Désormais, les personnes sans papiers « doivent certes être raccompagnées (à la frontière) puisqu’elles ne sont pas dans une situation légale en France, mais elles doivent l’être dans le cadre d’une procédure administrative et non plus pénale » et « dans le respect du droit européen », a souligné Me Spinosi. Il existe déjà des « solutions alternatives à la garde à vue », qui sont les vérifications d’identité et les auditions libres, mais elles sont limitées à quatre heures. Il est donc « nécessaire qu’une réforme fondamentale soit engagée sur cette question », a estimé l’avocat.
Voie législative
Le ministère de l’Intérieur s’était préparé à cette décision et ne cache pas la nécessité de « passer par la voie législative » pour y répondre. « La voie réglementaire ne suffira pas », a indiqué l’entourage de Manuel Valls. Un texte pourrait ainsi être préparé avec présentation au Parlement sans doute « pour la rentrée ». Il faudra « une nouvelle mesure de pré-rétention administrative, qui permettra d’arrêter la personne et de vérifier son identité, pendant une durée de huit à dix heures maximum », puis « le cas échéant, d’enclencher la procédure de retour », a estimé Me Spinosi.
« Ce qu’on peut craindre, c’est que le législateur invente une procédure d’exception, dérogatoire au droit commun », a cependant relevé Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti). « Le sentiment que j’ai, c’est qu’il y aura une demande des parquets de chercher un délit connexe », a-t-il également souligné. « La Cimade restera vigilante sur le nouveau régime juridique qui ne manquera pas d’être créé pour priver de liberté les personnes étrangères interpellées », a averti l’association.