AFP, 06/12/2013
PARIS – Une juge parisienne a écarté vendredi toute responsabilité de l’armée française dans la mort de 63 migrants sur leur canot en Méditerranée, suscitant la colère des rescapés de ce drame survenu au moment de l’intervention en Libye en 2011.
Deux survivants de cette embarcation de fortune, où 72 personnes avaient pris place pour fuir la Libye en guerre et rallier l’Europe, avaient déposé en juin à Paris une plainte avec constitution de partie civile pour non assistance à personne en danger.
Soutenus par quatre ONG, ils estimaient que plusieurs armées européennes engagées en Libye, et la marine française en particulier, avaient eu connaissance du péril pesant sur leur canot en panne.
Comme l’avait requis en novembre le parquet de Paris, la juge d’instruction Sabine Kheris a cependant rendu vendredi une ordonnance de non-lieu ab initio, c’est-à-dire sans avoir entrepris elle-même d’investigations, a indiqué à l’AFP une source judiciaire.
La magistrate a considéré que les faits dénoncés par les plaignants ne pouvaient avoir été commis par la marine française, selon la source judiciaire.
Le 26 mars 2011, peu après le début de la révolte contre l’ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi, 70 migrants africains et deux bébés avaient embarqué à bord d’un fragile canot pneumatique dans l’espoir d’atteindre les côtes européennes.
A court de carburant le 28 au matin, le bateau avait dérivé jusqu’à son échouement sur les côtes libyennes à la suite d’une tempête le 10 avril. Seules neuf personnes ont survécu.
Les plaignants affirmaient que pendant les deux semaines de leur dérive cauchemardesque, l’embarcation avait été photographiée par un avion de patrouille français, survolée à deux reprises par un hélicoptère et qu’ils avaient croisé au moins deux bateaux de pêche et plusieurs autres navires, dans une zone que surveillaient des dizaines de bâtiments de plusieurs marines.
La juge Kheris a estimé que la responsabilité de l’armée française ne pouvait être retenue.
Elle a notamment fondé son raisonnement sur le manque de précision du témoignage des rescapés, certains faisant état selon elle de la présence d’un porte-avion français, d’autres n’étant pas formels sur son pavillon.
Elle s’appuie par ailleurs sur une enquête menée par le Conseil de l’Europe qui n’a pas permis d’identifier les navires qui auraient croisé la route des naufragés.
Elle cite en outre les démarches du parquet de Paris auprès du ministère de la Défense, qui avaient notamment amené le ministère public à classer en novembre 2012 une première plainte.
A deux reprises, l’état-major a écarté la présence de navires ou d’aéronefs français dans la zone de dérive du canot, qui a été modélisée par des chercheurs d’une université de Londres.
L’avocat des plaignants, Stéphane Maugendre, a vu un scandale absolu dans ce non-lieu, et annoncé à l’AFP qu’il ferait appel.
Ce drame est l’objet de plaintes similaires en Espagne, en Italie, et très récemment, en Belgique. Des demandes d’information ont aussi été adressées par les associations aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et à l’Otan.