01/12/1993
«Nos clients étaient poursuivis pour délit de solidarité, maintenant, on peut carrément parler de délit d’opinion.» C’est Me Maugendre qui parle. Il vient d’apprendre que le Conseil des ministres a décidé d’interdire le Comité du Kurdistan et les vingt-trois associations kurdes regroupées dans la Fédération des associations culturelles des travailleurs du Kurdistan. La nouvelle est tombée au beau milieu de la conférence de presse donnée hier par les avocats des vingt-quatre Kurdes mis en examen après la rafle policière de la semaine dernière. Vingt sont incarcérés, deux font l’objet d’un arrêté d’expulsion, dont une, Rojine Ayaz, est assignée à résidence dans les Deux-Sèvres.
D’entrée de jeu, Me Jacoby, président de la Fédération internationale des ligues de droit de l’homme, donnait le ton: «Nous sommes en présence d’une affaire politico-juridique. Une fois de plus, le pouvoir se sert de la justice pour réaliser une opération politique.» Selon lui, la principale raison de la rafle est à chercher dans le fait que la France est aujourd’hui le premier exportateur vers la Turquie. «Il y a trois semaines, le ministre de la Défense, M. Léotard, a réalisé un fructueux contrat de vente d’armes à Ankara. Dans cette affaire, la France était en concurrence avec d’autres pays. La rafle des Kurdes a été la cerise sur le gâteau.»
Me Jacoby s’indigne du «cynisme» de la France, qui recommence «avec la Turquie ce qu’elle a fait autrefois avec l’Irak de Saddam Hussein». Il dénonce les méthodes utilisées: «Des journalistes avaient été prévenus avant l’opération. Le journal turc «Hurriyt» du 20 novembre publiait des extraits du rapport de la DST qui avait servi de base à toute l’opération. Un rapport qualifié d’ultra-secret, qui annonçait que le PKK s’apprêtait à assassiner un diplomate turc et à enlever un journaliste en France. Le 27 novembre, le même journal annonçait que la France allait remettre six membres du PKK à la Turquie et publiait leurs noms. On a aussi photocopié des «preuves» qu’on a remises à certains journaux: «France-Soir» a ainsi publié une facture censée prouver qu’il y avait eu un racket, mais c’était en réalité une note de blanchisserie.»
A son tour, Me Martineau révèle que des documents concernant des personnes protégées par la Convention de Genève sur les réfugiés ont été livrées à la police turque et souligne la gravité d’une telle violation. Me Voituriez insiste sur le fait que les dossiers sont vides. Le seul chef d’inculpation qu’on ait trouvé est «association de malfaiteurs pour collecte de fonds au bénéfice d’une organisation terroriste». Mais, s’indignent les avocats, au regard des atrocités commises par l’armée turque au Kurdistan et qui n’ont fait que s’aggraver ces derniers temps, n’est-il pas naturel que la communauté kurde de France manifeste sa solidarité en versant aux collectes? «On vient de créer le délit de solidarité!», s’exclame Me Mangin.
En conclusion, Me Jacoby se déclare consterné par la décision du Conseil des ministres: «Tout cela est triste pour l’avenir des libertés en France. Mais nous ne laisserons pas faire. Et nous espérons que les magistrats nous suivront et refuseront de servir de bras à une telle opération politique.»