Alexandrine Bouilhet, 31/08/1998
Ils estiment que la tenue des audiences à Fleury-Mérogis ne permettra pas à la justice d’être impartiale
C’est dans la plus grande confusion que débutera demain, dans un gymnase de Fleury-Mérogis (Essonne), le procès fleuve des 138 islamistes, membres présumés du réseau des « frères Chalabi ». Une trentaine d’avocats envisagent déjà de ne pas assurer la défense de leurs clients. D’autres pensent demander un renvoi du procès. Les déclarations de principe et dépôts de [conclusions vont se multiplier. Le sujet de discorde concerne toujours le choix du site arrêté par le premier président de la cour d’appel de Paris : un gymnase de l’École nationale de l’administration pénitentiaire, transformé, pour l’occasion, en tribunal correctionnel (nos éditions du 25 août).
La métamorphose de cette salle de sports en salle d’audience ultra-surveillée a coûté 10 millions de francs à la Chancellerie. Le lieu a été choisi en application d’une loi spécialement votée en décembre dernier, à la demande du ministre de la Justice. Ce texte permet, pour des motifs de sécurité, de tenir les procès à caractère terroriste hors du palais de justice de Paris, tout en restant dans le ressort de la cour d’appel.
« Grand show de la rentrée »
Furieux d’avoir été mis devant le fait accompli, les avocats sont entrés en rébellion. Ils critiquent le choix d’un site situé à proximité d’une enceinte pénitentiaire, qui reflète, selon eux, les « dérives idéologiques » de la justice antiterroriste, représentée en l’occurrence par les juges Jean-Louis Bruguière et Gilbert Thiel. « Le problème, ce n’est pas seulement le gymnase de Fleury. C’est cette méthode des juges antiterroristes qui décident de réunir quatre dossiers totalement Indépendants en un seul. Et on se retrouve avec 138 prévenus », tempête Me Françoise Cotta, qui défend Mohamed Kerouche, chef présumé du réseau.
« Je n’emmènerai jamais ma robe là-bas », prévient Me Mourad Oussedik, avocat désigné par trois prévenus actuellement placés en liberté surveillée. « Mes clients sont avertis. Ils se débrouilleront sans moi, poursuit-il. Je ne participerai pas à ce grand show de la rentrée organisé par la section antiterroriste du Palais de justice de Paris. Si on accepte qu’un tribunal siège dans une enceinte pénitentiaire, on pérennise cette juridiction d’exception. »
Cette politique de la chaise vide ne sera pas une attitude majoritaire, mais elle ne manquera pas de compliquer l’organisation du procès. Plusieurs prévenus risquent de se retrouver sans défenseur alors qu’ils risquent dix ans de prison. Deux représentants du conseil de l’Ordre, Mes Benoît Chabert et Jean-Paul Lévy, se rendront à la première journée d’audience pour régler les problèmes qui se poseront avec les avocats commis d’office. « Dans ce contexte, plusieurs avocats vont demander le renvoi du procès et, personnellement, je trouve cela légitime », indique Me Jean-Paul Lévy.
Politique de la chaise vide
Tous les avocats ne sont pas d’accord pour demander un renvoi. « Je comprends bien la protestation de mes confrères, mais la défense n’a pas à être absente. La politique de la chaise vide n’a jamais permis une meilleure défense, estime Me Lev Forster. Je ne soutiendrai pas plus une demande de renvoi car mon client est en détention depuis trois ans et je trouverais inacceptable qu’il fasse six mois de plus. »
La position des 35 signataires de la pétition du mois de juillet refusant de cautionner ce « simulacre de justice » reste également à définir. Une réunion doit se tenir ce soir dans les bureaux de Me Cotta.
« Nous allons nous décider sur les conclusions à déposer, les déclarations que l’on va faire », explique-t-elle. Parmi les signataires, Me William Bourdon a finalement décidé d’assurer la défense de sa cliente, « car elle me demande de le faire. Mais l’impartialité du procès n’est pas garantie et nous allons déposer des conclusions dans ce sens