Au début de l’intervention occidentale en Libye en 2011, soixante migrants étaient morts après avoir dérivé pendant deux semaines.
Deux survivants et des associations ont déposé mardi 18 juin une plainte contre X avec constitution de partie civile, forçant la saisine d’un juge d’instruction.
« Nous nous étions réunis il y a un an pour exactement la même raison : déposer plainte. » C’était en avril 2012, mais la plainte avait été classée sans suite quelques semaines plus tard par le parquet de Paris. Cette fois, Patrick Baudouin, président de la FIDH, et trois autres associations ont déployé les grands moyens : au lieu d’une plainte simple, ils ont déposé une plainte avec constitution de partie civile. La différence ? Un juge d’instruction, indépendant de l’autorité politique, est automatiquement saisi.
« Il est regrettable que le parquet de Paris se soit contenté l’an dernier des réponses du ministère de la défense » – selon lequel aucun bateau français n’était sur zone –, déplore Stéphane Maugendre, président du Gisti et avocat des survivants. « Les réponses de toutes les autorités européennes ont été lacunaires et erronées », juge Lorenzo Pezzani, chercheur et coauteur d’un rapport sur le drame.
plainte pour « non-assistance à personne en danger »
Cette absence d’enquête approfondie a poussé les associations (FIDH, Ligue des droits de l’homme, Migreurop et Gisti) et deux rescapés à déposer une nouvelle plainte mardi 18 juin matin au TGI de Paris pour « non-assistance à personne en danger ». Déposée contre X, la plainte vise en réalité l’armée française. Une plainte a été déposée simultanément en Espagne, une autre l’a déjà été en Italie et une doit l’être en Belgique.
Dans la nuit du 26 au 27 mars 2011, au tout début de l’intervention internationale en Libye, 72 migrants subsahariens embarquent à Tripoli sur un Zodiac de dix mètres de long. Leur but : l’île italienne de Lampedusa. Les passeurs leur ont assuré une traversée de 24 heures maximum. Dès le soir du 27 mars pourtant, la situation devient périlleuse. Un message de détresse est envoyé aux garde-côtes italiens et retransmis automatiquement toutes les quatre heures à tous les navires de Méditerranée. Mais personne ne leur viendra en aide. Ils dériveront pendant presque deux semaines.
Onze personnes seulement ont survécu
Pourtant, depuis début mars, la zone est sillonnée par des dizaines de navires militaires occidentaux intervenant contre les forces de Mouammar Kadhafi. Les migrants disent avoir été survolés par plusieurs aéronefs. Au moins deux bateaux militaires ont été aperçus par les migrants, dont « un grand navire gris » qui serait, selon les associations, le porte-avions Charles-de-Gaulle.
Poussé par une tempête, le navire échoue finalement à Zlitan en Libye. Onze personnes seulement ont survécu, et deux d’entre elles meurent presque immédiatement. « Au bout d’une semaine, nous n’avions plus de vivres, raconte Abu Kurke, l’un des rescapés, qui a déposé plainte. Les premiers morts étaient ceux tombés à l’eau au tout début. Puis les gens ont commencé à mourir de faim et de soif. » Après avoir été emprisonnés par les autorités libyennes, Abu Kurke et les autres rescapés sont remis de force dans un bateau et atteignent finalement l’Europe, où ils obtiendront l’asile.
« Les navires de l’Otan avaient pour mandat de protéger les civils, insiste le P. Mussie Zerai, un prêtre érythréen installé en Italie, qui avait été appelé du Zodiac par les migrants et avait accueilli les survivants. Ceux qui connaissent la vérité doivent la dire, afin de briser la loi du silence. »