LE SILENCE se fait pesant Déjà. plus de deux minutes que la salle des assises du palais de justice de Créteil est silencieuse, suspendue aux lèvres de Nathalie Delhomme, attendant une réponse qui ne vient pas. Les deux accusés Marc Petaux et Aziz Oulamara, à qui l’on reproche d’avoir gratuitement tué la policière Catherine Choukroun dans la nuit du 19 au 20 février 1991 sur le bord du périphérique, restent pétrifiés dans leur box. Le président Jean-Pierre Getti maintient la pression sur le témoin : « Nous attendons votre réponse, madame. Oui ou non, Oulamara était-il dans la voiture ? » Les secondes continuent à s’égrener dans un silence de plus en plus lourd. « Je ne sais plus », finit par murmurer Nathalie d’une voix quasi inaudible.
Le président : « Vous vous tenez tous les trois par la barbichette »
Nathalie Delhomme a la mémoire courte. L’an passé, devant la cour d’assises de Paris, alors qu’elle était dans le box des accusés et quelle risquait la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité d’assassinat elle avait trouvé les mots pour attendrir les jurés et faire verser quelques larmes en racontant sa déchéance dans la prostitution et la drogue. Deux jours avant le verdict elle avait créé un effet d’audience, avouant un bout de vérité qu’elle et ses deux coaccusés s’obstinaient à nier depuis le début du procès. Malgré la présence dans la salle de gens du milieu quelle disait craindre, elle avait murmuré aux jurés être à l’arrière de la voiture d’où étaient partis les coups de feu, « complètement défoncée ».
Ensuite, elle avait dénoncé Oulamara comme passager, et donc éventuellement auteur des coups de feu. Puis elle avait disculpé Petaux, affirmant qu’il n’était pas avec eux dans le véhicule. Ces aveux lui avaient valu d’être acquittée.
Il semble que ce changement de statut, qui l’a fait passer d’accusée à acquittée, ait entraîné un changement de version. Devenue le témoin numéro un de ce second procès, sa version reste capitale, mais Nathalie Delhomme, bien qu’elle ait prêté serment de dire toute la vérité, semble habitée par d’autres préoccupations. Certes, elle persiste à innocenter Petaux. mais elle n’accuse plus Oulamara et, surtout elle dit connaître le nom du conducteur de la voiture, mais ne plus s’en souvenir. Chacun a bien compris qu’elle connaît le nom des coupables, mais qu’elle ne veut pas les dire. Ou qu’elle cherche à se protéger dans un autre dossier où elle est mise en examen pour complicité d’assassinat ce qui pourrait bien lui valoir de repasser aux assises en risquant la perpétuité. Le président l’a bien compris qui tente de résumer ce qui se joue dans la coulisse du prétoire et qui pourrait expliquer l’impossibilité de Delhomme de dire enfin tout ce qu’elle sait « Vous vous tenez tous les tous par la barbichette. lance-t-il aux accuses et à Delhomme. L ‘audience de l’an dernier avait en effet permis de savoir qu’a ce moment
Oulamara avait accusé Petaux d’être l’auteur des coups de feu sur la policière Catherine Choukroun et que Petaux avait de son coté accusé Oulamara d’être l’auteur de l’assassinat de Laïdouni, l’ancien souteneur de Delhomme. Une affaire en cours d’instruction à Evry dans laquelle Delhomme et deux caïds du milieu sont également mis en examen.
Hier, Nathalie Delhomme avait l’air pitoyable, noyée dans un passé inextricable et rattrapée par la fille qu’elle fut lorsqu’elle arpentait la rue Saint-Denis, tapinant pour s’acheter cinq grammes d’héroine par jour et nourrir ses proxénètes. Crinière rousse au vent, verbe haut, elle faisait alors sa loi auprès des autres filles dealant un peu de came entre deux passes, n’hésitant pas à se battre pour défendre son bout de trottoir. Dans le milieu de la prostitution, elle était crainte. Elle n’était plus hier qu’une femme en guerre avec sa conscience.