Hélène Bry, 19/06/2001
IL S’APPELAIT Bienvenu. Un comble d’ironie pour ce Zaïrois sans papiers de 39 ans, mort égorgé sous une fausse identité en défendant le centre commercial de Rosny-sous-Bois contre une bande de jeunes, le 1er juillet 1998. Depuis dix ans qu’il était en France, les différentes demandes d’asile politique et de régularisation de Bienvenu avaient toutes échoué. Alors il avait fini par emprunter l’identité de son frère N’Kombe Makolo, de nationalité française, pour décrocher un emploi. Un emploi de vigile qui allait comme un gant à ce garçon baraqué, ceinture noire de judo et champion du Zaïre dans cette discipline. Aujourd’hui et demain, Fabrice Ozier Lafontaine comparaît devant la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis pour le meurtre de Bienvenu Makolo. Le procès, qui avait débuté en novembre 2000, avait été renvoyé après quelques heures de débats à la suite d’une journée « tribunal mort » des greffiers du tribunal de grande instance de Bobigny. « Je reconnais partiellement les faits », avait juste eu le temps de déclarer l’accusé avant d’être replacé en détention provisoire. « La triste vie et mort d’un sans-papiers » Avant de mourir le 3 juillet 1998 des suites de ses blessures, Bienvenu a pu confier sa version des faits aux enquêteurs. Le jour du drame, il se trouve avec deux collègues près du magasin Darty. Bienvenu repère un groupe de jeunes en train de semer la pagaille. Deux autres vigiles arrivent à la rescousse, mais il décide d’appeler la police. En attendant les renforts, les vigiles tentent de neutraliser le groupe en l’entraînant vers la sortie du centre commercial. Bienvenu a repéré un jeune qui essaie de s’éclipser. Les deux hommes se retrouvent face à face. Le fuyard sort son couteau, menace le vigile d’un « Casse-toi ou je te nique » et porte un premier coup de couteau au front, partiellement esquivé par Bienvenu. Ce dernier n’a, semble-t-il, pas vu arriver le deuxième coup, mortel, qui l’atteindra au cou. Quant à Fabrice Ozier Lafontaine, il indiquera aux enquêteurs que, le soir du drame, tout le monde avait bu dans le groupe de jeunes.
Pour Me Stéphane Maugendre, l’avocat de la famille de Bienvenu, « c’est la triste vie et mort d’un sans-papiers, même après sa mort ». Détail sordide, en effet, l’assurance n’a toujours pas versé à la famille de la victime le capital décès au motif que l’identité de l’assuré ne correspond pas à celle du mort… « Ce qui frappe dans ce procès, ajoute l’avocat, c’est qu’on est à mille lieues de l’image que se fait Monsieur Tout-le-Monde du sans-papiers qui trafique ou qui bidouille ou travaille au noir. Là, on a un sans-papiers qui s’occupe de la sécurité de Monsieur Tout-le-Monde, dans un département comme la Seine-Saint-Denis… et qui le paie de sa vie. »