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Avant Mariame Getu Hagos, un Argentin de 52 ans a, lui aussi, trouvé la mort au cours de son expulsion. Lui aussi menotté et maintenu plié en deux par deux policiers, selon une méthode devenue habituelle pour les expulsions difficiles. C’était le 30 décembre dernier, lors du vol AF 416 Paris-Buenos Aires, sur la compagnie Air France.
Il s’appelait Ricardo Barrientos. L’Institut médico-légal a indiqué dans son rapport d’autopsie que la cause du décès était un infarctus. La police a conclu à une mort naturelle et juge l’affaire «classée». Le Gisti et l’Anafé (l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) s’apprêtent pourtant à porter plainte contre X, pour «non-assistance à personne en danger» et «coups mortels». Amnesty International, depuis Londres, a adressé une lettre à Nicolas Sarkozy pour obtenir des éclaircissements sur ce décès. L’Anafé a également invité le Premier ministre à saisir sur ce sujet la Commission nationale de déontologie de la sécurité.
Siège central.
Selon le rapport de police, «aucun incident n’a été signalé par le pilote au moment de l’embarquement, ni avant ni après. La procédure a été respectée». Comme c’est le cas lors d’expulsions délicates qui nécessitent une escorte policière, Ricardo Barrientos a été placé au fond de l’avion, sur le siège central de la dernière rangée. Avant l’arrivée des passagers, il s’est démené, a gesticulé et crié en espagnol. Mais quelques minutes seulement. «Il avait les pieds attachés au siège avant, les mains menottées et une couverture sur lui. Les policiers faisaient pression sur lui, pour le maintenir replié, la tête en bas», témoigne un steward. «Il s’est vite calmé, se souvient encore ce navigant. Il s’est bien écoulé une demi-heure sans qu’on l’entende.»
Malaise.
Ainsi quand les époux Billmann, en partance pour une expédition touristique en Amérique latine, s’installent sur la même rangée, ils ne «remarquent pas d’agitation.» «Tout était calme. Il ne réagissait pas, je me suis dit qu’il était peut-être drogué», se souvient Sabine. Après de longues minutes, les policiers se rendent compte que Ricardo est au plus mal. L’Argentin est transporté vers l’avant de l’avion. «Deux autres policiers sont venus, en tenue ceux-là. Ils l’ont sorti, l’un le tenant par les épaules, l’autre par les pieds», se rappelle Sabine Billmann. «Il avait de longs cheveux pas très clean, je me suis dit : soit il est shooté, soit il est mort.» Selon le médecin qui l’a ausculté une passagère, appelée au secours, et dont Libération a retrouvé la trace , c’était bel et bien le cas. «Je me suis rendue à l’avant de l’appareil, sur la passerelle, se souvient ce docteur. Il était allongé. J’ai tout de suite vu qu’il avait l’air mort. Il avait le teint gris, n’avait plus de pouls.» Selon l’enquête de police, il n’y a rien à redire. «Nous voulons que soient élucidées les circonstances de cette mort», dit pourtant Me Stéphane Maugendre (avocat), rédacteur de la plainte des associations.
Avant cette expulsion qui lui fut fatale, Ricardo Barrientos vivotait de la vente de ses poèmes. Il s’imaginait bohème dans une époque qui ne s’y prête pas, et vivait sous les ponts de Paris, près de Notre-Dame. Il traînait dans les bistrots du quartier, rue de la Huchette, se mettant tout nu à la moindre contrariété. C’est d’ailleurs ce qui l’a mené en établissement psychiatrique, puis en prison. En 2002, il a été condamné à plusieurs reprises pour exhibition et également défaut de papiers. Il se disait ancien joueur international de football. Il avait rompu les liens avec sa famille à Buenos Aires, mais aussi en Espagne. Il ne voulait surtout pas retourner en Argentine. Il l’avait répété à Jérôme Martinez, un permanent de la Cimade, qui l’avait rencontré à Fresnes, en mai. «Il m’a dit qu’il était en France depuis plus de quatre ans. Qu’il ne voulait pas repartir, qu’en Argentine, on le prenait pour un fou. Il avait l’air paumé, fragile», se rappelle-t-il.
Rapatriement.
A Fleury-Mérogis, on se souvient d’un «détenu qui avait tendance à se déshabiller». Un compatriote qui l’avait croisé et tenté de l’aider se rappelle que personne ne le connaissait dans le milieu des Argentins, à Paris. Pour Ricardo Barrientos, un rapatriement sanitaire avait été demandé. Sans succès. Son corps est toujours en France, à la morgue.