Une petite fille avec un tutu jaune pâle entre dans la salle d’audience de Bobigny, agrippée à sa maman. Ses tresses laissent apparaître de grands yeux curieux. Sa maman la serre contre elle et s’avance vers les juges, accompagnée d’un interprète en langue chinoise.
Le président de la 14e chambre correctionnelle s’interrompt : « Dites-lui que ce n’est pas la place d’un enfant d’être là. » La petite ressort avec son père et joue derrière la porte vitrée, tandis qu’à l’intérieur, on évoque ce terrible vendredi 14 mars 2014, dans un immeuble rue du Chemin-Vert à Bobigny, lorsqu’elle a été frappée à la tête par un voisin armé d’une feuille de boucher. La fillette avait 4 ans et demi. Dans le box, Chun Sam, Nord-Coréen de 27 ans, garde la tête baissée, et dit qu’il ne se souvient de rien.
«Elle s’est fait frapper, j’ai vu le sang couler»
« Ce jour-là il faisait beau, raconte la maman de la fillette à la barre. Après l’école, on avait nourri les pigeons. Il y avait mon père et les trois enfants (de 2, 3 et 4 ans, NDLR). Ma fille aînée était devant la porte, elle a voulu ouvrir, je lui ai donné la clé, elle s’est fait frapper. J’ai vu le sang couler. » Les caméras de l’immeuble ont tout filmé. Chun Sam venait du premier étage, avec à la main une lame de 19 cm sur 10 qui d’ordinaire sert aux bouchers. Il a frappé l’enfant à la tête, deux fois, puis son grand-père qui tentait de s’interposer, à la tête également. Les plaies atteignaient 8 cm. Le grand-père se souvient que l’agresseur a crié quelque chose, mais « dans la panique », il n’a pas compris. Chun Sam a été arrêté par la police dehors. L’enfant et son grand-père s’en sont sortis avec un mois d’incapacité totale de travail, des nuits de cauchemars et des séquelles. « Pendant six mois, l’enfant ne voulait plus sortir », insiste l’avocat de la famille, Me Eric Agami qui aurait préféré un procès aux assises. Mais les juges ont requalifié les faits en violences aggravées.
Chun San avait bu et ne souvient de rien
Chez le juge, Chun Sam a demandé si la petite avait été blessée, preuve selon son avocat, Me Stéphane Maugendre, qu’il ne se souvenait pas. L’expert psychiatre a admis une altération du discernement mais pas d’irresponsabilité pénale. Dix-huit mois de détention plus tard, Chun Sam n’a pas retrouvé la mémoire. Il sait qu’il avait bu beaucoup de bière avec son logeur, au premier étage. « Ce jour-là, j’avais obtenu un titre d’asile pour un mois, j’étais vraiment content », marmonne-t-il. C’était un récépissé pour se faire soigner d’une tuberculose. C’était aussi le jour de l’anniversaire de sa mère, dont il reste sans nouvelle depuis qu’il a quitté la Chine, en 2013. Une vie d’exils que son avocat s’est employé à rappeler. « Son père mort quand il avait treize ans, il fuit clandestinement la Corée du Nord, échoue en Chine avec sa mère, où il est traité comme sous-esclave, puis part en France seul », résume l’avocat, qui, à défaut d’explications, « propose des pistes ». Derrière lui, Chun Sam pleure. Le procureur avait réclamé quatre ans de prison dont un avec sursis. Le tribunal a prononcé cinq ans de prison dont un avec sursis mise à l’épreuve, dont l’obligation de soin et l’interdiction d’entrer en contact avec les victimes et d’approcher de leur domicile. Une provision de 5 000 € a été consentie aux deux victimes.