La Cour de cassation a rendu sa décision définitive : pas de garde à vue pour un étranger pour le seul fait qu’il est en séjour irrégulier.
Pas de garde à vue pour un étranger pour le seul fait qu’il est sans-papiers. Dans sa décision définitive rendue jeudi 4 juillet, la chambre civile de la Cour de cassation a suivi l’avis de la chambre criminelle qu’elle avait sollicitée sur la légalité de la garde à vue des étrangers. Celle-ci a en effet estimé jeudi 5 juin dernier que le seul séjour irrégulier n’était pas suffisant pour justifier un placement en garde à vue.
1. Pourquoi cette décision ?
En France, être sans papiers est considéré comme un délit pénal (article L. 621-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). La loi française prévoit pour ce délit une peine d’un an de prison, une amende de 3.750 euros et jusqu’à trois ans d’interdiction de territoire. Depuis 1938, des étrangers sont incarcérés en France au seul motif qu’ils sont sans-papiers.
Mais deux arrêts (El Dridi et Achugbabian) rendus par la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) en 2011 ont établi qu’on ne pouvait pas emprisonner quelqu’un pour la seule raison qu’il est sans-papiers, même si cette personne n’a pas respecté son obligation de quitter le territoire. La CJUE estimait alors que c’était contraire à la directive européenne « retour » de 2008.
Si l’emprisonnement n’est plus encouru, la garde à vue n’est plus possible, précise la vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM) Virginie Valton, « car en droit français la garde à vue n’est possible que si une peine d’emprisonnement est encourue. »
2. Quand peut-on placer quelqu’un en garde à vue ?
Selon la loi d’avril 2011, une garde à vue ne peut être décidée que s’il « existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’une personne a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ».
« La garde à vue est une mesure de contrainte pénale pour les besoins d’une enquête », rappelle aussi le secrétaire général du Syndicat de la magistrature Matthieu Bonduelle. « Elle ne doit pas être détournée de son objet et être l’antichambre de l’expulsion. Il faut cesser de mettre en garde à vue les personnes pour mieux les expulser. C’est moralement scandaleux et juridiquement impossible. »
3. Que dit l’avis rendu le 5 juin par la chambre criminelle ?
La chambre criminelle estime qu’on ne peut pas placer en garde à vue une personne étrangère pour la seule raison qu’elle se trouve en situation irrégulière.
« Le ressortissant d’un État tiers ne peut (…) être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée pour entrée ou séjour irréguliers selon la procédure du flagrant délit » lit-on dans son avis.
Avec cette décision, la Cour de cassation suit donc la lecture de la directive « retour » par la CJUE.
4. Comment cela va-t-il se passer maintenant ?
Cette décision n’empêchera pas les reconduites à la frontière. Comme les étrangers contrôlés sans papiers ne peuvent plus être placés en garde à vue sur ce seul motif, les forces de l’ordre utiliseront une autre procédure : la vérification d’identité applicable à tous. Sa durée est limitée à 4 heures. Ce qui implique que la décision administrative (reconduite, placement en rétention,…) doit être prise dans ce laps de temps.
Depuis les arrêts de la CJUE, « certains juges de la liberté et de la détention les appliquent, d’autres non » constate Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) et avocat spécialisé en droit des étrangers en Seine-Saint-Denis. Les décisions diffèrent donc d’une juridiction à l’autre.
Mais depuis l’avis de la chambre criminelle, l’avocat a constaté une nouveauté : « les préfectures n’ayant pas anticipé, on voit fleurir un certain nombre de placements en garde à vue pour double délits : séjour irrégulier et outrage à agent par exemple ». Un délit ajouté pour justifier une garde à vue et disposer du temps nécessaire à la procédure.
Les procédures sont longues, déplore l’avocat, « au détriment des étrangers et des services de police. »
« On peut penser que de nombreuses juridictions suivront cette décision de la Cour de cassation qui va faire jurisprudence » commente aussi Virginie Valton, qui nuance : « Mais, sans texte de loi, il reste libre à chaque juridiction de la suivre ou non. »
5. Qui est concerné ?
Sur 100.000 procédures pour séjour irrégulier, on estime à environ 60.000 le nombre de gardes à vue par an. Les gardes à vue ont lieu dans l’attente d’une procédure d’expulsion.
« C’est ce qu’on appelle des gardes à vue ‘de confort' » explique aussi Stéphane Maugendre : « Les autorités ont le temps de produire l’arrêt de reconduite à la frontière. Tout le monde est tranquille, sauf l’intéressé, privé de liberté. »
En France, entre 500 et 600 personnes sont condamnées chaque année pour séjour irrégulier. Près de 200 d’entre elles écopent de prison ferme.
6. Vers une dépénalisation du séjour irrégulier ?
« C’est une vraie victoire. On va enfin considérer que le séjour irrégulier n’est plus un délit » réagit encore l’avocat, espérant une harmonisation des pratiques : « A Bobigny, quatre juges sur cinq annulent les procédures s’appuyant sur une garde à vue contraire à la directive ‘retour’. A Paris, c’est un sur cinq. »
« Toute convention internationale signée par la France a une valeur juridique supérieure à la loi française » rappelle aussi Matthieu Bonduelle, qui dénonce le fait que le ministère de la Justice ait, « pendant des mois, fait de la résistance, avec des objectifs chiffrés, dans le but de faciliter les expulsions ». Il faut selon lui « aller vers la dépénalisation du séjour irrégulier. » Pour l’USM, toutefois, c’est une « décision politique qui revient aux politiques. »
Stéphane Maugendre est également en faveur d’une dépénalisation du séjour irrégulier. Mais il espère surtout que « sous l’impulsion du ministère de l’intérieur, les législateurs ne vont pas créer un nouveau régime d’exception pour les étrangers. »
Fin juin, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a fait savoir qu’il comptait « proposer un outils législatif qui permette de s’assurer que les étrangers en situation irrégulière regagnent leur pays d’origine. » Sans plus de détails pour l’instant.