Pascale Egré, 16/11/2005
IL Y A UNE SEMAINE, Nicolas Sarkozy annonçait aux députés avoir demandé aux préfets l’expulsion « sans délai » de « 120 étrangers, pas tous en situation irrégulière » impliqués dans les violences urbaines. Samedi soir, lors d’une visite au commissariat du VIII ème, le ministre promettait qu’elles auraient lieu « peut-être dès lundi ».
« Il ne s’agit pas de faire du chiffre, c’est une question de principe », précisait-il. Et hier, il a indiqué à l’Assemblée nationale que dix procédures d’expulsion d’étrangers ayant participé aux émeutes des banlieues avaient été engagées.
Une « cellule de vigilance » pour préparer d’éventuels recours.
Mais du discours à l’application, le pas se révèle toutefois plus difficile que prévu. Vilipendé par l’opposition (PS, Verts), accueilli favorablement par les députés de la majorité – dont l’un, Jean-Paul Garraud (UMP Gironde), a même proposé de déchoir de leur nationalité des fauteurs de troubles naturalisés – cette mesure se heurte avant tout, comme l’ont souligné nombre d’associations de défense des droits de l’homme, aux termes de la loi elle-même. L’affaire de l’imam de Vénissieux, visé par trois arrêtés successifs, avait démontré à quel point le cadre de ce type d’expulsion administrative est strict. « Il ne peut être justifié que dans des situations très rares de menace grave à l’ordre public », décrypte Marie Dufflo, du Gisti (Groupement de soutien et d’information aux immigrés). En énumérant les comportements en question (portant atteinte aux intérêts de l’Etat, ou liés à des activités terroristes, ou de provocation à la discrimination, la haine, la violence), la juriste interroge : « Une voiture brûlée entre-t-elle dans ces catégories ? »
Au-delà du flou sur leur nombre (une centaine sur les 1 500 gardés à vue selon la DGPN le 10 novembre), le profil même des émeutiers étrangers placés en garde à vue constitue en soi un obstacle, en raison des protections interdisant l’expulsion de certaines catégories d’étrangers. Dès vendredi, le Conseil national des barreaux estimait que « la plupart des jeunes » condamnés pour violences urbaines étaient « inexpulsables ». « On ne voit pas bien où ils vont les trouver, poursuit Marie Dufflo. Au minimum, ces étrangers doivent être majeurs, ne pas avoir résidé habituellement en France avant l’âge de 13 ans et ne pas y avoir de famille. » Pilier d’une « cellule de vigilance
» mise en place hier par le barreau de Seine-Saint-Denis afin de préparer d’éventuels recours contre des arrêtés pris « en urgence absolue », Me Hacene Taleb s’indigne : « M.Sarkozy est pourtant avocat ! A-t-il oublié l’esprit de la loi ? »
Saisi en référé par SOS Racisme samedi, le Conseil d’Etat avait débouté l’association de sa requête, confirmant la légalité du télégramme adressé par le ministre de l’Intérieur aux préfets, tout en estimant ses déclarations à l’assemblée « sujettes à caution au plan de la légalité ». Nombre d’associations estiment ainsi au final que « le but était avant tout d’ordre politique ». « Il a joué le symbole, le clin d’oeil aux électeurs du Front national, l’amalgame », estime Mouloud Aounit, du Mrap. « Faire des étrangers les responsables des émeutes lui permet de préparer un contexte favorable à son futur projet de loi sur l’immigration, attendu comme encore plus restrictif que le précédent », analyse Stéphane Maugendre, du Gisti. « Ni les jugements catégoriques, ni l’état d’urgence, ni les mesures expéditives d’éloignement ne favoriseront le vivre ensemble », a réagi à son tour la Cimade, en déplorant « une stigmatisation intolérable ».