Deux policiers jugés après un décès lors d’une reconduite à la frontière

index Nicolas Weill, 24/05/1999

POUR la première fois, des policiers ont comparu, jeudi 20 mai, pour répondre du décès d’un étranger au cours d’une tentative d’éloignement forcé du territoire. Poursuivis pour homicide involontaire devant le tribunal correctionnel de Nanterre, le commissaire principal Eric Brendel et le lieutenant jean-Paul Manier étaient en service, le 24 août 1991, à l’aéroport de Roissy pour procéder à la reconduite à la frontière d’Arumugan Kanapathillai, un Sri-Lankais Ide trente-trois ans arrivé en France sans visa, le 9 août, sous le nom d’Arumum. Le lendemain, l’homme décédait à l’hôpital des suites d’un malaise survenu dans l’avion, alors que les policiers tentaient de le renvoyer vers Colombo.

Sur la victime elle-même, l’audience en apprendra bien peu, huit ans après les faits. Tout au plus sa veuve, mère d’une petite fille d’une dizaine d’années, elle- même déboutée du droit d’asile en Allemagne, viendra évoquer l’appartenance de son mari au parti des Tigres tamouls, son enlèvement et la terreur que lui inspirait l’idée d’un retour au Sri Lanka, synonyme, selon lui, de mort (Le  Monde du 2 octobre 1998).

Mais, bien plus que le décès d’un homme, le procès, dans lequel plusieurs associations de défense des droits des étrangers étaient parties civiles, a mis en cause les pratiques « musclées » de reconduite à la frontière.

Les débats ont été l’occasion de décrire en détails les conditions dans lesquelles s’effectuent ces éloignements quand ceux-ci sont soumis à une logique administrative de rendement Le 24 août 1991, après une première tentative avortée d’embarquement, Arumum, menotté par derrière, puis aux pieds et bâillonné avec une bande Velpeau, est installé avec les deux policiers de son escorte au fond de l’appareil UTA à destination de Colombo. C’est alors que les deux policiers tentent de le maîtriser et de l’empêcher de crier qu’il se débat et est pris d’un malaise.

Pourquoi un bâillon? Cette question hantera le procès comme elle a hanté l’instruction. Une bataille d’experts et plusieurs autopsies n’ont pas permis d’établir que cet accessoire, dont aucun texte n’a jamais autorisé l’usage, ait pu causé la mort d’Arumum, qui souffrait de faiblesse cardiaque.

«L’aspect psychologique est important, a expliqué Eric Brendel à la barre, pour tenter de justifier l’usage du bâillon. C’est le moyen de montrer au réembarqué, souvent réticent, que la police est prête à assurer le départ » Les deux policiers ont évoqué les conditions de plus en plus difficiles de ces opérations. Avocat des prévenus, Me Binet a mis en cause la fréquence des blessures et des morsures subies par les policiers de la part de « réembarqués » tentant leur va-tout pour rester sur le territoire français, ou paniqués à l’idée de retourner dans une région où ils estiment leur vie en danger.

DÉSHUMANISATION

« Nous n’avons rien fait de plus qu’à l’ordinaire, se justifie Eric Brendel. Notre situation était difficile : si nous restions cois, il n’y avait plus d’escorte. Il fallait exécuter une mission, un point c’est tout. » « C’était soit cela soit une admission sur le territoire qui mettait en route une pompe aspirante, et ça n’était pas notre vocation », appuie M. Lallemand, un témoin, officier de police qui servait en 1991 sous les ordres d’Eric Brendel.

Me Gilles Piquois, défenseur de la veuve du Sri-Lankais, a dénoncé la déshumanisation du processus de reconduite : « C’est de la violence inhumaine qui n’a rien de psychologique. Les reconduits ne sont pas des délinquants, a-t-il souligné. Nous sommes en présence de fonctionnaires qui n’ont pas respecté les textes. Il est naturel qu’un officier de police dise non à des ordres illégaux. »

Il demandera une « rente d’éducation » pour la fille de la veuve d’Arumum. Le premier substitut Hervé Garrigues a terminé son réquisitoire en laissant ouverte la possibilité de la relaxe. « Mais si le tribunal condamne, ajoute-t-il, je ne serai pas choqué si les prévenus sont dispensés de peine. »

Jugement le 24 juin.

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