La traversée devait durer moins de vingt-quatre heures, elle s’est transformée en une épopée tragique de quinze jours durant lesquels soixante-trois hommes, femmes et enfants, abandonnés à la dérive, sont morts de faim et de soif. Un radeau de la Méduse en pleine mer Méditerranée, localisé par les autorités européennes et dérivant à quelques milles marins des flottes les plus sophistiquées au monde…
L’histoire commence dans la nuit du 26 au 27 février 2011. Depuis un mois, le chaos qui règne en Libye provoque un exode massif, les migrants subsahariens fuient le pays par centaine de milliers. Entre minuit et deux heures du matin cette nuit-là, un zodiac quitte Tripoli à destination de l’Italie. À son bord, soixante-dix hommes et femmes, âgés de vingt à vingt-cinq ans et deux bébés. Le lendemain, peu avant 17 heures, un avion de patrouille français prend une photographie de l’embarcation et la transmet aux garde-côtes italiens, accompagnée du positionnement du bateau. Dans la soirée, celui-ci est survolé par un hélicoptère, les migrants pensent être sauvés. Mais l’hélico repart. Il reviendra dans la nuit leur lancer de l’eau et des biscuits.
Le 28 mars, en début de matinée, le bateau tombe définitivement en panne de carburant. Une longue dérive de quatorze jours commence, tandis que les appels de détresse continuent d’être renouvelés toutes les quatre heures par les garde-côtes italiens. Au cinquième jour, les premiers décès surviennent. Après dix jours en mer, plus de la moitié des occupants du zodiac sont morts. Les migrants croisent alors un navire militaire. « Il y avait trente morts sur le bateau à ce moment, raconte Dan Haile Gebre, un survivant. Nous avons crié et leur avons montré les corps des bébés morts. Mais ils nous ont juste pris en photo. » Aujourd’hui encore, nul ne sait sous quel pavillon naviguait ce bateau. L’Otan, comme les troupes américaines et européennes présentes alors en Méditerranée, n’ont pas répondu aux sollicitations des ONG. Le 10 avril 2011, après quatorze jours de dérive dans la faim, la soif et l’odeur putride des cadavres, une tempête rejette le bateau sur la plage de Zliten, en Libye. Parmi les onze survivants, deux mourront dans les heures suivant leur débarquement, alors que les neuf autres seront placés en détention.
Quatre de ces survivants ont porté plainte hier en France pour non-assistance à personne en danger. Une plainte contre X qui met en cause l’armée française, à l’époque la plus importante au large de la Libye. « La France connaissait l’existence et la position de ce bateau, dénonce Stéphane Maugendre, président du Gisti et avocat des survivants. Quel que soit le lieu où se trouvaient les avions, bateaux et sous-marins français, le fait qu’ils n’aient pas dévié leur route constitue une non-assistance à personne en danger. » D’autres plaintes pourraient être déposées prochainement dans les pays concernés.