(AFP),
Prise en charge « plus humaine » de milliers d’étrangers ou « justice d’exception » pour « industrialiser les expulsions » ? Deux salles d’audiences délocalisées, construites à deux pas des pistes de l’aéroport de Roissy, indignent magistrats, avocats et associations.
La première, qui doit ouvrir fin septembre, est rattachée au centre de rétention (cra) du Mesnil-Amelot, le plus important de France, coincé entre champs et entrepôts, à 400 mètres du tarmac, où des sans-papiers sont enfermés en vue d’être expulsés.
La seconde, dont l’ouverture est prévue en décembre, a été accolée à la zone d’attente pour personnes en instance (zapi) de l’aéroport, où sont temporairement enfermés les passagers non admis sur le territoire français par la police aux frontières. Plus de 6.000 personnes maintenues dans cette zone d’attente, dans la zone cargo qui longe une piste d’atterrissage, ont vu leur dossier examiné par un juge des libertés et de la détention en 2012.
A ce jour, les étrangers concernés sont transportés en fourgon au tribunal de grande instance de Meaux (pour le cra) ou de Bobigny (pour la zapi), où ces audiences ont lieu.
Les deux projets représentent un casus belli pour nombre d’associations d’aide aux immigrés, d’avocats et de magistrats, accusés de bafouer plusieurs fondements du système judiciaire, comme la publicité des débats ou l’indépendance des juges.
« La justice doit être rendue au c?ur de la cité, pas comme ça sur une piste d’aéroport », martèle Robert Feyler, le bâtonnier du barreau de la Seine-Saint-Denis, soutenu par le Conseil national des barreaux.
La ministre de la Justice, Christiane Taubira, a fait valoir à plusieurs reprises qu’elle ne faisait qu’exécuter une délocalisation actée sous l’ancienne majorité, qui a coûté 2,7 millions d’euros pour la seule salle de Roissy. Sans tout à fait cacher ses réticences. « Le lieu où l’on rend la justice n’est pas anodin », a-t-elle ainsi concédé cette semaine.
Eloignement
Actuellement, quand ils partent au tribunal de Bobigny, les étrangers de la zapi, qui espèrent être libérés dans la foulée, emportent valises et enfants, pour attendre parfois des heures dans une pièce couverte de graffitis au confort sommaire, gardés par des policiers.
Les autorités judiciaires la font volontiers visiter pour souligner le contraste avec les locaux modernes et aérés de la nouvelle annexe, à Roissy. Des audiences sur place « amélioreront les conditions humaines, de traitement », affirment-elles alors que les étrangers peuvent passer jusqu’à trois fois devant le juge en vingt jours.
« Ce n’est qu’une question de rentabilité, d’industrialisation des reconduites à la frontière », rétorque Stéphane Maugendre, qui préside l’association Gisti. « C’est la police aux frontières qui empêche les étrangers d’entrer en France, qui les place en zone d’attente, qu’elle gère d’ailleurs. C’est elle qui demande qu’ils y soient maintenus. Le magistrat risque d’être complètement phagocyté » s’il rend justice sur place, argue-t-il.
« C’est quand même dans une enceinte entourée de barbelés ! », s’étrangle Me Feyler. Au Mesnil-Amelot, les juges, qui pourraient y être détachés à plein temps, « déjeuneront tous les jours avec les CRS », pointe Laurence Blissou, juge à Meaux et déléguée du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche).
Les opposants ont multiplié tribunes, lettres ouvertes et pétition. Ils organisent le 17 septembre une visite pour journalistes et parlementaires, en bus, de ces salles, afin de mettre en exergue leur éloignement et la difficulté d’y accéder en transports en commun, ce qui interdit, selon eux, toute publicité des débats.
Ces annexes permettront d’importantes économies sur le coût des navettes et des escortes policières, selon le ministère de l’Intérieur qui a fait ouvrir plusieurs salles délocalisées depuis le début des années 2000. La plupart, invalidées en cassation, ont fermé. Une seule fonctionne encore, à Coquelles, à quelques kilomètres de l’entrée du tunnel sous la Manche.
Les avocats, dont une partie n’est rémunérée qu’avec l’aide juridictionnelle, devront s’y rendre par leurs propres moyens.