En abrogeant les circulaires du précédent gouvernement, Manuel Valls a eu tort de ne pas renouveler les dispositions protégeant les écoles des interventions policières.
« Humanité et fermeté. » Depuis la campagne présidentielle en 2012, c’est sur cette ligne de crête que s’organise la politique d’immigration voulue par François Hollande. Mise en œuvre et incarnée par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, cette politique revendique « une vraie rupture » avec la brutalité du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Mais, tout en valorisant la naturalisation « comme pierre angulaire d’un processus d’intégration », elle répète et martèle que la France ne peut pas accueillir tout le monde. Voilà pour la théorie, qui fait forcément le grand écart entre la générosité d’une France terre d’accueil et le refus assumé de régulariser tous les nouveaux entrants.
Dans la pratique, et en attendant l’examen d’une nouvelle loi sur l’immigration, c’est par une série de circulaires que le ministre de l’Intérieur applique sa politique, affichant à la fois des lignes de rupture avec le gouvernement précédent… et une forme de continuité.
Les points de rupture
Dès le 6 juillet 2012, par une première circulaire, Manuel Valls donne instruction aux préfets de ne plus placer en centre de rétention les familles qui sont en voie de reconduite à la frontière lorsque les enfants sont mineurs mais de les assigner à résidence. « Si on peut éviter de rajouter à ces enfants un traumatisme – le centre de rétention à un autre l’expulsion -, c’est tout de même mieux », explique Stéphane Maugendre, du Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés (Gisti). Le ministre supprime au même moment la circulaire Guéant sur l’interdiction faite aux étudiants étrangers de chercher du travail en France à la fin de leurs études. Humanité encore lorsque, par la circulaire du 28 novembre 2012 sur les conditions d’admission au séjour des étrangers, Manuel Valls définit des critères plus « objectifs », moins « aléatoires et kafkaïens » à l’examen des dossiers de régularisation.
Enfin, en abrogeant « le délit de solidarité » (autrement dit la pénalisation de l’aide au séjour irrégulier) par la circulaire du 11 mars 2013, en supprimant aussi « la politique du chiffre » sarkozienne (fixation d’un nombre de personnes à éloigner dans chaque département), Valls a voulu montrer qu’il y avait un avant et un après-Sarkozy.
Des consignes d’expulsion aussi strictes qu’avant
Certes. Mais en ce qui concerne la politique dite « d’éloignement », si les objectifs quantitatifs ne sont plus mis en avant, les consignes d’expulsion inscrites dans la circulaire de mars 2013 sur la lutte contre l’immigration irrégulière sont tout aussi strictes qu’avant. La preuve par les chiffres du ministère de l’Intérieur après que la droite eut dénoncé « la faiblesse d’une gauche qui n’expulse plus ses ressortissants illégaux » : au 31 août 2013, on comptait déjà 13 510 retours contraints, soit un chiffre supérieur à ceux de 2009 et 2011. Et si 2012 reste une année « exceptionnelle » après la mise en place de l’aide au retour des Roms (38 000), les reconduites s’élèveront probablement à 20 000 à la fin de l’année. Ce qui fait dire aux associations de défense des immigrés (RESF, Gisti, Cimade) qu' »entre Valls et Sarkozy, il n’y a pas de différences majeures, juste une inflexion ».
« La preuve par l’affaire Leonarda », affirme Brigitte Wieser, de RESF (Réseau Education sans Frontières), qui se souvient des années 2003-2004, où la police de Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, coinçait les parents et les enfants en situation irrégulière à la sortie des écoles.
Sanctuarisation des écoles abrogée…
Après une série d’incidents violents, Sarkozy avait donné instruction aux préfets, par la circulaire du 31 octobre 2005, de protéger toutes les enceintes scolaires lors des démarches d’expulsion. Or c’est ce texte qui a été abrogé par celui du 28 novembre 2012, et Manuel Valls n’a pas renouvelé cette disposition sur « la sanctuarisation de l’école ». Pour quelle raison ? « Ce n’était plus le sujet, explique un dirigeant socialiste. Depuis 2005, les écoles étaient protégées des interventions policières, et les dérapages étaient peu fréquents. Sauf que ça a dérapé en grand…. »
D’où la rédaction en urgence de la nouvelle circulaire du 19 octobre 2013 sur « l’interdiction de l’intervention des forces de police dans le cadre scolaire lors d’une procédure d’éloignement ». Suffira-t-elle à éteindre l’incendie ?