propos recueillis par Dominique Simonnot, 28/10/1993
La tâche des avocats chargés de défendre les candidats au droit d’asile devient «de plus en plus compliquée». Même pour les cas qui semblent irréfutables.
Spécialistes du droit d’asile, les avocats que nous avons interrogés parlent ici des difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur métier.
FRANÇOIS DANTEC. Je considère que l’asile politique n’est pas un droit C’était une philosophie. C’était accepter un petit désordre chez nous pour éviter une injustice chez les autres. La conception française du demandeur d’asile a évolué pour des raisons purement économiques. Mon but c’est de faire comprendre qu’un fonctionnaire zaïrois, un paysan angolais – qui, pour l’un, perd son emploi s’il critique son gouvernement ou, pour l’autre, ne peut pas travailler sous les bombes – ne sont pas simplement des réfugiés économiques.
ALAIN MIKOWSKI. J’ai le sentiment d’une nasse qui se resserre. Au départ, on avait un texte généreux et, au fil des ans, avec de plus en plus de précision, les règlements, la jurisprudence, les textes se referment. L’objectif est atteint. Il y a quelques années, j’avais beaucoup de clients turcs et il n’y en a plus. Les gens ne demandent même plus le statut et restent en France comme clandestins. Quand je suis en forme, c’est la colère, et quand je suis fatigué, c’est la déprime.
STEPHANE MAUGENDRE. Le climat était déjà difficile sous les gouvernements précédents, mais il s’est considérablement durci avec les lois Pasqua. Le discours est passé chez les policiers mais aussi chez certains magistrats, je le constate quotidiennement. On sait qu’on a un bon dossier, que ça se tient et, face à nous, on a un mur. Mais le pire, c’est lorsqu’un client arrive avec un dossier mal préparé au départ. Rejeté par l’Ofpra, le requérant le sera aussi par la Commission des recours, et la demande de réouverture est quasi impossible car les conditions en sont extrêmement strictes: il faut des faits nouveaux et non des preuves nouvelles, sans relation avec ceux dont on a argué au début.
JEAN-JACQUES DE FELICE (avocat, vice-président de la LDH, membre du conseil d’administration de France- terre d’asile et de la Cimade). Le droit d’asile est un droit très particulier qui doit vivre et s’étendre, il porte en lui des valeurs de solidarité, d’accueil et de compréhension fraternelle devant d’extraordinaires détresses. Il est né et a été réglementé après la victoire sur le fascisme, son histoire n’est donc pas neutre. Il est désolant qu’une modification de la Constitution française soit engagée pour le restreindre, ce qui veut dire qu’on le restreint avec solennité. Les attaques qu’il subit ne me surprennent pas, un praticien de la défense des étrangers voit tous les jours et dans beaucoup de domaines – le logement, la prison, les expulsions- les conséquences d’un état d’esprit qui a peu à peu modifié nos textes.
SIMON FOREMAN. On est très loin de l’image «noble» du réfugié, les demandeurs d’asile sont absolument dé-considérés et leur défense se complique de plus en plus. Les juges de la Commission des recours ont intégré la notion de fraude et ont totalement inversé la charge de la preuve qu’ils laissent aux requérants. En ce qui concerne les déboutés, l’hypocrisie est énorme: ni statut ni reconduite à la frontière. Tous les trois mois, il y a une nouvelle nationalité dont on décide de ne plus reconduire les ressortissants à la frontière (Zaïrois, Tamouls, Guinéens, ex-Yougoslaves…), mais on refuse de rouvrir leur dossier, c’est-à-dire qu’on les I maintient dans l’illégalité.
SYLVIA LAUSSINOTTE. Je suis d’un pessimisme intégral déjà depuis un certain temps. A la limite, il n’y a plus de défense possible, excepté pour une élite qui, de toute façon, serait assurée d’obtenir le statut Les derniers dossiers que j’ai traités concernaient des Cubains. Pour l’une, signalée par les ONG, il s’agissait de la faire sortir de son pays. Le ministère des Affaires étrangères avait assuré qu’il examine¬rait le dossier pour éventuellement l’aider ou lui donner un visa de la-bas. Mais rien. On se heurte à la raison d’État, aux relations politiques inter¬étatiques.
GILLES PIQUOIS. Il y a un fossé entre le discours politique, les textes et les applications pratiques qui en sont faites. On aboutit au traitement toujours plus rigoureux des dossiers. Comme avocat, on a une espèce de sentiment d’impuissance dans la me¬sure où la quasi-totalité des demandeurs d’asile proviennent de pays dont il est impossible de dire qu’ils respectent les standards minimaux des droits de l’homme. Les perspectives d’avenir dans le cadre de la prochaine application des accords de Schengen font qu’on s’oriente vers des dossiers échappant à tout contrôle judiciaire pour dépendre davantage d’autorités administratives sans réelle défense possible.