12/02/2010
Après la libération des 123 Kurdes arrivés illégalement en Corse en janvier dernier, Eric Besson propose un avant-projet de loi restreignant considérablement les droits des étrangers en situation irrégulière. L’action des juges des libertés et de la détention serait limitée et celle de l’autorité administrative renforcée.
Il l’avait promis. Passablement remonté par la libération par différents juges des libertés et de la détention (JLD) des 123 Kurdes retrouvés le 29 janvier sur une plage de Corse, Eric Besson avait annoncé, le 25 janvier dernier, qu’il allait présenter une loi sur l’immigration pour répondre « aux situations d’urgence, à l’afflux massif, inopiné, ponctuel » d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire. L’idée était de constituer un « arsenal plus répressif ». Le ministre de l’Immigration a tenu ses promesses. Au départ ce texte devait retranscrire la directive européen dite « Retour » (ou directive de la « honte » selon ses détracteurs). Il va bien au-delà. Le Monde dévoile en effet, dans son édition du 13 janvier, les grandes lignes de cet avant-projet de loi restreignant considérablement les droits des étrangers et limitant l’action des JLD. Des informations confirmées par Stéphane Maugendre au JDD.fr, président du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (Gisti), qui dit avoir eu le document en main. « C’est tout sauf un brouillon. C’est un texte abouti qui ressemble déjà à un projet de loi », a-t-il expliqué, dénonçant des dipsositions aptes à mettre en place « un régime spécial, dans le plus mauvais sens du terme, pour les étrangers sans papiers que l’on éloigne le plus possible de leurs droits ».
Le texte, qui devrait être présenté en mars en conseil des ministres, sera la cinquième modification en six ans du code d’entrée et de séjour des étrangers (Ceseda). Première disposition -de taille-, la possibilité de décréter « zone d’attente » le lieu où son découverts « un ou plusieurs étrangers » arrivés « à la frontière en dehors d’un point de passage frontalier ». Les zones d’attente de placement en instance (Zapi) sont des lieux privatifs de liberté situés habituellement dans les gares, les aéroports ou les ports ouverts au trafic international et dans lesquels les clandestins sont retenus. Leurs droits y sont limités: seules sont autorisées l’assistance d’un médecin, d’un interprète et la communication avec un avocat.
Un délai de recours qui passe de 30 à 2 jours
L’idée d’Eric Besson est d’étendre considérablement ce champ d’action pour permettre à l’administration (qui décide seule du placement dans ces zones) de légitimer une privation immédiate de liberté. Cette zone d’attente ad hoc« permettra de les maintenir sous contrôle de l’administration pendant un délai suffisant pour acheminer l’ensemble des moyens nécessaires et examiner, sous une forme adaptée, leur éventuelle demande d’asile », a précisé le ministre de l’Immigration, dans un entretien au Figaro publié vendredi. Pour Stéphane Maugendre, « on crée ainsi fictivement, du lieu d’arrestation au poste de frontière, un endroit où le droit français ne s’applique pas. Toute la France peut alors devenir un ‘non-territoire français' ».
Autre mesure, la limitation des possibilités de recours pour les étrangers visés par une expulsion. Ces derniers bénéficiaient jusqu’alors d’un délai de 30 jours pour déposer un recours contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) devant un tribunal administratif. Eric Besson propose d’autoriser l’autorité administrative de décider qu’un clandestin reparte « sans délai »: le recours devra alors être déposé dans les 48 heures.
Interdiction de retour en France
En outre, et c’est encore une nouveauté, l’avant projet de loi propose de créer une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée maximale de trois ans. Si l’étranger reste sur le territoire contre cet avis, ou s’il revient trop tôt, cette durée sera prolongée de deux ans. Autre promesse d’Eric Besson reprise dans ce texte, la clarification des compétences entre juge administratif et juge judiciaire en matière de rétention. Le JLD (juge judiciaire garant des libertés fondamentales), qui doit se prononcer sur le maintien en rétention des étrangers, ne serait saisi que cinq jours après le placement en rétention et non plus 48 heures comme actuellement. « Avec la garde à vue précédant la rétention, l’étranger ne va pas pouvoir voir le JLD pendant une période d’une semaine. C’est du jamais vu en droit français, pour la garde à vue d’une personne suspectée de terrorisme, le délai est de quatre jours! Les étrangers ne sont pas de si grands délinquants que ça », a rappellé le président du Gisti au JDD.fr.
Le JLD pourra également prolonger la rétention de 20 jours et non plus 15 comme actuellement. Résultat, la durée maximale de rétention passe de 32 à 45 jours. Et le JLD sera tenu de prendre en compte « des circonstances particulières liées notamment au placement en rétention d’un nombre important d’étrangers » pour apprécier les délais de notification des droits ou des décisions. Une décision taillée sur mesure pour contrer des jugements tels que ceux que les JLD ont pris pour les 123 Kurdes.
Enfin, le texte aborde également la question des travailleurs sans-papiers. Il propose d’instaurer un droit au titre de sa période d’emploi illicite à un rappel de salaires de trois mois minimum ainsi qu’à une indemnité de rupture du contrat de travail de trois mois contre un mois aujourd’hui. L’avant-projet de loi octroie notamment aux préfets le pouvoir de fermer, pour une durée ne pouvant excéder six mois, une entreprise qui aura eu recours au travail illégal.
Pour Stéphane Maugendre, le texte tel qu’il est ainsi présenté n’est pas conforme à la Constitution. « Le gouvernement veut retirer au juge judiciaire, garant des libertés fondamentales dans la Constitution, ce rôle précisément. On peut espérer que le Conseil constitutionnel sanctionne un certain nombre de choses si le texte passe tel quel ».