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«Libération» suit au long cours les parcours d’étrangers croisés dans les files d’attente devant les préfectures, au fil de leurs démarches.
«Libération» vous propose une série dans laquelle vous pouvez suivre au long cours les parcours d’étrangers croisés dans les files d’attente devant les préfectures. Pour ce troisième épisode, rencontre avec Nawal, Algérienne mariée à un Français qui, dans l’attente d’un titre de séjour, qui s’est démenée pour avoir le droit de se rendre au chevet de sa mère mourante en Algérie. Elle et son mari nous racontent leur périple (les prénoms et les dates ont été changés, pas la durée et la succession des procédures).
On retrouve Nawal et Samir, la quarantaine, dans un café parisien sous un temps pluvieux. Les traits tirés et la voix tremblotante, la principale concernée nous demande d’emblée si nous sommes prêts à l’écouter raconter son «cauchemar». Avant de dérouler le fil des événements au jour près. Comme si son périple avait eu lieu la veille.
Nawal, de nationalité algérienne, vivait à Alger jusqu’à ce qu’elle épouse Samir – un Franco-Tunisien- en septembre 2015, après avoir obtenu au consulat français d’Alger un certificat de capacité à mariage, exigé pour la transcription de leur mariage en France. Dans la foulée, elle dépose son dossier pour une première demande de carte de séjour d’un an en tant que conjointe de français à la préfecture de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Le rendez-vous est fixé en décembre, elle s’y rend en présence de son mari et reçoit un récépissé – un document provisoire de séjour qui permet de rester en France durant l’examen de son dossier par la préfecture – valable trois mois.
Trois mois plus tard, en mars, le récépissé de Nawal arrive à échéance. Sans nouvelles de son dossier, elle y retourne. Et rebelote, en juin, avec un troisième récépissé, puis un autre en septembre. En somme, elle aura eu quatre récépissés en un an pour une réponse qu’on devait lui donner à l’issue du temps de l’instruction délimité à trois mois. «A chaque fois, c’était pareil : elles tapotent sur leur machine et me disent « ah votre récépissé arrive à sa fin, en voilà un autre. Votre carte de séjour n’est pas encore prête, elle est à la signature »», relate-t-elle en les mimant.
«Tout ça m’a forcée à m’absenter de mon travail au pressing, se souvient Nawal, à faire des heures de queue dans le froid avec mon mari qui espérait m’aider en prouvant par sa présence notre bonne foi. J’ai le souvenir de m’être levée plusieurs fois aux aurores pour faire la queue dans un froid terrible de 5-6 heures du matin à 10 heures, quand j’avais de la chance. En espérant qu’ils ne me demandent pas de revenir un autre jour. Vous savez, quand la préfecture est débordée, on peut vous dire : « »Il n’y a plus de ticket, revenez demain ».» Une information qui ne surprend pas Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers, contacté par Libération, qui a régulièrement affaire à cette préfecture. «Les queues qui démarrent à 2 heures du matin pour le lendemain sont habituelles», précise-t-il. De la même façon que les récépissés à rallonge, comme nous l’a confirmé la préfecture elle-même : «Il arrive souvent que des dossiers traînent dans les circuits, et dans ce cas on multiplie les récépissés.»
Le processus par lequel est passée Nawal serait donc assez classique. «La préfecture en question manque cruellement d’effectif et de moyens pour l’accueil des étrangers alors que la population immigrée qui en dépend est relativement importante», ajoute l’avocat.
«Elle n’a rien trouvé de mieux à faire que de me juger»
En juillet 2016, Nawal apprend que sa mère âgée de 76 ans est tombée gravement malade à Alger. En septembre, on lui délivre un autre récépissé, soit un an après le dépôt de son dossier. L’état de santé de sa mère s’aggrave. Et Nawal, qui apprend qu’une circulaire d’octobre 2016 spécifie formellement qu’il n’est pas possible à un titulaire muni d’un «récépissé de première demande» de voyager et de revenir sur le territoire français, s’affole. Elle retourne à la préfecture, munie de trois certificats médicaux envoyés d’Algérie, que Libération a pu consulter, et qui attestent que sa mère, atteinte d’une grave tumeur, a été opérée lourdement et placée sous chimiothérapie.
A ce stade de son récit, Nawal reprend son souffle : «La dame qui m’a reçue ce jour-là a refusé de regarder mes certificats médicaux. J’avais beau lui expliquer, en larmes, que ma mère était mourante et que j’étais coincée ici, elle n’a rien trouvé de mieux à faire que de me juger. Je n’oublierais jamais ses mots : « A votre place, entre ma mère et mes papiers, j’aurais choisi ma mère, peu importent les risques de ne plus pouvoir repasser la frontière. Honte sur vous ! » Tu te souviens Samir ?», demande Nawal en direction de son mari, un sourire forcé aux lèvres. Elle sort de là effondrée, tiraillée entre son mari qu’elle ne voulait pas perdre, et sa mère, qui risquait de mourir sans qu’elle puisse lui dire au revoir. «J’ai fait une dépression, je perdais mes cheveux. Heureusement que mon mari était là pour me soutenir moralement même si c’était difficile pour lui de se sentir si impuissant.» Interpellé sur ce cas précis, Stéphane Maugendre nous certifie qu’il n’existe «pas de dérogation en cas de maladie ou de décès d’un proche». Ce que confirme aussi (sans parler de ce cas spécifique) la préfecture, qui s’en tient au règlement.
«Votre dossier est vide»
Nawal ne baisse pas les bras, elle change plusieurs fois de guichet en espérant tomber sur un agent compréhensif. Un matin de novembre, où elle fait la queue à partir de 6 heures pour passer à 14h30, elle finit par tomber su une fonctionnaire qui a pris la peine d’aller consulter son dossier, pour la première fois en l’espace d’un an. Lorsqu’elle revient, celle-ci a l’air confuse et lui dit : « »Madame, vous ne l’aurez jamais votre carte de séjour ! Votre dossier est vide ».» Nawal tombe des nues. Son mari, jusqu’ici taiseux, nous dit : «Comment est-ce possible ? Ils n’auraient pas pu lui donner un récépissé comme ça… Ils l’ont forcément perdu. Et, dans ce cas, pourquoi ne lui ont-ils tout simplement pas demandé de joindre l’intégralité des pièces qu’elle a évidemment gardées précieusement ?».
De son côté, la préfecture, que nous avons appelée, réfute cette possibilité: «Si une pièce manque, on prévient la personne systématiquement.» L’avocat Stéphane Maugendre, lui, n’y voit rien d’étonnant: «L’administration ne supporte pas d’avoir tort. Dans ce cas précis, elle peut avoir perdu le dossier de cette dame et a préféré faire traîner les choses en lui délivrant récépissé sur récépissé, au lieu de l’en informer. Peut-être espérait-elle le retrouver entre temps ?», suggère-t-il.
La fonctionnaire, «consciensieuse et humaine» comme la décrit Nawal, lui propose de rapporter les pièces sur le champ pour réactiver la procédure au plus vite et lui assure qu’elle veillera personnellement à ce que sa carte soit prête en moins de trois semaines. Deux semaines plus tard, en décembre, Nawal repart à la charge un vendredi, affronte la queue et le froid quand on l’appelle enfin. La personne qui la reçoit dans l’après-midi lui dit d’emblée, sans jeter un oeil à son dossier : « »Donnez-moi une photo, je renouvelle votre récépissé ».» Nawal est prise de vertige : « »Mais non, on m’a promis que ma carte serait prête »», lâche-t-elle. La fonctionnaire n’aura pas le temps de vérifier si sa carte est prête. Elle devra revenir lundi.
Ce jour-là, Nawal refait la queue, passe relativement tôt à 11h30 et récupère sa carte de séjour (qui avait été signée le jour ouvrable qui a suivi son entrevue avec sa «sauveuse»). Deux jours après, Nawal s’envole pour Alger où elle passe trois semaines au chevet de sa mère. A son immense soulagement, ce n’était pas trop tard.