Hebdo 93, Christophe Morgan, 16/11/1990
La mairie du Pré-Saint-Gervais est revenue sur sa décision et a finalement célébré les noces d’Hélène Mendy, une jeune Sénégalaise en situation irrégulière. Une affaire qui met à jour une pratique illégale qui consiste à demander au parquet des autorisations préalables de mariage.
Marcel Debarge, maire PS du Pré-Saint-Gervais était assigné à comparaître, vendredi 9 novembre, devant le tribunal de Bobigny pour « refus de mariage ». Au centre de cette polémique, une jeune Sénégalaise de vingt-sept ans, Hélène Mendy, enceinte de sept mois, qui souhaitait épouser Horacio Mendes, un réfugié politique guinéen. Une union qui leur avait été refusée dans un premier temps, la jeune femme se trouvant en situation irrégulière.
Pour Maître Maugendre, avocat d’Hélène Mendy, et pour Maître Babaci, qui représente le GISTI (groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), il s’agit là de « pratiques scandaleuses. Sous prétexte de lutte contre l’immigration clandestine, le droit au mariage est bafoué ».
En effet, selon les avocats « aucun texte ne permet à un maire de vérifier la régularité d’un candidat étranger au mariage ».
C’est dans ce contexte explosif qu’aurait du s’ouvrir un procès placé sous le signe d’une bataille juridique. En fait, la confrontation a été repoussée au 3 décembre. Entre temps, le couple apprenait de la mairie du Pré-Saint- Gervais que le mariage serait finalement célébré le lendemain, soit samedi 10 novembre. Les avocats ont donc remballé leurs dossiers, non sans une certaine amertume. « Nous sommes très déçus, confiait Maître Maugendre. Au fond, tout est fait pour écarter le débat. Chacun se renvoit les responsabilités ».
De fait à la mairie du Pré-Sain-Gervais, on assure qu’il n’y a pas eu refus de mariage. « Nous avons suivi une consigne du procureur qui nous demandait de signaler toute anomalie dans les papiers des étrangers », explique t-on. D’après le code civil pourtant, l’officier d’état- civil n’a pas à apprécier les conditions de domicile des candidats au mariage, encore moins à entreprendre des investigations. « Il n’a pas à savoir si les personnes sont en situation irrégulière », explique par exemple un responsable d’état-civil d’une ville du département. De leurs côtés, les avocats soulignent que « l’autorisation préalable au mariage des étrangers est abrogée depuis 1981 ». Ainsi dans cette affaire, il pourrait bien y avoir eu excès de zèle, pour ne pas dire plus, de la part de la mairie du Pré-Saint-Gervais. La pratique qui consiste à demander des autorisations de mariage préalables au parquet est pourtant courante. Coffi Bayard, un jeune Antillais, en a été l’une des nombreuses victimes. Son cas remonte à 1987 : « Je voulais épouser une Ivoirienne. raconte t-il. J’ai donc déposé un dossier à la mairie du XVIIIe à Paris. On m’a remis une lettre cachetée, que je n ’avais pas le droit de lire, à charge pour moi de l’amener au parquet. Là, une dame a pris un stylo, et a écrit « refus ». Cela n’a pas pris plus de deux minutes, et depuis, je ne me suis toujours pas marié ». D’après un responsable d’état-civil, il est vrai toutefois que le nombre de tentatives de mariages blancs tendent à se multiplier ces dernières années en Seine-Saint-Denis. En cas de doute légitime ou de conviction personnelle de l’agent, la mairie est alors tenue d’en informer le parquet. Il n’est pas si rare par exemple de voir un très jeune homme souhaitant épouser une très vieille dame. Si la tentative avorte dans une mairie, le couple cherche alors fortune dans une autre ville. Rien à voir néanmoins avec les cas de situation irrégulière. D’autant moins que l’union devant la loi ne règle pas automatiquement la situation des étrangers. Pour ce faire, il faut répondre à un certain nombre d’obligations qui passent par la justification d’un logement et d’un emploi.
Les avocats espéraient sans doute faire de ce procès un cas exemplaire. Aujourd’hui, la bombe semble bien être désamorcée. Mais la publicité dont a bénéficié cette affaire a au moins eu un aspect positif: cela a en effet permis de rappeler la loi de 1981, trop souvent bafouée. Hélène Mendy, quant à elle, a été autorisée à rester en France jusqu’en avril. A cette date, elle sera mère d’une petite fille. A la question, « Comment l’appellerez-vous ? », elle répond avec un grand sourire « Espérance. »