En avançant avec une extrême prudence sur ce dossier explosif, le ministre de l’Intérieur réussit à éviter la polémique avec l’opposition. Au moins pour le moment.
« Apaisement » : c’est le leitmotiv de Manuel Valls en matière migratoire. En avançant avec une extrême prudence sur ce dossier explosif, le ministre de l’Intérieur réussit à éviter la polémique avec l’opposition. Au moins pour le moment. « Je suis très attentif à ce que pensent nos compatriotes en cette période de crise », répète souvent Manuel Valls, alors que, pour 69 % des Français, selon un sondage récent, il y a « trop d’immigrés » dans le pays.
Dans ce contexte, pas question de « grands soirs » pour le ministre, qui expulse « au même rythme » que la droite (20 000 éloignements forcés attendus cette année) et ne compte pas augmenter le nombre de régularisations de sans-papiers (36 000 en 2012).
La rupture est dans le ton : « Un climat de sérénité devrait toujours primer quand on aborde cette question de l’immigration, trop souvent instrumentalisée », déclarait encore jeudi l’homme fort de Beauvau. « Il a une politique sécuritaire comparable au précédent gouvernement, sauf qu’il n’instrumentalise plus la politique migratoire pour gagner les voix de l’extrême droite », résume la politologue Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS. « C’est une méthode pour désarmer l’opposition qui ne peut l’accuser de mener une politique laxiste. »
La tactique semble porter ses fruits. Jeudi, le ministre participait à un débat au Parlement sur « l’immigration professionnelle et étudiante » : sur les bancs clairsemés de l’Assemblée, le ton est resté très lisse. Même Marion Maréchal Le Pen (FN) a concédé : « L’immigration étudiante est en soi souhaitable. »
Guillaume Larrivé, député UMP de l’Yonne et ancien bras droit de Brice Hortefeux au ministère de l’Immigration, n’avait pas fait le déplacement pour ce « débat parcellaire ». Plus globalement, si l’immigration n’est plus un sujet politique, « c’est parce qu’il n’est pas porté par le président de la République », juge-t-il.
François Hollande ne s’est jamais exprimé sur l’immigration depuis son élection, tandis que le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, ne l’a mentionné qu’à deux reprises. Seul à la barre, Manuel Valls se garde d’aborder frontalement les sujets qui fâchent. Il fut le premier à émettre des doutes sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, estimant en septembre que la réforme ne représentait « pas une revendication forte ».
« Un débat apaisé, apaisant, peut-être trop »
Plus récemment, interrogé par des députés sur la naturalisation des immigrés âgés, il s’est dit favorable à des avancées. Mais, a-t-il nuancé, « je n’envisage pas de réformer le cadre législatif à ce stade, car je me méfie des débats sur la nationalité dans le cadre actuel ».
Et lors du débat au Parlement, il s’est bien gardé d’évoquer des quotas de travailleurs. Quand le candidat François Hollande avait promis un débat annuel au Parlement, il avait pourtant jugé nécessaire de « fixer les chiffres des besoins » de main-d’oeuvre de l’économie. Au final, le débat était « apaisé, apaisant, peut-être trop », a conclu Manuel Valls.
C’est la limite de cette méthode, estime Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade. « Faire de l’immigration un non-sujet ne contentera personne : ils n’iront jamais assez loin pour contenter une opinion publique de plus en plus frileuse et ils vont décevoir une opinion de gauche qui attend des positions renouvelées. »
Plus grave, juge-t-il, « avec cette logique d’apaisement, on fait fi des urgences ». « Ça enkyste des situations, ce qui va nourrir des ressentis au niveau local », craint-il, en citant l’engorgement des structures d’hébergements d’urgence par les demandeurs d’asile ou les Roms expulsés.
Plus sévère, Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), ne voit qu’une sérénité « de façade ». « Quand on parle d’apaisement, c’est un apaisement vis-à-vis de la droite, pas vis-à-vis des étrangers », dit-il.
Au ministère, on se défend de « vouloir faire disparaître l’immigration des radars. D’ailleurs, c’est impossible, on va le voir aux municipales », glisse un conseiller. L’opposition semble bien fourbir ses armes, à commencer par l’ancien Premier ministre François Fillon, qui a lancé jeudi sur France 2 : « Il faut réduire la politique d’immigration. »