, Éric Joux, 05/01/2017.
Même sans “ délit de solidarité ”, l’aide aux personnes en situation irrégulière reste très encadrée. En témoignent les récents procès visant des bénévoles.
« Notre rôle, c’est d’aider les gens à surmonter les dangers » : en entrant mercredi dans le palais de justice de Nice où il est poursuivi pour avoir aidé des migrants en situation irrégulière (lire ci-dessous), Cédric Herrou, agriculteur dans les Alpes-Maritimes, justifiait son action, au risque d’une condamnation.
Tout comme l’enseignant-chercheur niçois Pierre-Alain Mannoni, qui attend ce vendredi la sentence de son procès où ont été requis six mois de prison avec sursis. Tous deux sont intervenus en faveur de personnes entrées irrégulièrement sur le territoire français depuis la frontière franco-italienne de Vintimille. Mais des procédures à l’encontre des aidants, il y en a eu et il y a actuellement un peu partout en France.
La loi « clandestinise » les aidants
En 2010, dans les Deux-Sèvres, c’est par exemple le prêtre-ouvrier de Cerizay (Deux-Sèvres) Roger Godet, 72 ans à l’époque, qui était mis en garde à vue pour être venu en aide à un sans-papiers. Avant d’écoper d’un rappel à la loi, il s’était enchaîné pour protester, comme bien d’autres, contre la loi L622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) qui sanctionnait ce que les associations ont nommé « le délit de solidarité ».
En décembre 2012, la loi Valls amendait le texte, dépénalisant l’apport « des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes » à la personne étrangère ainsi que « tout autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique » de celle-ci.
Un texte précis, qui ne laisse pas de place pour les autres actions en faveur des migrants. Ainsi en est-il notamment des prises en charge en véhicule. Si la personne est en détresse au bord de la route – mais tout mineur en situation isolée n’est-il pas considéré comme tel ? – pas de problème. En revanche, « on tombe sous le coup de la loi si on emmène » des personnes en situation irrégulière dans sa voiture jusqu’à une gare « pour continuer leur périple », a rappelé Jean-Michel Prêtre, le procureur de Nice qui a requis dans le procès Cédric Herrou. C’est ce qui est reproché aussi à Pierre-Alain Mannoni, interpellé avec trois migrantes érythréennes dans son véhicule. « On peut porter secours, c’est un devoir, mais pas aider au séjour (l’accès au territoire, NDLR) et à la circulation », avait dit le procureur lors du procès, en novembre.
Alors, bien sûr, les peines prononcées ont été jusqu’à présent pour la plupart symboliques. Mais, comme le souligne Stéphane Maugendre, le président du Gitsi, le Groupe d’information et de soutien des immigrés, le traumatisme de la procédure policière et juridique, lui, ne l’est pas.
Sécuriser l’action des milliers de bénévoles qui œuvrent un partout en France, voilà le message que les associations envoient en ce début d’année aux candidats à l’élection présidentielle.
“Le délit existe encore”
Pour Stéphane Maugendre, « le délit de solidarité existe encore », estimant sur le texte actuel « va clandestiniser » l’aide aux migrants par la peur qu’il inspire. Il est vrai que cinq ans de prison et 30.000 € d’amende pour avoir « facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France », c’est beaucoup, même si la sanction est destinée dans l’esprit de la loi à dissuader les passeurs. Pour Mireille Damiano, avocate au barreau de Nice, « le message politique est : attention aux citoyens qui pourraient venir en aide ».
Attention, il faut effectivement faire, et ne pas oublier non plus que l’article L622-4 interdit toute « contrepartie directe ou indirecte ». Même accepter que les migrants accueillis fassent le ménage.
Les demandes d’asile en hausse
Les chiffres de l’immigration en France ne seront officiellement dévoilés que le lundi 16 janvier. Mais Le Figaro a eu accès à des premiers chiffres qui montrent une augmentation du nombre des demandeurs d’asile. Près de 88.000 demandes de statut de réfugié (réexamens compris) auraient été déposées auprès de l’Ofra (Office) l’an passé, contre 80.000 en 2015, soit plus 10 %. La progression entre 2014 et 2015 avait été beaucoup plus importante, avec près de 24 %. Mais compte tenu des clandestins, on estime entre 200.000 et 400.000 le nombre d’étrangers en situation irrégulière ou d’attente en France.
Sur le territoire, l’État a assuré ou contribué à assurer actuellement « plus de 35.000 » places en centres d’accueil pour demandeur d’asile (Cada) et 12.000 en centre d’accueil et d’orientation (CAO), selon la Direction des étrangers en France. Des chiffres qui laissent malheureusement beaucoup de place pour l’indispensable action des bénévoles.
Dans l’Indre, la capacité est actuellement de 218 personnes en Cada et 96 en CAO ; en Loir-et-Cher, près de 320 et une centaine, en Indre-et-Loire, 240 et 150, dans les Deux-Sèvres, 154 et une cinquantaine, dans la Vienne 240 et 90. Plus, dans chaque département, les accueils de mineurs isolés par l’aide sociale à l’enfance.