« La Méditerranée n’est plus un cimetière. C’est un charnier »

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Pour avoir tenté d’atteindre l’Europe dans les conditions les plus extrêmes et les plus dangereuses, ils seraient déjà au moins 950 à avoir perdu la vie en Méditerranée depuis le début de l’année. Cette semaine, 400 personnes se seraient ainsi noyées au large de l’Italie. Les conditions météorologiques s’améliorant, les traversées ont repris à cadence soutenue et il n’est pas un jour sans que les garde-côtes italiens n’aillent secourir des navires transportant des centaines de passagers clandestins. Ces arrivées massives de migrants en provenance du continent africain s’annoncent plus nombreuses encore qu’en 2014. A ces drames, les pays de l’Union européenne répondent en se barricadant et par l’inertie collective. cropped-stephane_maugendre_2.jpgLes associations d’aide aux immigrés n’ont, elles, de cesse de dénoncer, encore et toujours, les politiques migratoires mises en œuvre dans l’espace européen. Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Bobigny et président du GISTI (Groupe d’Information et de Soutien aux Immigrés), témoigne de cette fracture qui se creuse entre nord et sud et du peu d’humanité des politiques migratoires.

Cecil Thuillier : Quelle est la politique migratoire actuellement appliquée en Europe ?

Stéphane Maugendre : La politique migratoire, c’est la fermeture, c’est de faire de l’Europe une forteresse. Des murs qui sont de plus en plus hauts autour des frontières européennes, avec de plus en plus de difficultés pour rentrer sur le territoire français et donc des moyens de plus en plus délirants de la part des passeurs ou même des gens qui risquent de plus en plus leur vie.

GIOVANNI ISOLINO / AFP

Des migrants naufragés à leur arrivée le 16 avril 2015 dans le port d’Augusta en Italie. (© Giovanni Isolino / AFP)

Selon vous, quel intérêt les personnels politiques des pays européens ont-ils à gérer les choses de cette façon, alors que ces efforts de dissuasion n’ont visiblement aucun effet ?

Stéphane Maugendre : D’après ce que j’ai compris de ces politiques, l’idée supposée c’est de faire peur ou, du moins, d’inciter les gens à ne pas quitter leur pays pour l’Europe parce que c’est dangereux. Et de leur dire que c’est impossible d’entrer en Europe. Impossible parce qu’il n’y a pas de travail, parce que c’est pire en Europe que dans leurs pays… Donc ce n’est pas vraiment une politique.

Votre association, le GISTI, participe-t-elle à des concertations avec des représentants politiques, des responsables de gouvernement, des décideurs des politiques publiques de l’immigration ? Comment êtes-vous associé au débat public et à quoi ressemblent vos échanges ?

Stéphane Maugendre : Zéro. Nous, cela fait un certain nombre d’années qu’on prône la liberté de circulation et la liberté d’installation. Et depuis des années et des années, on nous prend pour de doux rêveurs. Petit à petit, des syndicats, des partis politiques, y compris les Verts, commencent à comprendre que ce serait peut-être au moins une réflexion à mener. (…) Il y a par exemple une organisation de dangereux gauchistes qui s’appelle l’Unesco – pardonnez-moi ce trait d’humour – qui a publié un ouvrage sur une politique migratoire d’ouverture des frontières. Ils ont demandé à des économistes, des sociologues, des démographes de travailler sur cette question-là.

Je vous rappelle que vous avez vécu, vous en tant que Française, une expérience d’ouverture des frontières durant toute votre vie, sans même que vous vous en aperceviez. On est passé de 7 à 27 pays en Europe. On a instauré la liberté de circulation, avec parfois des prises de position politique du genre  »on va être envahi par les concierges portugaises et les plombiers polonais ». Je n’ai pas senti que nous ayons été envahis par des hordes de Polonais, de Roumains ou de Grecs. C’est une expérience qui s’avère être positive, qui est possible et qui démontre qu’on n’est pas envahis.

Parmi les arguments avancés pour justifier la fermeture des frontières, il y a celui de la crise qui sévit en Europe  et met déjà mal les Européens. Que faire des migrants clandestins dans un tel contexte ?

Stéphane Maugendre : On nous a toujours servi ce discours-là : on est en crise et si on ouvre les frontières, on va être envahis. On nous l’a dit pour les Portugais, pour les Grecs. Or, si aujourd’hui il y a des gens qui fuient leur pays – ces gens que j’appelle des réfugiés économiques, des réfugiés climatiques, des réfugiés de la guerre – c’est à nous de les accueillir parce que nous avons une certaine responsabilité dans l’externalisation de ces guerres, de ces problèmes climatiques ou économiques. Il y aurait 500.000 personnes prêtes à venir en Europe. 500.000 personnes sur 500 millions ? et on nous parle d’invasion !

Si on pousse plus loin, la réflexion, la question c’est : qu’est-ce-qu’on met en place ? Est-ce-que tout le  »pognon » qu’on met pour fermer les frontières, financer Frontex, construire des barbelés ou installer des radars… et pour prendre l’exemple de la France, tous les moyens mis pour les reconduites aux frontières qui coûtent des dizaines de milliers d’euros par individu. On injecte tout ce  »pognon » pour lutter contre la venue alors qu’on pourrait l’utiliser pour les accueillir.

Puisque vous évoquez la France, quelle différence voyez-vous dans le traitement de ces questions selon les gouvernements de droite ou de gauche qui se sont retrouvés à la tête du pays ?

Stéphane Maugendre : ça n’a pas bougé. Je le répète tout le temps, la seule différence c’est qu’avant on disait  »avec fermeté et humanité » et maintenant on dit  »avec humanité, mais fermeté ». C’est le seul changement.

En terme de législation franco-française, on parle toujours en terme de suspicion à l’égard des étrangers, on regarde toujours l’étranger comme un envahisseur. On est tout simplement en dehors de la réalité de ce que vivent les étrangers, les milliers d’étrangers installés sur le sol français qui travaillent, qui ont une famille, dont les enfants vont à l’école, qui paient des impôts, des cotisations, qui participent à la vie de la cité etc…(…) Il y a 30 ans, on a inventé la carte de séjour de 10 ans pour les étrangers, ceux qui a priori devaient s’installer durablement sur le territoire français pour les aider à s’intégrer plus facilement, leur donner le temps de s’installer. Depuis 30 ans on n’a pas arrêté de détricoter cette avancée qui était fondamentale. Maintenant les gens ont des cartes d’un an. Et avec une carte d’un an, qui fait un emprunt ? Qui arrive à avoir un emploi en CDI au lieu d’un CDD ? Donc, les gens sont totalement précarisés dans leur séjour, dans leur vie familiale, leur vie sociale.

On parle de droit des étrangers, mais finalement ces étrangers ont-ils vraiment des droits, un statut ?

Stéphane Maugendre : Pour les étrangers qui sont en mer Méditerranée, non il n’y en a pas, ils n’ont pas de statut. La Méditerranée n’est plus un cimetière, elle est un charnier. Ça fait des années et des années qu’il y a des gens qui meurent en Méditerranée, on le sait. Il y a presque 3 ans, on a déposé plainte car à cause de la guerre en Libye, des migrants qui avaient fui sur un bateau. Ils sont passés à côté de navires militaires, ont été repérés sur des radars et pourtant ils ont mis 10 jours pour mourir de faim, de soif sur leur embarcation. On s’en fout de ces gens-là. Il a fallu que le pape aille à Lampedusa pour découvrir qu’il y avait des gens qui mouraient en Méditerranée.

Que craignez-vous quant à l’évolution de cette situation ?

Stéphane Maugendre : L’Europe va poursuivre sa fermeture et ne va pas lâcher ce cap-là. La forteresse sera de plus en plus défendue, donc il y aura de plus en plus de morts. Des négociations vont peut-être avoir lieu avec la Tunisie, l’Algérie, la Libye pour que soient multipliés les camps qui existent là-bas. Ces camps où le droit est absent. Quand les migrants arrivent en Europe, ils ont des droits. Mais quand ils arrivent dans des camps qui ne sont pas situés en Europe mais de l’autre côté de la Méditerranée il n’y a pas de droit. On risque d’avoir des lieux de non-droit dans lesquels des associations dites humanitaires iront pour voir si ce sont véritablement des réfugiés et pour créer éventuellement des couloirs humanitaires. Je crains que des missions seraient confiées au HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés) ou à d’autres organismes pour aller choisir les bons ou mauvais réfugiés dans ces camps.

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