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Libération suit au long cours les parcours d’étrangers croisés dans les files d’attente devant les préfectures. Pour ce troisième épisode, rencontre avec Nawal (1), Algérienne mariée à un Français qui s’est démenée pour avoir le droit de se rendre au chevet de sa mère mourante en Algérie.
Nawal vivait à Alger jusqu’à ce qu’elle épouse Samir – un Franco-Tunisien – en septembre 2015, après avoir obtenu au consulat français d’Alger un «certificat de capacité à mariage», exigé pour la transcription de leur union en France. Dans la foulée, elle dépose son dossier pour une première demande de carte de séjour d’un an en tant que conjointe de Français à la préfecture de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le rendez-vous est fixé en décembre, elle y reçoit un récépissé valable trois mois, le temps que la préfecture examine son dossier. La même scène se reproduit tous les trois mois pendant un an. «A chaque fois, c’était pareil : elles tapotent sur leur machine et me disent : « Ah, votre récépissé arrive à sa fin, en voilà un autre. Votre carte de séjour n’est pas encore prête, elle est à la signature. »»
«Tout ça m’a forcée à m’absenter de mon travail au pressing, se souvient Nawal, à faire des heures de queue dans le froid avec mon mari qui espérait m’aider en prouvant par sa présence notre bonne foi.» Un périple qui ne surprend pas Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers : «La préfecture en question manque cruellement d’effectifs et de moyens. Les queues qui démarrent à 2 heures du matin pour le lendemain sont habituelles.» De même que les récépissés à répétition, comme nous l’a confirmé la préfecture : «Il arrive souvent que des dossiers traînent dans les circuits et, dans ce cas, on multiplie les récépissés.»
En juillet 2016, Nawal apprend que sa mère de 76 ans est malade. En septembre, on lui délivre un énième récépissé. La santé de sa mère s’aggrave. Nawal, apprenant qu’une circulaire d’octobre 2016 spécifie qu’il n’est pas possible à un titulaire muni d’un «récépissé de première demande» de voyager et de revenir sur le territoire français, s’affole. Elle retourne à la préfecture, munie de trois certificats médicaux que Libération a pu consulter et qui attestent que sa mère, atteinte d’une grave tumeur, a été opérée lourdement et placée sous chimio. «La dame qui m’a reçue a refusé de regarder mes certificats médicaux. Je n’oublierai jamais ses mots : « A votre place, entre ma mère et mes papiers, j’aurais choisi ma mère, peu importe le risque de ne plus pouvoir repasser la frontière. Honte sur vous ! »» C’est grâce à une autre agent «consciencieuse et humaine» et après avoir refait trois fois la queue qu’elle obtiendra sa carte de séjour. Et pourra rendre visite à sa mère, à temps.
(1) Les prénoms et les dates ont été modifiés.